Réf. : Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-20.468, Procureur général près la cour d'appel de Paris, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8646EBT)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
Cour d'appel de Paris. La cour d'appel de Paris avait considéré que l'action du ministère public, fondée sur une contrariété à l'ordre public, n'était pas recevable puisqu'il ne contestait ni l'opposabilité en France du jugement américain, ni la foi à accorder, au sens de l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW), aux actes dressés en Californie, dans les formes usitées dans cet Etat. Elle avait, en outre, fait valoir que l'intérêt supérieur des enfants était de ne pas se voir priver d'actes d'état civil indiquant leur filiation.
Défense de l'ordre public. Une telle solution, même si elle ne manquait pas d'audace, résistait difficilement à l'analyse. On voit mal, en effet, comment fermer cette action au ministère public. L'argument fondé sur l'article 423 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2662ADX) selon lequel le ministère public peut agir dans tous les cas pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci, paraissait imparable dès lors qu'il était conjugué avec les dispositions civiles -on aurait pu invoquer également les dispositions pénales- prohibant la gestation pour autrui, et que, comme le note la Cour de cassation "les énonciations inscrites sur les actes d'état civil ne pouvaient résulter que d'une convention portant sur la gestation pour autrui". L'article 1049 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1360H47), selon lequel l'action en rectification et annulation des actes de l'état civil est ouverte au ministère public, aurait pu fournir un argument plus spécifique. A l'évidence, le ministère public a, à la fois, qualité et intérêt pour agir et obtenir l'annulation de la transcription, ou plus exactement la mention en marge de l'acte transcrit qui est annulé. C'est d'ailleurs, sans doute, dans ce but que le ministère public a sollicité, lui-même, la transcription des actes de naissance sur les registres d'acte civil français...
Renvoi. Même si l'opération paraît quelque peu machiavélique et ne se distingue pas par son humanité pour les deux enfants concernés, le ministère public paraît être dans son rôle en veillant au respect d'une prohibition essentielle de notre droit de la filiation. Il ne faut, cependant, pas donner à la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris une portée qu'il n'a pas, rien dans cette décision ne permettant de préjuger de la solution de la cour de renvoi qui n'est autre que... la cour d'appel de Paris autrement composée !
II - Le bien fondé incertain de l'action du ministère public
Exception d'ordre public. A priori, la cour d'appel de renvoi ne pourra qu'admettre la recevabilité de l'action du ministère public. Elle est, toutefois, libre de la réponse à apporter à la question du bien fondé de cette action. Le ministère public invoquera, sans nul doute, l'argument de l'exception d'ordre public qui permet d'écarter les effets en France d'une décision étrangère lorsque celle-ci contrevient aux règles françaises d'ordre public ; un tel raisonnement paraît tout à fait admissible compte tenu de la prohibition pénalement sanctionnée des conventions de gestation pour autrui en droit français. Reconnaître le jeu de l'exception d'ordre public aurait sans conteste l'avantage de la cohérence et du respect du droit français en attendant une éventuelle réforme légalisant le recours à la gestation pour autrui (Rapport d'information, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, n° 421 (2007-2008) - 25 juin 2008, et les obs. de A.-L. Blouet Patin, Mères porteuses : le Sénat rend sa copie et ouvre la voie à une légalisation de la pratique, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N6731BGE)
Intérêt supérieur de l'enfant. Mais la cour d'appel de renvoi peut, également, privilégier, cette fois sur le fond, l'intérêt supérieur des enfants en cause, sur le fondement de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) et considérer que ceux-ci doivent bénéficier d'un état civil français conforme à leur état civil américain. Une telle solution porterait certes une atteinte indirecte à la prohibition française de la gestation pour autrui, et donc à l'ordre public, mais comporterait l'avantage non négligeable de ne pas placer les enfants dans une situation juridique complexe et bancale.
Il s'agit, en réalité, d'un choix politique entre l'intérêt concret des enfants et l'intérêt général, mais abstrait. Il semble, toutefois, que les termes de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, selon lequel dans toutes décisions le concernant l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale, est suffisamment clair... les enfants ne doivent pas subir les conséquences préjudiciables des bricolages juridiques des adultes même, et surtout, si ceux-ci ont abouti à leur naissance !
(1) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB) et lire les obs. de N. Baillon-Wirtz, L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5577BDW).
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