La lettre juridique n°407 du 9 septembre 2010 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Septembre 2010

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouvera un arrêt rendu le 23 juin 2010 par lequel la Cour de cassation étend, en matière d'assurance de marchés publics, l'étendue des pouvoirs du juge administratif en jugeant que le juge judiciaire ne saurait se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celui-ci est titulaire d'un marché de travaux publics et qu'il s'agit d'une personne publique. A l'honneur également, un arrêt du 1er juillet 2010 qui revient sur la sanction d'un défaut de mise en garde de l'assureur (via son courtier mandataire) par l'indemnisation de la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté.
  • Assurances de marchés publics : étendue des pouvoirs du juge administratif (Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-14.592, F-P+B+I N° Lexbase : A2718E33)

Pour qui n'était déjà guère friand de droit des marchés publics, les réformes successives, pour ne pas dire saccadées, du Code des marchés publics au cours de ces dernières années, ne pouvaient guère susciter ni la gourmandise, ni même l'appétit intellectuel. Pourtant, pour le spécialiste du droit des assurances, c'est une petite révolution qui a été réalisée ne pouvant être ignorée ou occultée. Pour qui n'aurait pas suivi ce véritable feuilleton juridique légal -que nos amis publicistes nous autoriseront à qualifier de fastidieux, voire aride pour des privatistes- précisons donc que les législateurs national et européen ont eu, il y a plus de vingt ans -pour quasi obsession- le souci d'éviter ou de limiter toute tentation de corruption ou tout au moins de préférence octroyée à une personne morale plutôt qu'à une autre.

C'est la raison pour laquelle la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier dite loi "MURCEF" (N° Lexbase : L0256AWE) (1) a décidé que, désormais, les litiges en matière de droit des contrats d'assurance concernant une personne publique relevaient des juridictions de droit administratif et non de droit judiciaire. Cependant, des zones d'ombres demeuraient ; par conséquent, le contentieux était prévisible. D'ailleurs, il eut été surprenant que l'articulation du droit des assurances et du droit des marchés publics s'effectue sans la moindre hésitation, interrogation juridique et heurt entre les juridictions de droit public et de droit privé. Toutefois, ce n'est pas à une opposition ou une résistance de la Cour de cassation à laquelle nous assistons ; loin s'en faut.

En témoigne cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 23 juin 2010 qui ne saurait donc passer inaperçu, d'autant qu'il n'a pas été tout à fait le seul, en quelques jours, en matière de marchés publics et de contrat d'assurance. Un autre arrêt, du 9 juin cette fois (2), a été publié sur le même thème, qui s'avère d'ailleurs d'une portée sans commune mesure. Dans la présente affaire, la Cour de cassation a prévu que l'arrêt fasse l'objet d'une information. Une commune, assurée, avait donné à bail des locaux, incendiés. L'assureur de la commune ayant réglé l'indemnité d'assurance agissait contre le locataire et son assureur pour obtenir le paiement des sommes réglées par ces derniers.

Appliquant les règles issues de la loi "MURCEF", les premiers juges judiciaires s'étaient déclarés incompétents et le tribunal administratif, saisi ensuite, avait préféré renvoyer l'affaire devant le tribunal des conflits. Or ce dernier avait considéré que la juridiction de l'ordre judiciaire était compétente, dans un tel cas de figure pour connaître du litige opposant les deux assureurs. La cour d'appel s'était crue autorisée à interpréter l'attitude du tribunal des conflits (T. confl., 17 décembre 2007, n° 3633 N° Lexbase : A1581D3X) comme une volonté de distinguer, d'une part, le fonctionnement de l'action directe et la subrogation de l'assureur dans les droits de la victime, et, d'autre part, l'action en responsabilité. La Cour de cassation, soucieuse des prérogatives désormais acquises au juge administratif, censure celle-ci.

Dans l'arrêt du 9 juin 2010, un OPHLM, organisme public donc, avait fait réaliser une opération immobilière ayant donné lieu à des désordres. Rien que de très banal, hélas. Cette victime s'était adressée à l'assureur de l'entreprise de maîtrise d'oeuvre qu'elle avait engagée pour coordonner les travaux, en se fondant sur l'action directe dont elle bénéficiait. Indiquons tout de suite que ce qui retient l'attention est la différence d'analyse de la cour d'appel et de la Cour de cassation sur la faculté dont dispose ou non le juge d'apprécier la faute de l'assuré et sa responsabilité dans de telles circonstances. Pour les juges du fond, la juridiction judiciaire, jalouse de ses prérogatives ancestrales, serait "seule compétente pour connaître de l'appréciation des garanties d'assurance que supposent l'analyse d'un contrat de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de l'assuré relèverait du juge administratif". Par conséquent, dans l'ordre chronologique, l'action directe serait recevable devant le juge judiciaire, sans que ce dernier ait besoin de faire reconnaître, au préalable, par le juge administratif, la responsabilité de l'assuré.

Cependant, pour la Cour de cassation, la situation est plus claire et nette, fut-elle défavorable au juge judiciaire : ce dernier ne saurait se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celui-ci est titulaire d'un marché de travaux publics et qu'il s'agit d'une personne publique. D'une droiture exemplaire, sans faille, notre Haute juridiction judiciaire fait volontiers la révérence à ses homologues publicistes. Bel exemple, en dehors de toute autre considération juridique, de loyauté, comme de respect tant des dispositions légales, car, quoiqu'on en pense, ce sont elles qui en ont décidé ainsi, que de la jurisprudence administrative. Notons que, par le passé, dans un tout autre domaine, celui des clauses claim's made, ce sont les juges administratifs, lors de l'élaboration de l'arrêt "Beule" (CE, 29 décembre 2000, n° 212338, M. Beule et autres N° Lexbase : A1938AIM), qui avaient adopté une analyse, au mot près, identique à celle de la Cour de cassation dans sept arrêts du 19 décembre 1990. Bel exemple de politesse et de respect mutuel entre nos plus Hauts magistrats des deux ordres.

A dire vrai, dans les deux arrêts, la Cour de cassation accomplit davantage encore. Elle confie au juge administratif l'un des derniers pans du droit privé dont l'attribution demeurait un peu incertaine en matière de marchés publics. Les opinions pourront certes être partagées. Les nostalgiques pourront objecter qu'il ne sera pas aisé, pour le juge de droit public, de statuer sur des aspects du droit qui ne lui sont pas familiers. La faute et la responsabilité en droit public ne seraient pas celles du droit privé. Sans doute ne peut-on pas nier l'existence de différences ; toutefois, l'histoire récente de la jurisprudence de part et d'autre est celle de rapprochements croissants. Que l'on songe aux décisions en matière de responsabilité médicale ayant anticipé sur l'évolution législative.

Plus encore, il convient sans doute d'approuver la Cour de cassation dans la démarche tendant à ne pas créer des distinctions byzantines. Sans doute, la doctrine perd-elle ainsi une occasion de s'évertuer à trouver une cohérence dans des décisions ultérieures qui n'auraient pas manqué de laisser dubitatif, dans certaines circonstances particulières. Le souci de clarté le plus grand possible doit plutôt être approuvé de la part de la Cour de cassation, même s'il ne faut pas exclure que l'avenir nous réserve des surprises. La lettre de la loi est connue. Même si elle comporte des failles dans lesquelles il serait aisé de s'infiltrer, la Cour de cassation ne souhaite pas prêter le flanc à des interprétations en série qui ne bénéficieront pas au justiciable.

Les joutes intellectuelles y perdent ; une certaine simplicité y gagne dans une configuration qui inquiétait les magistrats eux-mêmes, surtout de droit public, non sans raisons.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Sanction d'un défaut de mise en garde de l'assureur (via son courtier mandataire) par indemnisation de la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté : la deuxième chambre civile rejoint la première et la Chambre commerciale (Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-15.594, FS-P+B pourvoi incident N° Lexbase : A2299E4W)

Cet arrêt du 1er juillet 2010 est le fruit d'un véritable "marathon judiciaire", puisque cet arrêt, rendu après 16 ans de contentieux entre un assuré, son courtier et son assureur, constitue un "troisième tour" devant la Cour de cassation.

Au commencement de cette "longue bataille procédurale", il est un assuré, exerçant une activité professionnelle informatique à son domicile, qui conclut, en décembre 1995, via un courtier dont la qualité de mandataire de l'assureur sera judiciairement reconnue, une "multirisque habitation" auprès d'un assureur A. Il souscrit le 18 janvier 1996 auprès d'un assureur B une police "tous risques informatiques" qui garantit le mobilier informatique mais exclut expressément l'indemnisation des pertes d'exploitation. Victime d'un sinistre (vols de matériels informatiques), il s'est tourné vers l'assureur A qui a refusé de l'indemniser de la perte de ce matériel.

L'arrêt rapporté ne renseigne pas sur une éventuelle action à l'encontre de l'assureur B, ni sur l'application des règles de l'assurance cumulative au titre des pertes matérielles. Mais il est vrai que le point le plus délicat, pierre d'achoppement ici, reposait sur les pertes d'exploitation essuyées par ce professionnel. Or, les pertes d'exploitation étant exclues du contrat "tous risques informatiques" conclu avec l'assureur B, on comprend que ce dernier n'ait pas été concerné et que l'assuré ait "concentré" ses recours contre l'assureur A.

De cet itinéraire judiciaire, on retiendra que la cour d'appel de Paris a, le 16 janvier 2001, "décidé que la police souscrite par M. X auprès de [l'assureur A] ne couvrait pas le vol de son matériel informatique". Cet arrêt "a été cassé par arrêt de la Cour de cassation en date du 5 mai 2004" et "l'arrêt rendu le 9 décembre 2005 par la cour d'appel statuant sur renvoi de cassation a été cassé partiellement par arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 décembre 2006 en ce qu'il a débouté M. X de sa demande en paiement des préjudices immatériels subis" (3).

On comprend donc que l'assuré n'ait pas limité sa demande d'indemnisation aux seules pertes matérielles, mais qu'il ait cherché à être indemnisé du chef des pertes immatérielles éprouvées.

Cependant, autant il est courant de prévoir la couverture de tels risques dans les contrats d'assurance à finalité professionnelle, autant celle-ci est étrangère à la multirisque habitation "ordinaire". Or, en l'espèce, cet informaticien à domicile sollicitait ici son assureur "multirisque habitation"...

Dans ce contexte, il n'est guère surprenant qu'à défaut de couverture de ce risque, il ait cherché à se prévaloir d'un manquement de son courtier et de son assureur à leur devoir de mise en garde et de conseil, pour n'avoir pas attiré son attention sur le caractère incomplet, voire inadapté du contrat d'assurance proposé.

Chacun connaît la bonne fortune de ce devoir de mise en garde qui, imputé aux banquiers à l'égard des emprunteurs non-avertis (4), vaut pleinement en matière d'assurance, comme l'a notamment mis en lumière un arrêt d'Assemblée plénière du 2 mars 2007 (5).

Le législateur n'a d'ailleurs pas attendu pour, en matière d'assurance, préciser les obligations de l'intermédiaire d'assurance. C'est l'objet de l'article L. 520-1, II, 1°, c) du Code des assurances (N° Lexbase : L7113ICG) qui énonce, spécialement pour le courtier d'assurance non "soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec une ou plusieurs entreprises d'assurance et qu'il se prévaut d'un conseil fondé sur une analyse objective du marché, [qu'] il est tenu d'analyser un nombre suffisant de contrats d'assurance offerts sur le marché, de façon à pouvoir recommander, en fonction de critères professionnels, le contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur éventuel".

C'est de ce problème dont a été saisie la cour de Versailles, dont la décision, rendue le 14 mai 2009, fait l'objet du pourvoi jugé par le présent arrêt, qui souligne :

"la cour d'appel relève que [...] le matériel informatique professionnel installé dans la résidence principale de l'assuré était couvert par la police souscrite auprès de la société Le Continent par l'intermédiaire de la société IART conseil, et qu'il revenait à cet assureur ou/et à cette dernière société par l'intermédiaire de laquelle il avait contracté, de l'informer et de le conseiller sur la possibilité ou l'impossibilité de contracter la garantie complémentaire 'dommages professionnels immatériels' ; qu'elle retient que les conditions de conclusion de ce contrat et ce contrat en lui-même ayant légitimement pu persuader M. X que la société IART conseil était le mandataire de la société d'assurance Le Continent, celui-ci était fondé à invoquer la théorie du mandat apparent et à rechercher la responsabilité de la société Generali pour les éventuels manquements commis par la société IART conseil ; qu'il appartenait à cette société d'aviser M. X de la possibilité de souscrire la garantie complémentaire dommages professionnels immatériels consécutifs ou de l'orienter utilement vers une couverture adaptée de l'entier risque à garantir ; qu'elle retient que lors de la conclusion du contrat d'assurance auprès de la société Le Continent le 8 décembre 1995, M. X avait pu croire que ce contrat couvrait les risques professionnels".

On comprend ici le rôle déterminant du courtier, mandataire de l'assureur de sorte que ses manquements vont engager la responsabilité de l'assureur.

Alors qu'une assurance multirisque habitation n'a, objectivement, rien qui puisse donner à penser à un assuré professionnel "lambda" qu'elle puisse être adaptée à la couverture de risques professionnels, à partir du moment où l'assuré se tourne vers un courtier, professionnel de l'assurance, celui-ci est tenu de l'éclairer sur l'adéquation de ce contrat avec sa situation.

Si tel n'est pas le cas, le courtier doit lui suggérer soit la conclusion d'un contrat mieux adapté, soit la conclusion d'un contrat complémentaire.

Quand le manquement est consommé, comment le réparer ?

La jurisprudence a pris le parti de n'y voir qu'une perte d'une chance de contracter, ce qui, comme chacun sait, conduit à une indemnisation, souverainement appréciée par les juges du fond, bien moindre que le dommage causé par l'inexistence d'un tel contrat.

L'arrêt examiné en est une parfaite illustration puisque la Cour de cassation approuve les juges versaillais d'avoir apprécié cette perte d'une chance en la fixant à (seulement) 5 %...

L'arrêt s'inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle dont un arrêt émanant de la Chambre commerciale, rendu le 20 octobre 2009 à propos d'un manquement au devoir de mise en garde d'une caution, est considéré comme ayant fixé le principe aux termes duquel : "le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter" (6).

La Chambre commerciale y censurait une cour d'appel qui, pour sa part, avait choisi d'indemniser la caution intégralement, en lui accordant des dommages-intérêts calqués sur la somme due en raison de la défaillance du débiteur principal.

La censure avait été vigoureuse, aux motifs que : "pour condamner la caisse à payer à Mme X une indemnité égale au montant de la dette, l'arrêt retient que le préjudice découlant du manquement de la caisse à son devoir de mise en garde envers Mme X consiste pour celle-ci à devoir faire face au remboursement du prêt consenti à Mme Y à concurrence du montant de son engagement ; Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé" l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).

On notera qu'une doctrine a exprimé de vives réserves à l'égard d'une telle analyse (7). Il est, effectivement à craindre qu'avec cette analyse, la réparation accordée puisse être, en réalité, fort éloignée du préjudice subi...

Ce faisant, la Chambre commerciale nous semble avoir rejoint la première chambre civile qui, dans un arrêt du 18 septembre 2008 (8), avait jugé que "la cour d'appel [...] a décidé que si le manquement de la société Carpi à son devoir de conseil pour n'avoir pas informé Mme X de ce que l'assurance assortissant le prêt ne garantissait pas le risque invalidité permanente l'avait privée de la possibilité de s'adresser à d'autres assureurs, ceux-ci, s'ils avaient accepté de garantir ce risque, lui auraient alors réclamé un supplément de prime qui aurait pu lui faire renoncer à cette garantie ; qu'ainsi, sans méconnaître l'objet du litige ni le principe de la contradiction, elle a considéré que le préjudice imputable s'analysait en une perte de chance qu'elle a souverainement évalué".

C'est exactement dans cette logique que se place la deuxième chambre civile qui, dans cet arrêt du 1er juillet 2010, souligne que :

"c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle que la cour d'appel a évalué la perte de chance subie par M. X en ne contractant pas de garantie pour pertes d'exploitation du fait de la défaillance du courtier de la société Generali ; et attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que M. X ait soutenu qu'il avait volontairement souscrit la garantie auprès d'Axa sans y inclure les pertes d'exploitation pour cette raison qu'il croyait que ces pertes étaient garanties par la société Le Continent"

La deuxième chambre civile rejoint ainsi les deux autres formations de la Cour, en déployant ici une logique limpide : l'indemnité allouée au créancier du fait du défaut de mise en garde ne saurait correspondre au coût total de son préjudice immatériel, car on ne peut affirmer avec certitude que l'assuré, dûment informé, aurait pris le parti de conclure l'assurance complémentaire. Et on ne peut davantage affirmer qu'il a conclu l'assurance tous risques informatiques sans couverture des pertes d'exploitation auprès de l'assureur B dans la croyance erronée qu'il l'était au titre du contrat d'assurance conclu avec A.

Dans cette incertitude, pour que la fixation des dommages-intérêts liés à cette perte de chance d'être bien couvert ne tourne pas à la "lecture dans une boule de cristal", les juges doivent examiner, in concreto, tous les indices de nature à éclairer sur la probabilité, forte ou faible, que l'assuré eût décidé de souscrire l'assurance qui lui a fait défaut par manque d'information.

Or, en l'espèce, un tel élément existe, puisque la conclusion du contrat tous risques informatiques auprès de l'assureur B avec exclusion expresse des pertes d'exploitation a eu lieu un mois et demi après conclusion de l'assurance multirisque habitation avec l'assureur A. Les juges du fond ont donc considéré que si l'assuré avait pu, en janvier 1996, conclure en conscience un contrat dépourvu de cette assurance, la probabilité que, dûment informé par son courtier du caractère incomplet de son assurance habitation, il eût conclu, un mois et demi plus tôt, une assurance ad hoc est faible.

Le raisonnement est imparable, qui a conduit les juges du fond à fixer l'indemnité à hauteur de 5 % du préjudice subi, soit 15 000 euros, et la Cour de cassation à les approuver en renvoyant à leur analyse souveraine des éléments de la cause.

Ce sont donc des circonstances d'espèce qui expliquent une indemnité aussi faible. La sanction se veut essentiellement symbolique, car le défaut de conseil et de mise en garde doit, en toute occurrence, être réprimé.

Il nous semble que cette jurisprudence doit être approuvée, à condition que les circonstances permettant de cerner in concreto la probabilité d'avoir, en étant bien éclairé, conclu un contrat adapté existent.

Dans le doute, il faudrait sans doute s'en remettre à l'image d'un "assuré moyen", c'est-à-dire privilégier une analyse in abstracto, et ne pas hésiter à faire approcher le plus possible les dommages-intérêts pour perte d'une chance de contracter du dommage réellement subi...

On n'ose finir ces observations en soulignant que cet arrêt du 1er juillet 2010 procède, pour un motif de procédure, à une cassation partielle avec renvoi devant la cour de Versailles autrement composée.

Ainsi, après 16 ans de procédure, l'assuré, qui avait espéré beaucoup (300 000 euros s'il avait obtenu réparation de son préjudice immatériel à 100 %), sera indemnisé de peu (15 000 euros, soit 5 %), par une somme sans doute absorbée par ses frais d'avocats (on notera que l'arrêt n'accorde aucune indemnité au titre de l'article 700), et que la fin du "feuilleton" consistera à déterminer la part contributive de l'assureur RC du courtier taisant et de l'assureur (bien mal) représenté par ce mandataire peu soucieux de son devoir de mise en garde.

La fable du "taiseux" (le courtier) et du "teigneux" (l'assuré) a trouvé sa morale : la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté se mesure au poids des circonstances et des comportements des acteurs de la pièce...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) JO du 12 décembre 2001.
(2) Cass. civ. 1, 9 juin 2010, n° 09-13.026, F-P+B (N° Lexbase : A0094EZI).
(3) Cass. civ. 1, 5 mai 2004, n° 01-03.282, F-D (N° Lexbase : A0440DCB) ; Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-12.667, F-D (N° Lexbase : A1187DT7).
(4) Notamment depuis Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts publiés, n° 05-21.104, Epoux X (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673 (N° Lexbase : A9646DW8), Bull. ch. mixte n° 7 et n° 8. Adde, pour l'actualité (nombreuse eu égard aux arrêts rendus sur le fondement de cette obligation), cf. J. Lasserre Capdeville, Précisions utiles sur l'obligation de mise en garde du banquier, Recueil Dalloz, 2009 p. 2318.
(5) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX).
(6) Cass., com., 20 octobre 2009, n° 08-20.274, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2384EMA).
(7) Dimitri Houtcieff, La perte d'une chance de ne pas cautionner ou l'indemnisation du hasard et des coïncidences, Recueil Dalloz, 2009 p. 2971.
(8) Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 06-17.859, FS-P+B+I ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2727597, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 1, 18-09-2008, n\u00b0 06-17.859, FS-P+B+I, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A3909EAZ"}}).

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