La lettre juridique n°407 du 9 septembre 2010 : Protection sociale

[Jurisprudence] Les dividendes versés par une SEL sont soumis à cotisations sociales : le Conseil constitutionnel écarte le grief d'atteinte à l'égalité

Réf. : Cons. const., décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010 (N° Lexbase : A9232E73)

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N0484BQY

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[Jurisprudence] Les dividendes versés par une SEL sont soumis à cotisations sociales : le Conseil constitutionnel écarte le grief d'atteinte à l'égalité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211144-jurisprudencelesdividendesversesparuneselsontsoumisacotisationssocialesleconseilconsti
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 07 Octobre 2010

Le Conseil constitutionnel a rendu le 28 mai 2010 (1) sa première décision, dans le champ des questions prioritaires de constitutionnalité, dans une matière symbolique, la "cristallisation" (c'est-à-dire, l'absence de revalorisation des pensions civiles et militaires de retraite versées aux ressortissants des anciennes colonies françaises). Il était sollicité sur une question d'égalité de traitement dans le champ des prestations de sécurité sociale. La seconde saisine du Conseil constitutionnel, en droit de la Sécurité sociale, porte encore sur ce point d'égalité de traitement, mais cette fois-ci, en matière de cotisations sociales. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 juin 2010 par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 14 juin 2010, n° 328937 N° Lexbase : A2624EZ9), d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL), le Conseil national des barreaux et l'Association des avocats conseils d'entreprises, relative à la conformité de l'article L. 131-6, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3040IEC) aux droits et libertés que la Constitution garantit. Cette critique formulée à l'encontre de la LFSS 2009 (réformant le régime des dividendes au regard des cotisations sociales, CSS, art. L. 131-6, al. 3) avait déjà été exprimée par un certain nombre de praticiens (2). En effet, l'article L. 131-6, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale intègre sous certaines conditions, dans l'assiette des cotisations sociales payées par les sociétés d'exercice libéral (SEL), les revenus distribués (dividendes et revenus des comptes courants) aux associés majoritaires de ces structures à partir du moment où ces revenus sont supérieurs à 10 % du capital social de la société, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant. Le traitement social des dividendes est donc une question sensible. Pour la CNBF, 16 % des avocats exercent dans une SEL et 1 154 avocats ont déclaré de dividendes en 2006 sur un total de 46 641. La part des dividendes dans le revenu global des avocats en ayant déclaré était de 25 % en 2006. Alors que le nombre d'avocats déclarant des dividendes augmente constamment (340 en 2000, 1 154 en 2006), la part des dividendes dans leur revenu décroît régulièrement. Dans sa décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit. Avant d'analyser la constitutionnalité du régime des dividendes tel que réformé par la LFSS 2009 (I), il est nécessaire de faire le point sur le régime social de tels revenus (I).
Résumé

En réservant l'extension de l'assiette des cotisations sociales aux dividendes versés dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), le législateur a pris en considération la situation particulière des travailleurs non salariés associés de ces sociétés et répondu à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. En limitant le champ des dividendes soumis à cotisations sociales à ceux qui représentent une part significative du capital social de la société et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus par les intéressés, il a défini des critères objectifs et rationnels. La délimitation du champ de l'assiette des cotisations sociales qui en résulte ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

I - Régime des dividendes versés par les SEL, au regard des cotisations de sécurité sociale

A - Régime légal et réglementaire des dividendes versés par les SEL

1- Régime initial

La loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), a prévu que la SEL a pour objet l'exercice en commun de plusieurs des professions libérales. En application de l'article 5 de la loi, plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire de la société, par des professionnels en exercice au sein de la société. Enfin, la loi précise que les gérants, le président du conseil d'administration, les membres du directoire, le président du conseil de surveillance et les directeurs généraux ainsi que les deux tiers au moins des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance doivent être des associés exerçant leur profession au sein de la société (art. 12).

Le législateur (CSS, art. L. 311-2 N° Lexbase : L5024ADG) a également prévu une obligation d'affiliation visant expressément les gérants de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à condition que ces gérants ne possèdent pas ensemble plus de la moitié du capital social (4) ; les présidents du conseil d'administration, les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués des sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (5) ; les présidents et dirigeants des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées (6).

Enfin, des règles spéciales sont aménagées pour certaines professions, notamment, les avocats (CSS, art. L. 723-1 N° Lexbase : L7561HBN et L. 723-5 N° Lexbase : L3040ICL ; loi n° 2005-882 du 2 août 2005 art. 15 XIV N° Lexbase : L7582HEK).

Le décret n° 92-704 du 23 juillet 1992 (N° Lexbase : L0157IN7) encadre la pratique des dividendes et de la rémunération du compte courant d'associés. L'associé exerçant sa profession au sein d'une société d'exercice libéral peut mettre à la disposition de la société, au titre de comptes d'associés, des sommes dont le montant (fixé par les statuts) ne peut excéder deux fois celui de leur participation au capital. Tout autre associé peut mettre au même titre à la disposition de cette société des sommes dont le montant (fixé par les statuts) ne peut excéder celui de sa participation au capital (décret n° 92-704 du 23 juillet 1992, art. 1er).

Enfin, le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 (N° Lexbase : L0987IEB) a introduit dans le Code de la Sécurité sociale un article R. 131-2 (N° Lexbase : L1009IE4) aux termes duquel les sommes versées en compte courant correspondent au solde moyen annuel du compte courant d'associé. Ce solde moyen annuel est égal à la somme des soldes moyens du compte courant de chaque mois divisée par le nombre de mois compris dans l'exercice. Cet article R. 131-2 est important, car il définit les sommes soumises à cotisations, en application de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale.

Bref, comme le rappelle le Conseil constitutionnel (décision rapportée, considérant n° 7), en définissant le régime de la société d'exercice libéral, le législateur a entendu offrir aux travailleurs non salariés exerçant une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire (ou dont le titre est protégé la faculté de choisir un mode d'exercice de leur profession) qui institue un lien nécessaire entre cet exercice, le contrôle du capital de la société et la détention d'un mandat social, tout en autorisant, pour certaines professions, l'accès au capital de personnes physiques ou morales n'exerçant pas au sein de la société. Les associés majoritaires acquièrent la possibilité de verser les revenus tirés de l'activité de ces sociétés soit sous forme de rémunération, soit sous forme de dividendes et revenus des comptes courants.

2 - Réforme introduite par la LFSS 2009

La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (art. 22, N° Lexbase : L2678IC8) a inséré un troisième alinéa dans l'article L. 131-6 du CSS (7). Alors que seul le revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu entrait dans cette assiette, la loi y soumet, désormais, dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), la part des revenus mentionnés aux articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du Code général des impôts et des revenus visés au 4° de l'article 124 (N° Lexbase : L2139HLS) du même code qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant.

Depuis le 1er janvier 2009, est soumise à cotisations sociales la part des revenus perçus par les travailleurs indépendants libéraux, compte tenu de leur participation directe mais aussi de celle des conjoints (partenaires de PACS, et des enfants mineurs non émancipés) et qui excèdent 10 % du capital de la société, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant. Sont pris également en compte dans le calcul des revenus distribués susceptibles d'entrer dans l'assiette des cotisations les revenus tirés des sommes versées sur les comptes courants.

Cette modification législative s'est inscrite dans un mouvement engagé par les caisses de retraite des professionnels libéraux qui subissaient un manque à gagner à ne pouvoir appeler de cotisations sur les dividendes que se versaient les associés de SEL (8) ainsi que dans le prolongement de travaux institutionnels (not., Rapport "Fouquet", en 2008 (9)).

La LFSS (art. 22) a pour objet, selon les travaux parlementaires (10) :
- de limiter les abus de certains travailleurs indépendants qui se versent des dividendes plutôt que des salaires afin de limiter les cotisations sociales dont ils ont à s'acquitter ;
- de résoudre un conflit de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat (infra).

Or, le Conseil d'Etat relève que le Conseil constitutionnel (décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 N° Lexbase : A6887EBP) saisi de cette loi (LFSS 2009) a déclaré conformes à la Constitution ses articles 37 et 90 et a estimé, dans les motifs de cette décision, qu'il n'y avait pas lieu pour lui de soulever d'office une autre question de conformité à la Constitution ; il n'a déclaré les dispositions de l'article 22 de la loi conformes à la Constitution ni dans le dispositif de cette décision ni dans celui d'une décision postérieure.

B - Contentieux du régime social des dividendes

Les professions indépendantes ont soulevé la question de la nature des dividendes professionnels : constituent-ils, comme tous les dividendes, des revenus du patrimoine (et en tant que tels, exclus de l'assiette des cotisations sociales) ou correspondent-ils plutôt, en raison de leur caractère professionnel, à des rémunérations du travail (donc compris dans l'assiette des cotisations sociales) ? Les juridictions judiciaires et administratives ont adopté des positions contrastées qui ont nécessité l'intervention du législateur (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la Sécurité sociale pour 2009).

1 - Juges du fond

Dès 1997, le tribunal de grande instance de Grasse, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté que les seuls revenus de la SEL étaient les rémunérations perçues par les associés dans le cadre de leur activité d'avocats, a retenu que quelle que soit la forme que revêt la réversion des bénéfices, elle constitue un revenu professionnel et doit à ce titre être déclarée (11). En 1999, la cour d'appel d'Aix-en-Provence (statuant en appel sur cette affaire) a confirmé le jugement du tribunal en estimant que les rémunérations sous forme de dividendes devaient être soumises à cotisations sociales (12).

Cette position a été à plusieurs fois confirmée par les tribunaux de l'ordre judiciaire : par la cour d'appel d'Amiens en 2001 au sujet de médecins, par la Cour de cassation en 2003 à propos de notaires et enfin par la cour d'appel de Dijon en 2005 au sujet de chirurgiens-dentistes.

2 - Cour de cassation

Selon un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 18 novembre 1993 (13), l'inclusion d'une rémunération dans l'assiette des cotisations sociales n'est pas liée à la catégorie de revenus à laquelle est rattachée cette rémunération sur le plan fiscal. Elles s'affranchissaient ainsi de la qualification fiscale de dividendes en tant que revenus de capitaux mobiliers.

En 2006, la Cour de cassation s'est prononcée sur l'assujettissement aux cotisations sociales de revenus professionnels tirés de l'activité de chirurgien dentiste exercée dans le cadre d'une SEL (14). Un chirurgien-dentiste, gérant majoritaire d'une telle société, exerçait son activité professionnelle non salariée dans le cadre de la convention prévue par l'article L. 162-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6855IGY), les juges du fond décident à bon droit qu'affilié obligatoirement au régime d'assurance prévu par l'article L. 722-1, 3°, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1621GUL), celui-ci était redevable des cotisations sociales de ce régime calculées sur le résultat net de son activité libérale, peu important son intégration dans l'actif de la société.

En 2008, la Cour de cassation a confirmé que les bénéfices de la société qui ont été distribués à un associé majoritaire d'une SELARL, qui consistaient le produit de son activité professionnelle de chirurgien dentiste, devaient entrer dans l'assiette des cotisations sociales (15).

3 - Conseil d'Etat

En 2007, le Conseil d'Etat (16) a écarté l'assimilation de dividendes à des revenus du travail, au regard de leur assujettissement aux cotisations sociales, contrairement à la Cour de cassation. Alors même qu'en vertu de la loi du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, ces sociétés ont pour objet exclusif l'exercice en commun de ces professions, les dividendes versés aux associés des sociétés d'exercice libéral de médecins ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels. Aussi, en décidant d'intégrer ces dividendes dans la base des cotisations des régimes de base et complémentaire du régime d'assurance vieillesse des médecins, le conseil d'administration de la caisse autonome de retraite des médecins de France a illégalement ajouté aux dispositions des articles L. 642-1 (N° Lexbase : L7635DKY) et L. 642-2 (N° Lexbase : L3126ICR) du Code de la Sécurité sociale.

La position du Conseil d'Etat a été renouvelée dans un arrêt du 30 mai 2008 (17), relatif à la déductibilité des intérêts d'emprunt : un professionnel ayant acquis les parts de la société au sein de laquelle il exerce, s'il est autorisé à déduire les intérêts d'emprunt du montant de la rémunération qui lui est versée par la société, n'est pas en droit de le faire des dividendes que cette société lui verse, la rémunération étant un revenu professionnel, alors que les dividendes sont un revenu patrimonial privé.

II - Constitutionnalité du traitement social des sommes versées par les SEL

A - La question de la constitutionnalité du régime social des sommes versées

Le Conseil constitutionnel (décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008) saisi de la LFSS 2009 a déclaré conformes à la Constitution ses articles 37 et 90 et a estimé qu'il n'y avait pas lieu pour lui de soulever d'office une autre question de conformité à la Constitution. Il n'a déclaré les dispositions de l'article 22 de la loi conformes à la Constitution ni dans le dispositif de cette décision ni dans celui d'une décision postérieure.

Aussi, le Conseil d'Etat (CE, 1° et 6° s-s-r., 14 juin 2010, n° 328937, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2624EZ9) a conclu que le moyen tiré de ce que le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale qui assujettit aux cotisations de sécurité sociale une fraction des revenus distribués et produits de compte courant versés par les seules sociétés d'exercice libéral, porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Devant le Conseil constitutionnel, les trois requérants (l'ANSEL, le CNB et l'Association des avocats conseils d'entreprises) contestaient également la constitutionnalité de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale, alinéa 3, au regard des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Sur ces fondements, l'ANSEL contestait quatre différences de traitement qui étaient, à ses yeux, injustifiées : entre les professionnels libéraux, d'une part, et les autres travailleurs indépendants que sont les artisans et les commerçants, d'autre part ; entre professionnels libéraux, selon qu'ils exercent sous forme d'une société de droit commun (experts-comptables, conseils en propriété industrielle, pharmaciens, architectes) ou dans une SEL ; entre les gérants des SEL, selon qu'ils sont majoritaires ou minoritaires ; entre les associés de SEL à responsabilité limitée (SELARL) et les associés de sociétés civiles professionnelles (SCP) et d'associations ayant opté pour l'impôt sur les sociétés.

B - La reconnaissance de la constitutionnalité du régime social des sommes versées

Par sa décision rapportée, le Conseil constitutionnel a procédé en trois temps : il a défini les spécificités de la situation examinée pour déterminer si la différence de traitement pouvait être justifiée par une différence de situations en rapport direct avec l'objet de la loi ; il a rappelé le motif d'intérêt général en rapport direct avec la loi pouvant justifier une différence de traitement ; il a examiné le caractère objectif et rationnel des critères qui fondaient la différence de traitement en fonction des buts que le législateur se propose.

Premièrement, le Conseil constitutionnel, conformément à sa jurisprudence (18), évoque les différents aspects du principe de l'égalité de traitement. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes (décision rapportée, considérant n° 5). Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (considérant n° 6).

Deuxièmement, le motif d'intérêt général en rapport direct avec la loi susceptible de justifier une différence de traitement est en réalité multiple et pluriel (considérant n° 8). Pour le Conseil constitutionnel, en incluant dans l'assiette des cotisations sociales une partie des dividendes et produits des comptes courants issus de l'activité d'une société d'exercice libéral et perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés, le législateur a entendu :
- dissuader le versement de dividendes fondé sur la volonté de faire échapper aux cotisations sociales les revenus tirés de l'activité de ces sociétés. En d'autres termes, le législateur a entendu dissuader les arbitrages rémunération-dividendes motivés par la volonté de réduire l'assiette des cotisations sociales, c'est-à-dire sanctionner la substitution indue d'un dividende à une rémunération ;
- éviter des conséquences financières préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux en cause ;
- mettre fin à des divergences de jurisprudence sur la définition de l'assiette des cotisations sociales versées par les associés majoritaires des sociétés d'exercice libéral et éviter par là même le développement de contestations (19).

Enfin, troisièmement, le Conseil constitutionnel a opéré un contrôle circonstancié des motifs ayant conduit le législateur à mettre en place un assujettissement aux cotisations sociales des dividendes, réalisant ainsi une différence de traitement avec d'autres travailleurs indépendants (considérant n° 9). En réservant l'extension de l'assiette des cotisations sociales aux dividendes versés dans les SEL, le législateur a pris en considération la situation particulière des travailleurs non salariés associés de ces sociétés et répondu à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. En limitant le champ des dividendes soumis à cotisations sociales à ceux qui représentent une part significative du capital social de la société et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus par les intéressés, il a défini des critères objectifs et rationnels. Bref, la délimitation du champ de l'assiette des cotisations sociales qui en résulte ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.


(1) Les cahiers du Conseil constitutionnel, cahiers n° 29 ; lire nos obs., Le Conseil constitutionnel met fin à la "cristallisation" des pensions de retraite des ressortissants des anciennes colonies françaises, note sous Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6283EXY), Lexbase Hebdo n° 397 du 3 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2970BPP).
(2) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1391BL4). Selon J.-Y. Mercier, la loi traite différemment des personnes placées dans des situations identiques. Tel est le cas d'un texte qui frappe, au sein d'une même profession, les associés ayant fait le choix de la SEL et épargne ceux qui ont retenu la forme commerciale de droit commun (SARL plutôt que SELARL, comme il est permis aux experts-comptables et aux notaires) ou ont eu recours à la SCP assujettie à l'impôt sur les sociétés (avocats, notaires, par exemple).
(3) Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires sur les indépendants, mars 2008, extraits, p. 110 et s..
(4) Etant entendu que les parts appartenant, en toute propriété ou en usufruit, au conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité compris, et aux enfants mineurs non émancipés d'un gérant sont considérées comme possédées par ce dernier. V. CSS, art. L. 311-2, 11° (N° Lexbase : L5024ADG).
(5) CSS, art. L. 311-2, 12°.
(6) CSS, art. L. 311-2, 23°.
(7) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, préc..
(8) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, préc.. Des abus ont été commis, qui consistaient, pour le gérant majoritaire de la SELARL, à se verser une rémunération dérisoire au titre de son activité professionnelle et à laisser le surplus dans la caisse de la société, afin d'en récupérer une partie sous forme de dividendes. De cette façon, le gérant associé les fait échapper aux cotisations sociales.
(9) Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les Urssaf et prévenir les abus, rapport au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, présenté par O. Fouquet, président de Section au Conseil d'Etat, juillet 2008 ; Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires sur les indépendants, mars 2008.
(10) Assemblée Nationale, troisième séance du 30 octobre 2008, Journal officiel Débats Assemblée nationale, p. 6615 ; Sénat, séance du 17 novembre 2008, Journal officiel Débats Sénat, p. 6906.
(11) TGI Grasse, 13 août 1997, n° 916/97.
(12) CA Aix-en-Provence, 25 mai 1999, n° 97/22162.
(13) Cass. soc., 18 novembre 1993, n° 90-21.673 (N° Lexbase : A6364ABC), Bull. civ. V, n° 282 p. 191. La fonction de président d'une chambre de métiers constitue une activité non salariée, qui, même exercée à titre accessoire, entre dans les prévisions de l'article R. 241-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3783IM3). En conséquence, c'est à bon droit qu'ayant constaté que les indemnités perçues à l'occasion de l'activité de président de chambre de métiers ne constituaient pas le remboursement de dépenses liées à cette fonction, un tribunal a décidé que ces sommes, quelle que soit la catégorie de revenus dont elles relevaient au plan fiscal, devaient, eu égard aux dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 9 août 1974, être soumises aux cotisations personnelles d'allocations familiales des employeurs et des travailleurs indépendants.
(14) Cass. civ. 2, 21 juin 2006, n° 04-30.743, FS-P+B (N° Lexbase : A9874DPE), Bull. civ. II, n° 167 p. 160. Le dentiste invoquait avec une certaine mauvaise foi que seuls les honoraires perçus par les praticiens médicaux dans le cadre de cette activité donnent lieu à cotisations au profit de ce régime. Le dentiste soutenait qu'il tirait l'intégralité de ses revenus de ses fonctions de gérant majoritaire d'une société d'exercice libéral et non et non d'une activité de praticien médical conventionné, dès lors qu'il ne percevait pas d'honoraires, ceux-ci étant perçus par la société.
(15) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5228D87), Bull. civ. II, n° 113. Un chirurgien dentiste, qui avait exercé sa profession à titre individuel, constitue une SELARL dont il est l'associé unique (détenant 499 des 500 parts sociales). Il se verse une rémunération au titre de ses fonctions de gérant mais affecte l'intégralité des revenus provenant de son activité de chirurgien-dentiste à sa société. Il répond à la CARCD, à laquelle il n'est pas affilié et qui lui réclame le paiement des cotisations qu'il dépend uniquement du régime de retraite des professions industrielles et commerciales et du régime maladie des travailleurs indépendants, en sa qualité de gérant associé non salarié de la SELARL. La Cour de cassation, approuvant la cour d'appel, fait, toutefois, droit aux demandes de la caisse de retraite, énonçant que "les bénéfices de la société qui ont été distribués à un associé majoritaire d'une SELARL, qui consistaient le produit de son activité professionnelle de chirurgien dentiste, devaient entrer dans l'assiette des cotisations litigieuses". La Haute cour considère qu'en réalité le chirurgien dentiste n'a jamais cessé son activité à titre indépendant, mais l'a simplement déguisée sous la forme d'une exploitation en société.
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 293642 (N° Lexbase : A5808DZ7).
(17) CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 274480 (N° Lexbase : A4466D9B).
(18) Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 (N° Lexbase : A8751AC4) ; Décision n° 91-302 DC du 30 décembre 1991 (N° Lexbase : A8251ACL) ; Décision n° 2006-541 DC du 28 septembre 2006 (N° Lexbase : A3672DRG) ; Décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 (N° Lexbase : A6887EBP) ; Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6283EXY).
(19) Décision n° 93-332 DC du 13 janvier 1994 (N° Lexbase : A8298ACC) (cons. 13 et 14) : le législateur a entendu mettre fin à des divergences de jurisprudence et éviter par là même le développement de contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner des conséquences financières préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux en cause et il lui était loisible d'user comme lui seul pouvait le faire en l'espèce, de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de régler pour des raisons d'intérêt général les situations nées des divergences de jurisprudence.

Décision

Cons. const., décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010 (N° Lexbase : A9232E73)

Textes concernés : CSS, art. L. 131-6 (N° Lexbase : L3040IEC) ; Décret n° 92-704 du 23 juillet 1992 (N° Lexbase : L0157IN7) pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (N° Lexbase : L3046AIN) ; décret n° 2009-423 du 16 avril 2009, relatif à la détermination du capital social et des sommes versées en comptes courant d'associés des sociétés d'exercice libéral (N° Lexbase : L0987IEB).

Mots-clés : Professions libérales ; SEL ; cotisations sociales ; dividendes ; inclusion dans l'assiette de cotisations (oui)

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