La lettre juridique n°406 du 2 septembre 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Heurs et malheurs de la faculté de renonciation à la clause de non-concurrence

Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, Société Dyneff, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

L'instauration en 2000 d'une obligation de compenser financièrement la clause de non-concurrence a conduit la jurisprudence à se pencher sur les clauses de renonciation permettant à l'employeur de s'en libérer au moment de la rupture du contrat. Quelques mois après avoir confirmé qu'en l'absence de délai fixé contractuellement pour y renoncer, l'employeur devait mettre en oeuvre cette prérogative dans un délai raisonnable (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.923, F-D N° Lexbase : A5755EIY), la Chambre sociale de la Cour de cassation précise sa jurisprudence, dans un arrêt largement publié en date du 13 juillet 2010, et considère que la clause doit être réputée non-écrite, en ce qu'elle ne fixe pas de délai, ce qui ne laisse à l'employeur que la faculté de renoncer au moment du licenciement (1). Les implications pratiques de cette décision, par maints aspects discutables (2), ainsi que le devenir des clauses de renonciation unilatérale, devront être précisées (3).
Résumé

Le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler, la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite.

En l'absence de disposition conventionnelle ou contractuelle fixant valablement le délai de renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, celui-ci ne peut être dispensé de verser la contrepartie financière de cette clause que s'il libère le salarié de son obligation de non-concurrence au moment du licenciement.

I - La neutralisation des facultés indéterminées de renonciation à la clause de non-concurrence

Position antérieure de la jurisprudence. La possibilité pour un employeur créancier d'une obligation de non-concurrence d'y renoncer au moment de la rupture du contrat de travail avait été discutée bien avant le revirement intervenu en 2000 imposant le versement d'une contrepartie financière (1). Depuis lors, il a été clairement établi qu'aucune renonciation ne pouvait être admise sans disposition en ce sens de l'accord collectif applicable dans l'entreprise, ou du contrat de travail.

Des décisions anciennes avaient précisé que, dans l'hypothèse où la faculté de renonciation n'était enserrée dans un aucun délai, celle-ci devait intervenir au moment où s'opère la rupture du contrat de travail, c'est-à-dire au moment de la notification du licenciement, et ce pour permettre au salarié de se faire immédiatement réembauché sans demeurer dans l'expectative (2).

Plus récemment, la Cour de cassation avait toutefois semblé revenir sur cette jurisprudence en permettant à l'employeur de renoncer à exercer la faculté de renonciation "dans un délai raisonnable" suivant la connaissance de la rupture du contrat de travail (3).

C'est cette dernière solution qui se trouve remise en cause par cet arrêt rendu le 13 juillet 2010 qui semble donc renouer avant la rigueur des solutions antérieures.

L'affaire. Dans cette affaire, une salariée avait été embauchée en CDD pour la période du 11 mars au 10 juin 1996 comme employée administrative et commerciale. A compter du 7 juin 1996, ce contrat avait été modifié en CDI et assorti d'un avenant prévoyant une clause de non-concurrence d'une durée de vingt-quatre mois assortie d'une contrepartie financière égale à un tiers du salaire, l'employeur se réservant la faculté de dispenser la salariée de son exécution ou d'en réduire la durée soit au moment du départ, soit pendant la durée de l'exécution de la clause, la durée du versement de la contrepartie financière étant alors réduite d'autant. La salariée, ensuite promue responsable des ventes avec un statut cadre, avait finalement été licenciée le 6 février 2008, l'employeur attendant le 30 avril 2008 pour renoncer à la clause de non-concurrence.

La salariée avait alors saisi la juridiction prud'homale pour contester les conditions de ce licenciement et réclamer le versement de la contrepartie financière. Le rejet fortement motivé du pourvoi confirme en tous points l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier le 11 février 2009 qui avait fait droit aux demandes de la salariée.

La solution. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler, la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite", étant précisé que, "en l'absence de disposition conventionnelle ou contractuelle fixant valablement le délai de renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, celui-ci ne peut être dispensé de verser la contrepartie financière de cette clause que s'il libère le salarié de son obligation de non-concurrence au moment du licenciement". La cour d'appel ayant constaté l'absence d'une clause contractuelle fixant valablement le délai de renonciation de l'employeur et relevé que celui-ci n'avait renoncé au bénéfice de la clause de non-concurrence qu'après le licenciement, elle avait "valablement" pu en déduire que l'employeur demeurait tenu au paiement de la contrepartie financière.

La neutralisation ciblée des facultés indéterminées de renonciation. La lecture de cette décision, suffisamment importante pour figurer au rapport annuel de la Cour de cassation, montre que la Haute juridiction n'entend pas condamner le principe même de la faculté de renonciation, même lorsque celle-ci n'est assortie d'aucun délai, mais seulement de neutraliser la faculté d'exercer ce droit à tout moment et de contraindre l'employeur à se décider au seul moment du licenciement. Quoi que la formulation puisse dans un premier temps en faire douter ("la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite"), c'est bien de l'absence de délai enfermant l'exercice de la faculté de renonciation dont il s'agit ("en l'absence de disposition conventionnelle ou contractuelle fixant valablement le délai de renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence").

L'arrêt apporte également deux précisions concernant la nature de la sanction et le fondement de la solution retenue qui méritent discussion.

II - Discussions sur le bienfondé de la solution

Discussion concernant le fondement de la solution retenue. La Cour de cassation considère dans son arrêt que la faculté indéterminée de renonciation laisse le salarié "dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler", ce qui ne serait pas "possible".

L'argument se comprend assez bien dans la mesure où le salarié se trouve directement sous la "menace" d'une renonciation et ne peut, dès lors, pas véritablement prendre de décision sur un éventuel emploi tant que la clause de non-concurrence continue de s'exécuter, ou risque de continuer à s'exécuter.

La justification nous semble toutefois à la fois pauvre juridiquement et contestable dans son existence même.

Une justification juridiquement absente. On notera, en premier lieu, que la Cour de cassation affirme qu'il n'est pas "possible" de laisser le salarié "dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler", sans toutefois préciser le fondement juridique de cette impossibilité. Certes, la clause porte atteinte à la liberté du travail du salarié ainsi qu'au droit à la sécurité juridique, et doit à ce titre répondre à la double exigence de nécessité et de proportionnalité posée par l'article L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B).

Mais s'il s'agit bien de concilier l'intérêt de l'employeur et les droits du salarié, alors il n'est pas possible d'affirmer par principe qu'une telle clause est nulle, ou réputée non écrite, sans s'être au préalable livré à un examen des données de l'espèce pour déterminer si l'intérêt de l'entreprise commandait de laisser à l'employeur une faculté de renonciation qui n'est enfermée dans aucun délai d'exercice, et si la durée de l'incertitude qui en résulte pour le salarié n'est pas excessive. Sans doute la référence aux dispositions de l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7), aux termes duquel "Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce" (alinéa 1er), à tout le moins qu'elle "puisse être déterminée" (alinéa 2), aurait-elle été plus juste.

Une justification fondamentalement discutable. On objectera également que le postulat sur lequel repose l'affirmation peut-être sérieusement discuté.

On comprend parfaitement qu'un salarié ne puisse pas être astreint à une obligation de non-concurrence simplement éventuelle ; on n'imagine pas, en effet, qu'une clause de non-concurrence soit stipulée de manière conditionnelle et que l'employeur se réserve la faculté d'en exiger le respect à tout moment pendant un délai pouvant aller jusqu'aux deux années après la rupture du contrat de travail. Non seulement cette condition serait nulle en ce qu'elle est purement potestative et contrevient ainsi aux dispositions de l'article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L1272ABQ), mais elle placerait véritablement le salarié dans une situation d'incertitude concernant l'étendue de sa liberté professionnelle puisqu'elle pourrait le conduire à quitter l'emploi qu'il occupait valablement depuis la rupture de son précédent contrat dans l'hypothèse où l'employeur réclamerait l'application de la clause.

Mais ici il ne s'agit nullement de cela, mais d'un salarié qui sait, depuis la conclusion de la clause de non-concurrence, qu'il sera limité pendant un certain temps dans ses recherches d'emploi et qu'il en sera éventuellement libéré si l'employeur décide d'y renoncer avant son terme. Or, cet événement (la renonciation) devrait être considéré comme intrinsèquement favorable au salarié, au regard du respect de sa liberté professionnelle dont il retrouvera alors, et par anticipation, le plein exercice. Dès lors, il semble difficile de justifier la solution par la volonté de protéger la liberté du salarié puisqu'au contraire cet impératif justifierait au contraire qu'on validât cette faculté de renonciation non enfermée dans un délai d'exercice.

La confusion des intérêts en présence. Il convient alors de rechercher dans un autre argument la solution.

Si une incertitude défavorable existe pour le salarié, elle porte non pas sur l'étendue de sa liberté professionnelle, mais bien sur la durée de versement de la contrepartie financière qui cessera de lui être due si l'employeur renonce à la clause de non-concurrence ; le salarié devrait donc, si on suit cet argument, pouvoir "compter" sur la durée de versement stipulée dans la clause initiale et toute cessation anticipée ruinerait ses prévisions.

Nous persistons à ne pas partager cette manière de traiter le droit à la contrepartie financière comme si celui-ci naissait de la clause de non-concurrence indépendamment de la question de savoir si celle-ci est nécessairement liée à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise (4). Le droit au versement de la contrepartie devrait, en effet, apparaître comme un moindre mal, comme une compensation à une atteinte réalisée à la liberté du travail dont il a été préalablement vérifié qu'elle était justifiée par la nature de l'activité du salarié et l'intérêt bien compris de son employeur, mais non comme un droit détaché de toute référence préalable à l'utilité de la clause. A partir du moment où la clause devient pour l'entreprise sans intérêt, il semble logique de permettre à l'employeur de libérer le salarié de son obligation de non-concurrence, qui limite sa capacité de gains, ce qui entraîne logiquement l'arrêt du versement de la contrepartie.

En condamnant la faculté de renoncer à tout moment à la clause de non-concurrence postérieurement à la rupture du contrat de travail, la Cour de cassation protège donc l'intérêt financier du salarié, mais non son intérêt professionnel, ce qui nous semble regrettable.

Reste à s'interroger sur la portée pratique de la solution, c'est-à-dire sur le sort de clauses de renonciation voisines.

III - Incertitudes sur la portée pratique de la solution

Le sort des facultés de renonciation avant rupture. Il est tout d'abord loisible de se demander si l'employeur pourrait s'arroger le droit de renoncer à tout moment au bénéfice de clause tant que le contrat de travail n'est pas rompu (5). Ce type de clause ne semble, en effet, pas visé par cet arrêt, qui concerne, faut-il le rappeler, les facultés de renonciation pouvant s'exercer après la rupture du contrat de travail.

Dans la mesure où elle laisse également le salarié dans l'incertitude quant à sa liberté de travailler après la rupture, elle pourrait sembler compromise.

Mais il nous semble que ce type de clause doit demeurer valable dans la mesure où la faculté de renonciation s'exerce par hypothèse avant que le salarié ne recouvre sa liberté professionnelle, et ne porte donc pas atteinte à celle-ci.

Le sort des clauses fixant des délais de renonciation. Il est, également, légitime de s'interroger sur le sort des clauses fixant des délais de renonciation relativement longs, c'est-à-dire au-delà des huit ou quinze jours généralement constatés dans les accords collectifs (6).

Il semble ici qu'il faille réintroduire la référence au "délai raisonnable" auquel la Haute juridiction avait précédemment fait référence, c'est-à-dire du délai après lequel on considère que le salarié est durablement plongé dans l'incertitude. La clause enfermant cette faculté dans un bref délai pourrait alors être validée, mais réputée non écrite pour la durée excédant cette fraction, le cas échéant.

Incertitudes sur le "moment" de l'exercice de la faculté de renonciation. Une même question mérite, d'ailleurs, d'être posée s'agissant de la référence dans l'arrêt du 13 juillet 2010 au "moment" du licenciement auquel l'employeur, privé de sa faculté indéterminée de renonciation, peut libérer le salarié de sa clause. S'agit-il du jour du licenciement (c'est-à-dire en même temps que sa notification) ? L'employeur peut-il encore renoncer à la clause pendant la durée du préavis ? Peut-il laisser passer quelques jours, tant que le salarié n'a pas signé le reçu pour solde de tout compte, ou restituer les biens appartenant à l'entreprise ?

On le comprend aussitôt, la solution retenue dans cet arrêt en date du 13 juillet 2010 ne règle pas tous les problèmes posés par les clauses de renonciation, et en suscite même de nouveau.

Il nous semble qu'un changement radical de perspective devrait s'opérer et que la jurisprudence devrait, au contraire, encourager ces clauses qui permettent aux salariés de recouvrer au plus vite leur liberté professionnelle, aux antipodes donc des orientations actuelles...


(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, 3 arrêts, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE), n° 00-45.387, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1227AZH) et n° 99-43.334, FP-P+B+R+I ([LXB=A0769AZ]I) et nos obs., Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4139AAK).
(2) La solution concernait initialement le salarié dispensé de l'exécution de son préavis : Cass. soc., 27 septembre 1989, n° 86-45.701, M. Roche c/ M. Chevrier et autre (N° Lexbase : A1368AAW) : "dans le cas où le salarié est dispensé d'exécuter son préavis, la clause de non-concurrence le lie dès son départ effectif de l'entreprise ; que la cour d'appel ayant constaté que les modalités de la renonciation de l'employeur au bénéfice de la clause n'étaient fixées ni par la convention collective, ni par le contrat de travail, il en résultait que cette renonciation devait intervenir au moment du licenciement du salarié pour lui permettre, le cas échéant, d'entrer, pendant la durée du préavis, au service d'une entreprise concurrente" ; Cass. soc., 16 mai 1990, n° 87-40.904, Société anonyme Groupe service transports c/ M. Roger Campourcy et autres (N° Lexbase : A6770AH9) ; Cass. soc., 3 février 1993, n° 89-44.031, Société à responsabilité limitée Bréguet constructions c/ M. Alain Fillod (N° Lexbase : A1714AAQ). La solution avait également appliqué au salarié non dispensé de l'exécution de son préavis : Cass. soc., 4 décembre 1991, n° 90-40.309, M. Dieziger c/ Société Gillet-Thaon (N° Lexbase : A1738AAM).
(3) Cass. soc., 13 juin 2007, n° 04-42.740, M. Dan Vasilescu, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8652DWD) : un mois ; Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.923, M. Jean-Christophe Guillemin, F-D (N° Lexbase : A5755EIY) : le salarié avait dans cette affaire été libéré de son obligation lors de la notification de son licenciement.
(4) En ce sens notre chron., L'employeur et la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence : plaidoyer pour un changement d'orientation, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mai 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0586BPE).
(5) Ce type de clause peut se heurter aux dispositions conventionnelles conditionnant la renonciation à la rupture du contrat de travail : Cass. soc., 10 février 1998, n° 94-45.279, Société Narboni Imprimerie c/ M. Merdrignac (N° Lexbase : A2343ACR) (VRP).
(6) Huit jours pour la métallurgie, quinze pour les VRP, par exemple.

Décision

Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, Société Dyneff, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y)

Rejet (cour d'appel de Montpellier, 4ème chambre sociale,11 février 2009)

Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B)

Mots clef : clause de non-concurrence ; faculté de renonciation ; délai d'exercice ; indétermination ; sanction

Liens base : (N° Lexbase : E8734ESB)

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