La lettre juridique n°406 du 2 septembre 2010 : Sociétés

[Jurisprudence] Action de concert et autocontrôle : la Cour de cassation précise le champ d'application de la notion de concert de l'article L. 233-3, III, du Code de commerce

Réf. : Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-16.112, M. Gérard Lignac, FS-P+B (N° Lexbase : A6772E39)

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[Jurisprudence] Action de concert et autocontrôle : la Cour de cassation précise le champ d'application de la notion de concert de l'article L. 233-3, III, du Code de commerce. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211111-jurisprudenceactiondeconcertetautocontrolelacourdecassationpreciselechampdapplicationd
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 07 Octobre 2010

La notion de concert aura rarement suscité autant d'intérêt que dans l'année écoulée qui aura vu la Cour de cassation clarifier, en quelques traits, les contours de ce concept ainsi que son champ d'application. En effet, après trois arrêts importants, rendus le 27 octobre 2009 (1), le juge du droit vient de rendre une nouvelle décision à propos d'une opération menée par des concertistes dans l'objectif de faire cesser un autocontrôle au sein d'une société. L'arrêt en date du 20 juin 2010 s'inscrit, ainsi, dans la lignée de la jurisprudence dégagée en 2009 tout en apportant un nouvel éclairage sur la nature des agissements susceptibles d'être qualifiés de concert.
L'affaire sera sans doute médiatisée pour des raisons autres que purement juridiques puisqu'elle a pour protagonistes des groupes de médias fort connus, mettant en lumière les rivalités au sein des sociétés du groupe de l'Est républicain, dans lequel d'autres sociétés, faisant partie du groupe Hersant, bénéficiaient d'une minorité de blocage. Cette situation n'existait, toutefois, qu'en raison de l'impossibilité, pour une filiale de la société de l'Est républicain, d'exercer ses droits de vote en raison d'une situation d'autocontrôle. A la suite d'opérations ayant conduit à la dilution des droits de vote que la société de l'Est républicain détenait dans sa filiale, cette dernière, sortant du périmètre du contrôle tel que défini à l'article L. 233-3, I et II, du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM), exerçait à nouveau ses droits de vote en assemblée. La participation aux délibérations lui permettait, in fine, après avoir souscrit à une augmentation de capital, de se voir attribuer la majorité des droits de vote dans son ex-mère. Les actionnaires minoritaires, toutefois, contestant la validité du vote, au motif que les actions détenues par la filiale dans son ex-mère étaient toujours des actions d'autocontrôle, demandaient au juge le prononcé de la nullité des délibérations litigieuses. La cour d'appel de Nancy ayant fait droit à leur demande, les majoritaires ont formé un pourvoi en cassation, prétendant, notamment, au rejet de la notion de concert, fondement de la solution ayant permis au juge de conclure que la société de l'Est républicain avait gardé le contrôle sur sa filiale.

La question posée au juge du droit était, ainsi, particulièrement originale dans le sens où il s'agissait de savoir, en pratique, si la notion de concert pouvait être appliquée, comme en l'espèce, pour une opération visant à perdre le contrôle d'une société, et non pas, comme dans les concerts classiques, à se saisir dudit contrôle.

L'objectif des concertistes, en effet, était d'opérer une partition (I), la filiale devant se détacher du groupe tout en restant sous son emprise financière en dépit d'une perte de contrôle juridique. Le juge du droit, toutefois, en confirmant la qualification de concert pour l'ensemble des opérations, joue aux concertistes une autre musique que celle qu'ils avaient imaginée (II) approuvant l'arrêt d'appel qui avait décidé de l'annulation des décisions prises en assemblée par la filiale, réputée être demeurée sous contrôle.

I - Où les concertistes préparent une étrange partition

L'affaire, dont on peut augurer qu'elle demeurera célèbre, par le caractère remarquable des opérations imaginées par les concertistes, se déroule comme une valse à quatre temps (A), à l'issue de laquelle les concertistes, particulièrement virtuoses (B), parviennent à diluer le pouvoir politique des minoritaires en procédant par augmentation de capital successives.

A - Une valse à quatre temps

La société du journal de l'Est républicain (l'Est républicain) exerce un contrôle de droit sur l'une de ses sous-filiales, la SAS France Est (la SAS), cette dernière détenant un autocontrôle sur l'Est républicain. Les droits de vote concernant l'autocontrôle se trouvant suspendus en vertu des dispositions de l'article L. 233-31 du Code de commerce (N° Lexbase : L6334AIG), un actionnaire minoritaire de l'Est républicain, la société Groupe Hersant Média, présent dans le capital par l'intermédiaire de ses filiales et sous-filiales les sociétés Multimédia futur et Grande chaudronnerie lorraine, (les sociétés du groupe Hersant) dispose d'une minorité de blocage au sein de la société.

Au cours d'une assemblée générale extraordinaire de la SAS, le 29 mai 2008, la société Banque fédérative du crédit mutuel (la banque) souscrit à une augmentation de capital par apport de créance, cet apport lui permettant de détenir, à la suite de cette opération, 80 % des droits de vote, les 20 % restant étant détenus indirectement par l'Est républicain, moins une voix, détenue par M. L.. La conséquence immédiate -implicite dans l'arrêt de la Cour de cassation, mais évident au regard du droit des sociétés- est, ainsi, de faire perdre le contrôle de droit de l'Est républicain sur la SAS, la perte de ce contrôle ayant pour effet de faire disparaître la situation d'autocontrôle et de permettre à la SAS de pouvoir exercer, à nouveau, ses droits de vote aux assemblées de l'Est républicain. On doit supposer, car l'arrêt ne le précise pas, mais la solution est également d'évidence, que les sociétés du groupe Hersant perdent à cette occasion leur minorité de blocage.

La SAS filiale, ayant retrouvé l'exercice de ses droits de vote, adopte une décision au cours d'une assemblée générale extraordinaire de l'Est Républicain en date du 27 juin 2008 visant à augmenter le capital de ladite société. Elle souscrit, alors, à cette augmentation, les droits de vote qui lui sont attribué, à cette occasion, lui permettant d'obtenir la majorité des droits de vote dans son ancienne mère.

Les sociétés du groupe Hersant, soutenant que les opérations d'apport et d'augmentation du capital décidées lors des assemblées générales extraordinaires de la SAS du 29 mai 2008 et de l'Est républicain du 27 juin 2008 avaient été réalisées en fraude de leurs droits, et que les résolutions proposées lors de cette dernière assemblée avaient été adoptées grâce au vote de la société France Est en violation des règles relatives à l'autocontrôle, demandent alors l'annulation de ces décisions. La cour d'appel de Nancy fait partiellement droit à leurs demandes. Dans un arrêt rendu le 17 juin 2009, elle annule les délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'Est républicain le 27 juin 2008. Le juge du fait décide, en effet, que les actions de l'Est républicain détenues par la SAS étaient demeurées des actions d'autocontrôle faisant l'objet d'un contrôle conjoint, au titre d'une action de concert entre la SAS, la banque et M. L..

B - Des concertistes virtuoses

L'habileté de l'opération ainsi imaginée, dont le levier a été l'augmentation de capital de la SAS, mérite d'être soulignée, l'arrêt l'ayant relaté de façon fort laconique, nous privant, en quelque sorte, de tout le sel du montage conduit avec dextérité par le chef d'orchestre et ses concertistes. En effet, la perte de contrôle de droit de la mère sur la filiale résultant de l'augmentation de capital aurait pu aboutir à ce résultat inouï que, si les plans de ces derniers n'avaient pas été déjoués, l'ex-filiale aurait pu prendre le contrôle de son ancienne mère. Au demeurant, le juge du droit n'a pas été moins virtuose dans son raisonnement en matière de droit des sociétés s'appuyant sur une logique autrement plus solide que celle des auteurs du pourvoi. Après tout, il fallait bien que la Cour de cassation rappelle qu'en droit, comme en harmonie, si certains prennent des libertés dans leur interprétation, un seul a le mérite d'écrire la musique.

Il demeure que pour pouvoir apprécier l'ordre de bataille agencé par les concertistes, il convient de revenir sur la notion de contrôle au sein des groupes de sociétés. En effet, l'article L. 233-3, I, dispose, en substance, qu'une société en contrôle une autre lorsqu'elle détient directement ou indirectement la majorité des droits de vote ou qu'elle dispose de la majorité des droits de vote en vertu d'un accord, ou que ses droits de vote lui permettent de déterminer -en fait- les décisions dans les assemblées générales de la société, ou dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes de cette société. En l'espèce, tout l'artifice de l'opération consistait à utiliser le principe sous-jacent du contrôle de droit, tel qu'établi par l'article L. 233-3, I, du Code de commerce, qui ne considère que l'exercice du pouvoir politique, s'exprimant par le vote en assemblée, pour déterminer l'existence ou non d'un contrôle. Ainsi, la mère, ne détenant plus indirectement que 20 % des droits de vote -moins la voix de M. L.- à l'issue de l'augmentation de capital, la banque s'en étant vu attribuer 80 %, voit s'échapper le contrôle de sa sous-filiale, et, ce indépendamment du pourcentage d'actions détenu. On supposera que les concertistes avaient fait en sorte que l'ancienne mère ne puisse invoquer la possibilité de déterminer en fait les décisions dans les assemblées générales ou de nommer, comme révoquer, la majorité des membres des organes dirigeants de la société.

L'utilisation de ce mécanisme avait ainsi pour objectif de ne plus permettre aux sociétés du groupe Hersant de disposer d'une minorité de blocage. Ces sociétés, en effet, bénéficiaient, jusqu'à l'augmentation de capital de la SAS, des effets des dispositions de l'article L. 233-31 du Code de commerce qui établit que "lorsque des actions ou des droits de vote d'une société sont possédés par une ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle, les droits de vote attachés à ces actions ou ces droits de vote ne peuvent être exercés". L'Est républicain ayant "perdu le contrôle", les droits de vote pouvaient être de nouveau exercés par la SAS, ce qui lui permettait de décider, en assemblée générale de son ex-contrôlante, une augmentation de capital lui permettant d'obtenir plus de 50 % des voix. Il s'agissait donc, in fine, après avoir privé les sociétés du groupe Hersant de leur minorité de blocage, d'imposer la loi de la majorité, la question se posant de savoir qui devait, à terme, profiter de cette opération.

A ce titre, les juges du fond en faisant droit à la demande des sociétés du groupe Hersant établissent que la perte de contrôle de la SAS par l'Est républicain traduit l'intention de l'ex-contrôlante, d'une part, de faire disparaître la minorité de blocage du groupe Hersant et, d'autre part, de diluer les droits de vote de ces minoritaires dans le capital de l'Est républicain.

II - Où le juge du droit joue bien mieux la musique

La complexité de la pièce jouée met ici en lumière l'efficacité de la sanction du concert (A) dont le juge du droit tire fort habilement parti dans son interprétation (B). Le nouveau champ d'application du concept semble en effet ouvrir, depuis 2009, de nouvelles potentialités pour juguler des comportements visant à réagencer le pouvoir au sein de groupes de sociétés en contournant les règles protectrices des associés.

A - La sanction du concert

C'est précisément au type d'opération conduite par les concertistes que s'adresse la sanction de l'article L. 233-31 du Code de commerce. En effet, si ce dernier interdit l'exercice des droits de vote détenus par autocontrôle, c'est afin de garantir l'équilibre du pouvoir politique des actionnaires. Le vote des actions d'autocontrôle permettrait, en effet, à travers l'emprise de la mère et de ses dirigeants sur les filiales, de faciliter l'adoption de décisions auxquelles ne pourraient, éventuellement, s'opposer des minoritaires. Il permettrait également à des actionnaires de référence qui dirigeraient le groupe au plan opérationnel, sous couvert d'une position minoritaire apparente, d'obtenir un vote des filiales qui, en pratique, leur donnerait la majorité dans les assemblées générales. On comprend donc que le législateur ait sanctionné l'autocontrôle par l'interdiction d'exercer les droits de vote afin de maintenir l'équilibre du pouvoir politique au sein des sociétés.

Il demeure que ces déséquilibres ne peuvent être jugulés que lorsque la mère contrôle la filiale au sens de l'article L. 233-3, I, du Code de commerce. En effet, en principe, lorsque les conditions de ce textes ne sont pas remplies, l'application de L. 233-31 du Code de commerce, qui interdit l'exercice des droits de vote, devient impossible : de jure, pour qu'il y ait autocontrôle il faut d'abord qu'il y ait contrôle. C'est précisément à partir de ce cheminement logique que les concertistes demandaient au juge du droit de censurer l'arrêt de la cour d'appel de Nancy.

Ainsi, dans les premières et deuxième branche du moyen principal, prétendaient-ils au refus d'application par le juge du fond des dispositions des articles L. 233-3, I et II, et L. 233-31 du Code de commerce. Ils soutenaient que la notion d'autocontrôle et sa sanction corollaire, l'interdiction d'exercer les droits de vote dans la contrôlante, n'étaient susceptibles d'être invoqués que lorsque la mère exerçait un contrôle juridique sur sa filiale. La Cour de cassation répondra, sur ce point, que "deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale". La notion de contrôle conjoint par des concertistes (qui est à distinguer de la notion de contrôle conjoint de l'article L. 233-16 du Code de commerce N° Lexbase : L6319AIU, qui est un critère d'application de la consolidation comptable) permet, donc, de considérer que le concert donne lieu à la mise en oeuvre des mécanismes applicables au contrôle juridique et, donc, à la sanction relative à l'autocontrôle.

Encore fallait-il, ce point étant établi, que les conditions légales du concert soient caractérisées, ce que contestaient, également, les auteurs du pourvoi.

Ces derniers soutenaient, en effet, une argumentation assez subtile. Ils faisaient valoir, d'abord, dans la troisième branche, que "l'article L. 233-31 du Code de commerce ne vise pas l'hypothèse d'un contrôle concerté de la société détentrice" et, ensuite, dans la quatrième branche, que "la disposition de la majorité des droits de vote dans les assemblées générales est exclusif d'un contrôle conjoint pour la prise de décisions en assemblée". Autrement dit selon eux :
- le contrôle conjoint de concert n'est applicable qu'à des personnes extérieures à une société-cible et non à la société "détentrice" (c'est-à-dire une société dominante qui n'a pas le contrôle de droit sur la société détenue) ;
- et il ne saurait y avoir contrôle "conjoint", en l'espèce, puisque une seule personne disposait de la majorité des votes dans la SAS, à savoir la banque.

Ce raisonnement renvoyait ainsi à une certaine forme d'interprétation, qui n'aurait pu s'appuyer que sur une lecture extrêmement restrictive des textes précités.

La Chambre commerciale consacrera un attendu à la réponse à ces arguments. Elle établira, à ce titre, que le fait que l'un des concertistes détienne la majorité des voix aux assemblées de la société n'exclut pas le concert, et que la cour d'appel avait pu à bon droit décider que le fait que la banque détienne 80 % des voix dans la SAS et l'Est républicain 20 % moins une voix n'excluait pas que cette dernière société contrôle la SAS.

Les autres branches du moyen, sans grand intérêt, contestant le constat matériel du concert par la cour d'appel, seront, enfin, examinés par la Chambre commerciale qui confirmera la validité de la qualification retenue par les juges de Nancy. Elle rejettera, donc, le pourvoi, confirmant le concert, le maintien du contrôle de droit en résultant et, enfin, l'annulation des décisions prises en méconnaissance de la situation d'autocontrôle de l'Est républicain sur la SAS.

B - Où l'on apprécie l'interprétation

C'est ainsi que la Cour de cassation tire argument, pour la première fois, à notre connaissance, de la mise en oeuvre de la notion de concert dans un cadre aussi complexe, aux fins de confirmer l'existence d'un contrôle conjoint des concertistes sur une filiale. La solution est exemplaire en tous points et ne saurait qu'être vigoureusement approuvée, tant la stratégie juridique adoptée par les concertistes visait, manifestement, à contourner les règles relatives à l'autocontrôle. La décision, toutefois, autant par sa nouveauté que par les lumières qu'elle nous offre sur l'interprétation à donner à la notion de concert, mérite qu'on s'attarde sur les conséquences de la position de la Chambre commerciale.

On remarquera, d'abord, qu'en rejetant implicitement l'argument des auteurs du pourvoi qui invoquaient le fait que la notion de concert ne visait qu'à protéger les sociétés contre les menées de tiers et non les stratégies de groupe, le juge du droit se donne la possibilité d'étendre ad libitum la notion de concert à toutes les personnes qui, en fait, ont une emprise sur une société même si elles n'exercent pas, sur elle, un contrôle de droit. La notion de société "détentrice" mise en avant par les auteurs du pourvoi est, à ce titre, particulièrement intéressante à analyser : elle vise, en l'espèce, à décrire la situation d'une société qui est dominante -voire majoritaire- dans le capital d'une autre mais qui n'exerce pas sur cette dernière de contrôle juridique au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce, faute de disposer de droits de vote ou d'un pouvoir politique suffisant.

En d'autres termes, si le contrôle, tel qu'il est entendu dans son sens comptable (C. com., art. L. 233-16), s'appuie, essentiellement, sur le principe de la remontée des flux, liés à la vocation financière des titres de capital, le contrôle, entendu dans son sens juridique, s'apprécie en fonction de la vocation politique de ces mêmes titres. C'est ainsi que le périmètre comptable du groupe et son périmètre juridique peuvent ne pas coïncider, situation que les concertistes avaient mis à profit pour faire disparaître les limitation liées à l'autocontrôle. L'Est républicain était, en effet, de son propre aveu, toujours détentrice de la SAS, mais avait tout mis en oeuvre pour en perdre le contrôle au sens de l'article L. 233-3 précité.

C'est là le point où l'arrêt nous apporte un éclairage significatif quant à la souplesse et au vaste champ d'application de la notion de concert. Dans un premier sens, étroit, celui qui ressort explicitement des textes (C. com., art. L. 233-10, I N° Lexbase : L6588HWW), celle-ci doit permettre d'encadrer la situation dans laquelle des personnes "ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique [commune]". En tant que concertistes elles doivent être considérées comme étant une seule et même personne, tant pour l'application des règles du droit des sociétés que de celles du droit des marchés financiers. En toute hypothèse, cependant, ce texte visait à permettre d'empêcher que des personnes physiques ou morales, ne prennent le contrôle d'une société. Il faudra considérer, désormais, dans un second sens, que le concert doit être interprété beaucoup plus largement et qu'il permet de sanctionner des agissements visant à contourner les mécanismes juridiques de protection des sociétés dans les cas ou les concertistes ont pour politique de perdre le contrôle d'une société. Ainsi, en l'espèce, la notion de concert permet de rétablir la réalité du contrôle du groupe pour les situations dans lesquelles la notion de contrôle juridique est insuffisamment efficace. La notion de concert, dans ce cas, s'applique aussi bien à la société détentrice qu'à un tiers. On notera, toutefois, le paradoxe des effets de cette interprétation, qui a pu, dans l'espèce commentée, empêcher la réalisation des objectifs que l'Est républicain s'était assigné quant au réaménagement de son propre capital.

On rapprochera, enfin cette affaire, dans laquelle le concert a été établi en raison d'une partition de la société contrôlée, des importants arrêts rendus par la Chambre commerciale le 27 octobre 2009. Il s'agissait, en l'espèce, d'apprécier la qualification de concert reconnue par la cour d'appel de Paris (2), pour un accord dit "de séparation" en vertu duquel les actionnaires d'une société cessaient d'être associés, la société leur rachetant ses propres actions en échange de l'attribution des actions d'une de ses filiales. La cour d'appel ayant qualifié cet accord de concert, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait confirmé l'analyse des juges du fond. A ce titre, elle avait retenu une conception large de l'action de concert qui voit dans la politique commune, "celle que les concertistes conduisent vis-à-vis de la société et non celle qu'ils se proposent de mener au sein de celle-ci en influant sur sa gestion ou sa stratégie économique ou commerciale". L'arrêt ici commenté semble, ainsi, s'inscrire dans la lignée de cette jurisprudence qui permet, désormais, de qualifier de concert, des agissements non seulement positifs, mais également, négatifs, de la part d'associés du groupe, lorsque ces agissements consistent à réaliser des opérations visant à contourner les dispositions du droit des sociétés.


(1) Cass. com., 27 octobre 2009, 3 arrêts, n° 08-18.819, M. Bautista Soler Crespo, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5572EMC), n° 08-18.779, Société Gecina, FS-D (N° Lexbase : A6096EMQ) et n° 08-17.782, M. Joaquim Rivero Valcarce, FS-D (N° Lexbase : A6085EMC), sur lesquels lire, not., F. Leplat, Accord de séparation et définition jurisprudentielle de l'action de concert, JCP éd. E, 2010, n° 11, p. 17 ; F. Martin-Laprade, Affaire Gecina : et si la Cour de cassation s'était trompée de contentieux, Revue des sociétés, 2010, n° 2, p. 112-120 ; R. Mortier, Droit des sociétés, 2010, n° 3 , p. 29-32 ; H. Le Nabasque, Affaire Gecina, suite et fin ? Bull. Joly Sociétés, février 2010, p. 158-166 ; N. Rontchevsky, Affaire Gecina : la Cour de cassation précise les contours de l'action de concert, Revue Lamy Droit des affaires, février 2010, n° 45 , p. 10-13.
(2) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 24 juin 2008, n° 2007/21048, Société GECINA, SA (N° Lexbase : A3050D9T).

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