La lettre juridique n°406 du 2 septembre 2010 : Contrats et obligations

[Chronique] La Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Septembre 2010

Lecture: 18 min

N7023BPS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] La Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Septembre 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211117-chronique-la-chronique-de-droit-des-contrats-de-b-david-bakouche-agrege-des-facultes-de-droit-profes
Copier

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique, l'auteur revient, en premier lieu, sur l'arrêt "Faurecia", rendu le 29 juin 2010 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et qui énonce que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur. En second lieu, le choix de l'auteur s'est également arrêté sur un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 23 juin 2010, duquel il ressort que l'action de in rem verso tendant à l'allocation d'une indemnité en réparation de l'appauvrissement subie par l'épouse divorcée au bénéfice de son mari durant la vie commune tend aux mêmes fins que sa demande de prestation compensatoire.
  • Seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur (Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5360E3W)

L'efficacité des clauses restreignant la responsabilité ou limitant les obligations du débiteur en matière contractuelle (1), à l'origine d'une littérature doctrinale abondante (2), continuent de faire l'objet d'un important contentieux. En dehors des discussions relatives à l'appréciation de la faute lourde du débiteur susceptible de priver d'efficacité ces clauses, finalement entendue de façon subjective par la jurisprudence qui décide que le manquement à une obligation essentielle ne saurait suffire à caractériser la faute lourde (3), on n'ignore pas que, depuis quelques années, la jurisprudence entend également priver d'efficacité ces clauses en déduisant du manquement à une obligation essentielle une absence de cause. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 juin 2010, rendu sur second pourvoi dans une affaire que nous avions d'ailleurs déjà évoquée ici même (4), mérite à cet égard d'être signalé.

En l'espèce, une société avait, pour les besoins de son activité, conclu avec un professionnel non seulement une série de contrats de licences, de maintenance et de formation en matière informatique, mais aussi, et surtout, un contrat aux termes duquel devait lui être livré, l'année suivante, un logiciel adapté à ses attentes. Or, la version du logiciel choisie n'ayant pas été livrée, le créancier avait cessé de régler les redevances dues au titre des premiers contrats ainsi qu'au titre de l'installation d'une solution provisoire qui lui avait été proposée en attendant la livraison définitive du logiciel. Assigné en paiement par une société à laquelle son débiteur avait cédé ces redevances, le créancier avait appelé celui-ci en garantie qui, en défense, avait invoqué la clause limitative de responsabilité prévue au contrat. Et les juges du fond, pour limiter les sommes dues par le débiteur à la garantie de la condamnation du créancier, avaient précisément fait application de ladite clause en faisant valoir que le créancier ne démontrait pas que le débiteur avait commis une faute lourde. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, sur premier pourvoi, en 2007, avait, sous le visa de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), cassé l'arrêt de la cour d'appel au motif que la livraison du logiciel, "objectif final" des contrats conclus entre les parties, n'était finalement jamais intervenue, et ce sans que le débiteur puisse justifier d'un cas de force majeure, si bien qu'était caractérisé "un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l'application de la clause limitative de réparation". Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris, par un arrêt en date du 26 novembre 2008, a cependant résisté et fait application de la clause limitative de réparation (CA Paris, 25ème ch., sect. A, 26 novembre 2008, n° 07/07221 N° Lexbase : A7440EB8). C'est dans ce contexte que la Chambre commerciale de la Cour de cassation fut saisie d'un second pourvoi dans cette affaire, pourvoi qui faisait notamment valoir que l'inexécution, par le débiteur, de l'obligation essentielle à laquelle il s'est contractuellement engagé emporte l'inapplication de la clause limitative d'indemnisation. Aussi bien, en faisant application de la clause limitative de responsabilité après avoir jugé que le débiteur avait manqué à l'obligation essentielle tenant à la livraison du logiciel, lequel n'avait pas été livré à la date convenue, ni plus tard d'ailleurs, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles 1131, 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) du Code civil. L'argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui rejette finalement le pourvoi, dans des termes qui méritent d'être ici entièrement reproduits :

"Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l'arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l'indemnisation négocié aux termes d'une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n'était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d'un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d'Oracle pour la version V 12 d'Oracles applications ; que la cour d'appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l'obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé".

Et la Cour d'ajouter, pour rejeter le troisième moyen du pourvoi qui cherchait à établir que le manquement à l'obligation essentielle du débiteur permettait de caractériser une faute lourde de sa part, que "la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur".

On laissera ici de côté la question de la faute lourde du débiteur, l'arrêt ne faisant en réalité sur ce point que consacrer une tendance solidement établie depuis quelques années (5). Pour le reste, on se souvient que, dans le premier arrêt "Chronopost" de la Chambre commerciale du 22 octobre 1996, la Cour avait fait valoir, pour exercer sa censure pour violation de l'article 1131 du Code civil, que l'application de la clause limitant la réparation du débiteur au coût du transport en cas d'inexécution, en réduisant excessivement la sanction de l'inexécution de l'obligation essentielle de célérité et de fiabilité souscrite par la société Chronopost, contredisait la portée de l'engagement du transporteur et, du même coup, privait de cause l'obligation de l'expéditeur (6). On avait, ainsi, pu dire que l'élimination de la clause litigieuse était justifiée "parce que son insertion dans le contrat est incompatible avec l'obligation de ponctualité souscrite par la société de transport et fait dégénérer cette obligation essentielle dans l'esprit des contractants en une simple illusion pour le créancier" (7). Le fait que, par la suite, la Cour ait décidé que la suppression de la clause limitative de réparation litigieuse conduisait à l'application du droit commun des transports et que, en l'occurrence, en matière de contrat de transport rapide, la réglementation du contrat-type messagerie devait, ici, s'appliquer et, finalement, limiter, sauf faute lourde, la réparation due par le débiteur en cas d'inexécution à un plafond qui correspondait à la limitation conventionnelle qui avait été écartée (8), ne signifiait pas que la solution de 1996 avait perdu sa raison d'être. Bien au contraire, reprise par un arrêt de la Chambre commerciale du 17 juillet 2001 (9), certes non publié au Bulletin, elle avait, à nouveau, été réaffirmée par un arrêt de la même Chambre commerciale du 30 mai 2006, lui très largement diffusé, cassant, sous le visa de l'article 1131 du Code civil, un arrêt de cour d'appel qui avait débouté un créancier qui contestait la clause limitative de responsabilité qui lui était opposée "sans rechercher si la clause limitative d'indemnisation dont se prévalait [le débiteur], qui n'était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l'effet d'un manquement du transporteur à une obligation essentielle" (10). Par où il ressortait presque que la solution non seulement était dans son principe maintenue, mais encore que les conditions de sa mise en oeuvre s'étaient quelque peu assouplies, les arrêts paraissant se contenter, pour priver d'efficacité les clauses litigieuses, de relever l'existence d'un manquement du débiteur à son obligation essentielle, sans plus exiger que la clause contredise la portée de cette obligation. Au demeurant, l'arrêt du 13 février 2007, rendu dans la présente affaire sur premier pourvoi, semblait conforter cette analyse : dans l'hypothèse dans laquelle aucune réglementation spéciale ne trouve à s'appliquer, l'inexécution par le débiteur d'une obligation essentielle devait conduire à écarter le jeu d'une clause limitative -ou exclusive- de responsabilité, et ce sur le fondement de l'article 1131 du Code civil.

Sous cet aspect, l'apport de l'arrêt du 29 juin 2010 est indiscutable puisqu'il revient à la solution de l'arrêt "Chronopost" de 1996 en exigeant, pour que la clause limitative de responsabilité tombe, qu'elle contredise la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur. Cette solution nous paraît devoir être approuvée : ce qui justifie, sur le terrain de la cause, de priver d'efficacité une clause limitative ou exclusive de responsabilité, c'est le fait qu'elle rende illusoire ou dérisoire la contrepartie convenue, si bien qu'il est alors légitime, en se fondant sur l'article 1131 du Code civil, de réputer la clause litigieuse non écrite afin de rétablir l'existence de ladite contrepartie. Comme on l'a justement fait observer, "le contenu normal d'un contrat peut être fortement allégé, mais seulement jusqu'à un certain point, le point à partir duquel l'engagement est vide de toute substance" (11). Il n'y a donc véritablement d'absence de cause que dans le cas où l'application de la clause limitative ferait dégénérer l'obligation essentielle du débiteur en une illusion pour le créancier ou, à tout le moins, réduirait de façon manifestement excessive la responsabilité encourue par le débiteur en cas d'inexécution au point que la contrepartie à l'engagement du créancier devienne, de ce fait, dérisoire. Sous cet aspect, exiger que la clause, pour être privée d'efficacité, contredise la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur, permet de s'assurer de la réalité de l'absence de cause.

  • L'action de in rem verso tendant à l'allocation d'une indemnité en réparation de l'appauvrissement subie par l'épouse divorcée au bénéfice de son mari durant la vie commune tend aux mêmes fins que sa demande de prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-13.812, FS-P+B+I N° Lexbase : A3297E3I)

Après avoir admis l'enrichissement sans cause de façon occulte sous couvert de la gestion d'affaires, par un important arrêt "Boudier" de la Chambre des requêtes du 15 juin 1892, la Cour de cassation en a fait un principe autonome en accordant, de manière générale, à l'appauvri une action de in rem verso "qui dérive du principe d'équité qui défend de s'enrichir au détriment d'autrui" (12). Et l'on a, alors, traditionnellement enseigné que l'enrichissement sans cause supposait la réunion d'un élément positif d'ordre économique -un mouvement de valeur d'un patrimoine à l'autre- et d'un élément négatif, d'ordre juridique -l'absence de cause de ce mouvement-. La jurisprudence a, cependant, par la suite, cherché à moraliser l'institution, l'attitude de l'appauvri pouvant être prise en compte pour lui refuser le bénéfice de l'action de in rem verso. La théorie de l'enrichissement sans cause ne serait donc pas, comme on a parfois pu le dire, purement objective (13), mais présenterait, au contraire, une dimension subjective (14). Encore faut-il relever que la Cour de cassation, opérant d'ailleurs un important revirement de jurisprudence, a ensuite entendu distinguer selon la gravité de la faute commise par l'appauvri : s'il est exact que, en cas de faute lourde ou de dol, l'action de in rem verso est fermée à l'appauvri fautif (15), il n'en va pas de même au cas où il ne s'agirait que d'une faute de négligence ou d'imprudence qui, elle, ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action (16), mais qui peut servir de fondement pour engager sa responsabilité si elle a causé un dommage à l'enrichi. Par où il apparaît tout de même que la mise en oeuvre de l'action est soumise à un certain nombre de conditions, auxquelles s'ajoute encore le fait que, en tout état de cause, l'action de in rem verso présente un caractère subsidiaire sensé limiter son exercice. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 juin dernier, à paraître au Bulletin, le rappelle d'ailleurs utilement.

En l'espèce, un arrêt de cour d'appel avait prononcé un divorce qui avait fait l'objet de deux pourvois en cassation rejetés par décision du 21 septembre 2005 (Cass. civ. 1, 21 septembre 2005, n° 02-21.130, FS-D N° Lexbase : A4998DKC). Mais la difficulté venait de ce que l'épouse, le 20 avril 2005, avait fait assigner son mari en paiement d'une somme à titre de prestation compensatoire et d'une somme du même montant sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Déboutée de sa demande par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 20 mai 2008, elle s'est pourvue en cassation. Elle reprochait, d'abord, aux juges du fond de l'avoir déclarée irrecevable en sa demande de prestation compensatoire alors, faisait-elle valoir, que le délai de pourvoi en cassation suspend l'exécution de la décision qui prononce le divorce, le pourvoi en cassation exercé dans ce délai étant également suspensif, de telle sorte que le caractère suspensif attaché au pourvoi formé contre l'arrêt prononçant le divorce exclurait que ce dernier acquière force de chose jugée.

La Cour de cassation rejette le moyen et décide que "l'arrêt énonce, à bon droit, qu'il résulte de l'article 271 du Code civil (N° Lexbase : L2838DZ7) que le juge doit se prononcer par une même décision sur le divorce et sur la disparité que celui-ci peut créer dans les conditions de vie respectives des époux ; qu'ayant justement retenu qu'à la suite de l'arrêt du 21 septembre 2005 de la Cour de cassation ayant rejeté les pourvois formés contre la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 1er octobre 2002 prononçant le divorce, celle-ci était passée en force de chose jugée, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande de prestation compensatoire introduite le 20 avril 2005 après que la cour d'appel eut été dessaisie par l'effet du prononcé du divorce était irrecevable". On passera sur cet aspect de la décision qui déborde largement le cadre de cette chronique pour ne s'intéresser qu'à la suite. L'épouse faisait en effet encore grief à l'arrêt de la cour d'appel de l'avoir déboutée de sa demande formée au titre de l'enrichissement sans cause, alors, selon le second moyen, que l'action d'enrichissement sans cause n'est pas un subsidiaire de la demande de prestation compensatoire dont le but et les éléments d'évaluation sont définis par la loi et distincts de toute idée d'enrichissement et d'appauvrissement, et que, précisément, elle demandait à ce que son mari soit condamné à lui verser une indemnité en réparation de l'appauvrissement qu'elle avait subi au bénéfice de celui-ci durant la vie commune, si bien que, selon le moyen, en se contentant d'écarter cette demande car l'exposante aurait disposé d'une action en demande de prestation compensatoire qui avait été écartée, la cour d'appel aurait violé l'article 1371 du Code civil (N° Lexbase : L1477ABC) en refusant de l'appliquer. L'argumentation, pas plus que la précédente, n'a pas convaincu la Cour de cassation. La Haute juridiction énonce, en effet, "qu'ayant constaté que la demande présentée subsidiairement par Mme X sur le fondement de l'enrichissement sans cause tendait aux mêmes fins que sa demande de prestation compensatoire, laquelle avait été jugée irrecevable, la cour d'appel en a justement déduit que cette demande ne pouvait prospérer dès lors que l'intéressée disposait d'une autre action qui avait été écartée".

La jurisprudence et la doctrine affirment, classiquement, que l'action de in rem verso a un caractère subsidiaire (17). Il en résulte, d'abord, que l'action doit être écartée lorsque l'appauvri dispose à l'égard de l'enrichi d'un autre moyen d'obtenir satisfaction (18), ou bien lorsqu'il a la possibilité, à cette fin, d'agir contre un tiers, une caution par exemple (19). On déduit, ensuite, de l'exigence de subsidiarité que l'action de in rem verso est exclue lorsque l'action normale dont disposait l'appauvri lui est fermée par l'effet d'une règle de droit. Ainsi a-t-il été jugé que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut-être admise qu'à défaut de toute autre action ouverte au demandeur ; qu'elle ne peut l'être, notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut intenter par suite d'une prescription, d'une déchéance ou forclusion ou par l'effet de l'autorité de la chose jugée ou parce qu'il ne peut apporter les preuves qu'elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit (20). On comprend donc parfaitement, au cas d'espèce, que la demande fondée sur l'enrichissement sans cause ait été rejetée dès lors qu'il apparaissait qu'elle tendait "aux mêmes fins" que la demande de prestation compensatoire, laquelle avait été jugée irrecevable. La notion de demandes tendant aux mêmes fins est bien connue en procédure civile. La comparaison est éclairante. On n'ignore pas, en effet, que pour circonscrire le principe d'interdiction de demandes nouvelles en appel (C. pr. civ., art. 564 N° Lexbase : L6717H7W), l'article 565 (N° Lexbase : L6718H7X) déclare que ne sont pas nouvelles les prétentions qui tendent "aux mêmes fins" que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. Par "fin" d'une demande ou d'une prétention, il faut entendre le but poursuivi ou le résultat recherché par l'auteur de cette demande ou de cette prétention (21). Ce but ou ce résultat est différent de l'objet de la demande avec lequel cependant il est en étroite relation : alors, en effet, que l'objet est constitué par la prétention elle-même, la notion de fin de la demande introduit un élément supplémentaire qui permet, précisément, d'assurer la réalisation de cette prétention. La jurisprudence entend assez largement la notion, prenant essentiellement en compte le but recherché (22). Sous cet aspect, paraît déterminant l'objectif poursuivi par l'auteur des demandes, quand bien même les actions susceptibles de permettre d'atteindre cet objectif reposeraient non seulement sur des fondements différents, mais aussi sur une argumentation juridique différente (23). Au cas d'espèce, il importait donc peu, comme le faisait pourtant le pourvoi, de démontrer que les éléments d'évaluation de la prestation compensatoire, définis par la loi, sont distincts des conditions de mise en oeuvre de l'action de in rem verso dès lors que, au fond, les deux actions tendaient à l'allocation d'une même indemnité -puisque les montant des deux demandes étaient identiques- au bénéfice de l'épouse.

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Au sens strict, les clauses relatives aux obligations du débiteur, en l'occurrence les clauses qui limitent les obligations du débiteur, se distinguent des clauses relatives à la responsabilité que sont les clauses exclusives ou simplement limitatives de responsabilité. En pratique, cependant, la distinction n'est pas toujours évidente, d'autant que, fondamentalement, la clause qui affecte le contenu des obligations assumées par le débiteur a nécessairement une incidence sur le régime de la responsabilité contractuelle : ainsi a-t-on justement pu faire remarquer que "stipuler qu'un débiteur ne doit pas telle prestation ou qu'il n'est pas responsable si elle n'est pas fournie revient souvent au même". En ce sens : A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Domat-Montchrestien, 9ème éd., n° 422.
(2) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, Paris, 1931 ; P. Robino, Les conventions d'irresponsabilité dans la jurisprudence contemporaine, RTDCiv., 1951, p. 1 ; B. Starck, Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité ou limitative de responsabilité, D., 1974, Chron., p. 157 ; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981 ; Ph. Delebecque et D. Mazeaud, Les clauses de responsabilité : clauses de non-responsabilité, clauses limitatives de réparation, clauses pénales, in Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit comparé, LGDJ, 2001.
(3) Cass. mixte, 22 avril 2005, deux arrêts, n° 02-18.326, Chronopost SA c/ KA France SARL (N° Lexbase : A0025DIR) et n° 03-14.112, SCPA Dubosc et Landowski c/ Chronopost SA (N° Lexbase : A0026DIS), Bull. civ. n° 4, D., 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi, JCP éd. G, 2005, II, 10066, note G. Loiseau, RDC, 2005, p. 673, obs. D. Mazeaud, ibid. p. 753, obs. Ph. Delebecque, RTDCiv., 2005, p. 604, obs. P. Jourdain ; Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA) et nos obs., La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le recul de l'objectivation de la faute lourde, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5618AKB), et Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Société Chronopost, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9281DPG).
(4) Cass. com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP), Bull. civ. IV, n° 43, JCP éd. G, 2007, II, 10063, note Y.-M. Serinet.
(5) Voir supra, la jurisprudence citée. Pour une critique de la solution consistant à déduire la faute lourde du manquement à une obligation essentielle, faisant notamment valoir que "le critère de la faute lourde ne se trouve pas dans l'importance pour le créancier de l'obligation inexécutée mais dans le comportement du débiteur", la gravité de la faute commise ne dépendant pas de l'importance de l'obligation, voir not. Ch. Larroumet, Droit civil, Les obligations, Le contrat, Economica, 2003, n° 625.
(6) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, Société Banchereau c/ Société Chronopost (N° Lexbase : A2343ABE), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, p. 77 et s., et les références citées.
(7) D. Mazeaud, Rép. Defrénois, 1997, art. 36516, p. 333.
(8) Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-12.554, Société Chronopost c/ Société Banchereau, FP-P (N° Lexbase : A0766AZE), Bull. civ. IV, n° 121, D., 2002, Somm. p. 2836, obs. Ph. Delebecque, D., 2003, Somm. p. 457, obs. D. Mazeaud.
(9) Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-15.678, Société Securinfor c/ Société AC Timer (N° Lexbase : A2026AUL), JCP éd. G, 2002, I, 148, n° 17, obs. G. Loiseau.
(10) Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-14.974, Société JMB International c/ Société Chronopost, F-P+B+I+R (N° Lexbase : A7228DPE).
(11) Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, n° 173.
(12) Cass. req., 15 juin 1892, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., n° 227.
(13) En ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, T. 4, Thémis, n° 307.
(14) Voir J. Djoudi, La faute de l'appauvri : un pas de plus vers une subjectivisation de l'enrichissement sans cause, D., 2000, chron., p. 609.
(15) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-20.625, M. de Bartillat c/ Société RMV GITEM, publié (N° Lexbase : A6428CHK), RTDCiv., 1999, p. 400, obs. Mestre ; Cass. com., 19 mai 1998, n° 96-16.393, Société UGC ciné cité Ile-de-France c/ Société Agora cinémas et autres (N° Lexbase : A2752ACW), RTDCiv., 1999, p. 106, obs. Mestre.
(16) Cass. civ. 1, 11 mars 1997, n° 94-17.621, Société Flandrin Capucines et autre c/ Société financière de banque et autre (N° Lexbase : A9966ABQ), D., 1997, p. 407, note Billiau ; Cass. civ. 1, 3 juin 1997, n° 95-13.568, M. Vallet c/ Compagnie La Préservatrice foncière et autres (N° Lexbase : A0425ACQ), JCP éd. G, 1998, II, 10102, note Viney.
(17) Cass. civ., 2 mars 1915, DP, 1920, 1, 102 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 228 ; Cass. civ. 3, 4 décembre 2002, n° 01-03.907, FS-P+B (N° Lexbase : A1891A4S) ; Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 01-01.304, F-P (N° Lexbase : A6835A4W) ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 06-14.422, Mme Odyle Tapie-Debat, épouse Castetbieilh, F-P+B (N° Lexbase : A5818DY7) ; P. Drakidis, La "subsidiarité", caractère spécifique et international de l'action d'enrichissement sans cause, RTDCiv., 1961, p. 577 et s..
(18) Cass. civ. 1, 24 octobre 1973, n° 71-14.159, Sakamoto c/ Doale (N° Lexbase : A4591AYP), Bull. civ. I, n° 280 ; Cass. com., 15 mars 1988, n° 86-16.691, Société anonyme générale française d'emballage (GEFREM) c/ Société de droit allemand Deutsche Apparate Vertriebs Organisation GMBH et COHG dite DAVO et autre (N° Lexbase : A7752AAD), JCP éd. G, 1988, IV, 192.
(19) Cass. com., 10 octobre 2000, n° 98-21.814, Société Pleine Forme c/ Banque populaire de la région économique de Strasbourg (N° Lexbase : A7786AHT), Bull. civ. IV, n° 150.
(20) Cass. civ. 3, 29 avril 1971, n° 70-10.415, Dame Masselin c/ Decans, publié (N° Lexbase : A4284CKU), Bull. civ. III, n° 277 ; Cass. com., 10 octobre 2000, préc., Bull. civ. IV, n° 150.
(21) P. Hébraud, Rev. crit. législ. et jurispr., 1936, p. 117, note 2. V. également P. Boyreau, De la prohibition des demandes nouvelles en appel, thèse Bordeaux, 1945, p. 104.
(22) Cass. civ. 3, 4 mai 2000, n° 98-14.014, Mme Laurence Cohen, épouse Levy c/ Société civile professionnelle (SCP) Jacques Dumont et associés (N° Lexbase : A4271CM7).
(23) Cass. civ. 3, 14 juin 1994, n° 92-21.555, M. Marcel Gublin c/ Mme Gisèle Dubedat (N° Lexbase : A1830CTX).

newsid:397023