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par L'Association française des juristes d'entreprise
le 27 Mars 2014
Association française des juristes d'entreprise (AFJE) : Votre parcours est un exemple intéressant pour des jeunes se destinant à la profession de juriste d'entreprise. Comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez actuellement ?
Philippe Marchandise : Sorti du Collège Saint-Michel à Bruxelles en 1973, j'ai fait mes deux premières années (que nous appelons "candidatures" en Belgique) en droit et en sciences économiques aux Facultés de Saint-Louis, mes licences à l'Université catholique de Louvain (UCL) à Leuven et enfin une année en néerlandais à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) en droit des affaires. Nous sommes alors en juin 1979, à l'aube des congés scolaires. Pour moi, c'est l'envoi de CV dans les cabinets d'avocats et les entreprises, un peu de vacances, beaucoup d'entretiens, une hésitation entre le barreau et le privé, et le choix finalement de l'entreprise. Le 3 septembre 1979 fut mon premier jour chez PetroFina et plus de trente ans plus tard, j'y suis toujours, dans une entreprise devenue aujourd'hui une des majors dans le monde depuis les rapprochements avec Total et Elf en 2000.
AFJE : Quel regard portez-vous justement sur votre parcours ?
Philippe Marchandise : Difficile de résumer autant d'années. Disons simplement que cela reste un plaisir de travailler comme juriste d'entreprise : la diversité des dossiers, leur suivi du début jusqu'à la fin, la concertation avec le management, le caractère international de l'entreprise, l'ouverture sur le monde du secteur de l'énergie (énergies fossiles et énergies renouvelables, comme le solaire ou plus précisément le photovoltaïque). J'ai eu la chance d'avoir eu, dès le début, des patrons rigoureux qui m'ont poussé et formé à l'écriture d'articles scientifiques. S'y ajoutent, de manière occasionnelle, le contact avec le palais de justice (comme magistrat au tribunal de commerce de Bruxelles) et avec le monde académique (comme enseignant à l'Université de Liège) dans le cadre d'un cours de droit des obligations.
AFJE : Que représente aujourd'hui pour vous le métier de juriste d'entreprise ?
Philippe Marchandise : C'est un métier vivant et passionnant car le juriste d'entreprise est bien vite au coeur des dossiers. Pour beaucoup, vu de l'extérieur, c'est "comme un avocat, sauf que son bureau est dans l'entreprise". Il est vrai que ces deux professions exercent la même fonction (donner des avis juridiques) et que tous deux sont des collaborateurs de la Justice. Il n'empêche que le métier de juriste d'entreprise et celui d'avocat, certes complémentaires, se différencient par divers aspects.
Tout d'abord, contrairement à ce que certains pourraient (encore) penser, le juriste d'entreprise n'est pas l'empêcheur de tourner en rond : au contraire, il est là pour aider les affaires de l'entreprise à se développer. C'est en quelque sorte un créateur de solutions juridiques. Ensuite le juriste d'entreprise gère les risques juridiques auxquels l'entreprise est exposée. Ici, il est un manager d'enjeux juridiques. Le juriste d'entreprise est celui qui anticipe : il initie des changements pour tenir compte de l'évolution prévisible des règles du droit. Enfin, il gère des actifs : filiales et sous-filiales qu'il fait vivre sur le plan juridique, biens immobiliers et mobiliers, brevets, marques ou encore savoir-faire qui appartiennent à l'entreprise.
AFJE : En quoi l'obtention du secret professionnel pour les juristes d'entreprise en France serait-il une nécessité ?
Philippe Marchandise : Comment pourriez-vous vivre sans respirer ? Il en va de même pour le juriste d'entreprise ! Comment pourrait-il exercer convenablement -et sans aucun doute faut-il ajouter, à armes égales avec ses confrères à l'étranger- son métier de conseil juridique dans l'entreprise, s'il n'a pas la garantie réelle que l'ensemble de ce qui lui est confié sous le sceau du secret ne pourra pas être saisi par la suite et raconté sur tous les toits ? Et comment pourrait-il rendre un avis juridique digne de ce nom s'il ne connaît pas tous les tenants et aboutissants du dossier qui lui est soumis pour avis ? Il n'y a pas (ou plus) de raisons valables pour dénier à ses avis le bénéfice de la confidentialité ou pour prétendre que les juristes d'entreprise ne doivent pas être soumis au secret professionnel. La loi française du 31 décembre 1971, sur les professions juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), va dans le bon sens, mais elle n'est pas suffisante. Aujourd'hui, que le juriste d'entreprise travaille comme indépendant ou sous contrat d'emploi doit être sans importance : le rapport "Darrois" (à la suite du rapport "Cohen" aux Pays-Bas) l'a brillamment démontré. Le législateur belge l'a également bien compris en faisant voter au Parlement (à l'unanimité du Sénat et à la quasi-unanimité de la Chambre) la loi du 1er mars 2000 créant un Institut des juristes d'entreprise.
AFJE : En quoi le métier de juriste d'entreprise serait-il différent en Belgique ?
Philippe Marchandise : Il n'y a pas vraiment de différences. Sur le fond, le métier est le même. Sur la place du droit ou de la fonction juridique dans l'entreprise, je constate des variations selon les pays. Il y a par exemple au Royaume-Uni, une plus forte implication des juristes dans l'entreprise voire une prise en compte plus systématique de leurs avis, encore que les choses évoluent dans la bonne direction au pays de Voltaire. Peut-être est-ce dû à un système d'enseignement différent ou à une autre organisation des professions juridiques ? Mais comme dans tout binôme (ici entreprise-juriste), les torts sont partagés : peut-être certains juristes seraient-ils encore trop frileux ou pas assez assertifs ? Peut-être certains expliqueraient-ils mal à leurs interlocuteurs leur pouvoir (en fait leur arme ultime) de dire "non" ?
AFJE : Juristes trilingues, hyperspécialisés tout en étant généralistes, le tout pour un salaire très raisonnable. Aujourd'hui, quels profils recherchent réellement les entreprises ?
Philippe Marchandise : Il n'y a pas de réponse unique mais de grandes tendances se dégagent. Les entreprises recherchent des juristes qui soient de bons généralistes du droit tout en étant également capables de travailler dans la transversalité (c'est-à-dire avec les autres services de l'entreprise : marketing, finances, ressources humaines, communication, achats...), avec une orthographe plus que correcte, une expression écrite et verbale rigoureuse, avec la connaissance d'une seconde langue, et pas trop collectionneurs de diplômes : faire des masters complémentaires n'a pas forcément de sens, l'entreprise pouvant souvent, après quelques années, assurer une formation complémentaire pour ses juristes. Selon moi, un master complémentaire est pertinent à trois conditions : changer d'université, de langue et de matières ! Celui qui aura, en plus de ses connaissances juridiques, des bases en comptabilité, en management, en économie ou en fiscalité aura, c'est sûr, une longueur d'avance sur les autres !
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