Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-15.086, CHSCT de l'établissement de la région Sud Est Rhône Alpes de la société Nextiraone France, FS-P+B (N° Lexbase : A7691ERB)
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Par cet arrêt, la Haute juridiction retient que l'importance d'un projet de réorganisation dans l'entreprise ne s'évalue pas seulement en fonction du nombre de salariés concernés : "si le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance du projet, la cour d'appel, qui a constaté, en l'espèce, que le projet en cause n'était pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail, a pu statuer comme elle a fait". En revanche, elle approuve l'annulation de la mesure de désignation de l'expert par les juges du fond, la portée du projet en cause n'étant pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail.
Les juges du Quai de l'Horloge précisent donc, dans cet arrêt, que le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance d'un projet pour justifier le recours à l'expertise par un CHSCT, conformément aux dispositions de l'article L. 4614-12 du Code du travail. Il appartient au juge de rechercher si le projet en cause est de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail. Le message est clair. Peu importe le nombre de salariés concernés, le juge doit avant tout rechercher si le projet est de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail.
La Chambre sociale de la Cour de cassation semble donc ici quelque peu s'écarter des textes et, notamment, d'une circulaire de 1993 (1), qui prévoit qu'un projet important concerne "un nombre significatif de salariés et conduit, sur le plan qualitatif, à un changement déterminant des conditions de travail des salariés concernés". Selon ce texte donc, un projet important est celui qui va concerner un nombre conséquent de salariés par rapport à l'effectif et qui va induire un changement important des conditions de travail. Les critères quantitatifs et qualitatifs sont ici cumulatifs. Or, dans l'arrêt du 10 février, le critère devient essentiellement qualitatif.
Depuis quelques années, les juges avaient tendance à laisser au CHSCT une marge de manoeuvre importante leur permettant de recourir à un expert dès lors que le projet modifiait les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail. Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme donc cette tendance, finalement, peu importe le nombre de salariés concernés, l'essentiel étant que le projet impacte les conditions de travail, entendues dans son sens le plus large. Or, en l'espèce, les juges ont estimé que le fait que deux vendeurs connaissent une extension de leur secteur d'activité ne suffisait pas à établir une modification des conditions de travail.
La Haute juridiction reconnaît, depuis 2001, que le contrôle des juges du fond doit se limiter à la constatation de l'existence d'un projet important modifiant les conditions de travail, ou d'hygiène et de sécurité (2). Ainsi, les juges du fond n'ont pas à apprécier l'utilité d'une telle expertise dès lors que l'existence d'un tel projet est constatée. A cet égard, les juges ont estimé que le projet de réorganisation en cause ne prévoyant aucune transformation de poste, aucun changement de métier, aucun nouvel outil ni modifications des cadences ou des normes de productivité, n'était pas un projet important permettant au comité de faire appel à un expert (3).
A contrario, après avoir constaté que, sur un effectif de 400 salariés, 255 étaient postés, que le changement d'horaire les affectait directement et que le médecin du travail avait rappelé que le travail posté était en soi perturbateur des rythmes biologiques, et conclu qu'il était préférable de se rapprocher de ces rythmes biologiques, la cour d'appel en a exactement déduit que les conditions posées par le Code du travail qui permet au CHSCT de recourir à une expertise étaient réunies (4). De même, tout projet définissant un nouveau métier de la logistique, dont les grandes orientations sont définies, la durée et la mise en oeuvre programmées et qui concerne la majorité des postes du service touché justifie le recours à un expert (5).
De la même manière, ont été reconnus comme importants par les juges et justifiant, à ce titre, la désignation d'un expert, la mise en service d'une nouvelle ligne de TGV (6) ; le projet de réorganisation mis en place à l'initiative de la direction d'un groupe entraînant la disparition d'une société, ainsi qu'une nouvelle organisation des établissements de cette société et le transfert d'une partie de son personnel au service d'une autre société relevant d'un autre groupe (7) ; le projet ayant trait à la négociation sur l'organisation et la réduction du temps de travail dans l'entreprise (8) ; le projet dont les grandes orientations étaient définies, dont la durée était programmée et la mise en oeuvre était prévue et qui aboutissait à la définition d'un nouveau métier de la logistique (9) ; l'installation d'un service important dans de nouveaux locaux plus vastes et mieux aménagés que les anciens (10) ; la décision d'instituer un cadre d'évaluation en mettant en place des entretiens individualisés des salariés (11) ; ou, encore, la mise en place d'un système de contrôle du temps de travail, même exceptionnel (12)...
On ne peut que se réjouir d'une telle décision. En effet, jusqu'à présent, la Haute juridiction laissait à l'appréciation des juges du fond la détermination de la qualification de "projet important". En reprenant la main et en faisant prévaloir le critère qualitatif sur le critère quantitatif, sans, cependant, exclure le second, les juges du Quai de l'Horloge se rapprochent finalement de la lettre de l'article L. 4612-8 du Code du travail : est important le projet impliquant un aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; un changement de produit ou d'organisation du travail ou une modification de cadences et des normes de productivité. Même si, à notre sens, toute mesure à caractère individuel ne saurait être susceptible de recevoir le sceau de "projet important", ce serait oublier la vocation collective initiale assignée au CHSCT.
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