La lettre juridique n°392 du 22 avril 2010 : Éditorial

Réforme de la procédure pénale : recherche "MAM" désespérément...

Lecture: 5 min

N9471BN4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Réforme de la procédure pénale : recherche "MAM" désespérément.... Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210802-reforme-de-la-procedure-penale-recherche-mam-desesperement
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Allez ! Disons le tout net : aucune réforme actuelle ne cristallise autant l'attention, ne suscite autant de crispations et, finalement, n'est autant marquée par les doutes qu'elle suscite (en attendant la prochaine réforme des retraites), que cette réforme de la procédure pénale, tant attendue, mais tant décriée...

C'est que, avant même que l'avant-projet de loi ne soit soumis à la concertation aux principaux corps professionnels de la justice pénale (magistrats et avocats), cette réforme, aux allures d'Arlésienne, s'inscrivait après celle de la carte judiciaire qui, et c'est le moins que l'on puisse dire, n'avait pas brillé par le dialogue, voire, ne serait-ce, par l'écoute des arguments des principaux protagonistes judiciaires.

Ensuite, en posant comme préalable non négociable la "suppression" du juge d'instruction et le report de ses fonctions d'enquête sur la tête d'un Parquet dont il est nullement question de revenir sur la dépendance du statut à l'égard de l'exécutif, cette réforme s'engageait forcément mal, au pays de Voltaire et Rousseau, c'est-à-dire dans un pays dont le terreau révolutionnaire aspire, ne serait ce que putativement, à "déboulonner" les élites !

Enfin, si l'on ajoute au timing et au manque de diplomatie, la surdité du ministère régalien de la Justice aux exigences et récriminations de la Cour européenne des droits de l'Homme, tant au sujet de la garde à vue et de la présence de l'avocat à la première heure pour une efficacité de la défense, qu'en ce qui concerne la dépendance du Parquet mise en cause lorsqu'il est en charge de la détention provisoire : le tableau, bien que picaresque et empreint de plusieurs touches de pinceau ("Magendie", "Guinchard" et surtout "Léger"), est loin de constituer une "Impression soleil levant"...

Alors faut-il que tous les acteurs de cette pièce en trois actes (Acte I - L'avant-projet ; Acte II - Les contre-propositions ; Acte III - Le projet définitif ; en oubliant peut être l'Epilogue devant le Parlement) veuillent sincèrement réformer une justice pénale plus que centenaire, pour dépasser le climat délétère qui entoure, malheureusement, cette réforme essentielle pour la modernisation de la notre démocratie.

Seulement, voilà : alors que la partition devrait être la même pour les défenseurs des droits et libertés, bien que le thème orchestré soit souvent un requiem pour la détention carcérale, les violons semblent mal accordés et le diapason de l'unité ne semble pas battre la mesure...

Première fausse note : devant l'insoutenable attente d'une réponse des Sages de la rue de Montpensier sur la légalité de la garde à vue à la suite d'un ribambelle de questions prioritaires de constitutionnalité, ce sont les magistrats de la Cour de cassation qui dégainent les premiers, dans un avis à remettre prochainement au Garde des Sceaux, et dont la sonorité nous est déjà parvenue par voie de presse. En substance, les Hauts magistrats considèrent que l'avant-projet de loi "ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l'exercice des droits de la défense et des victimes", en remettant en cause le rôle du Parquet dans la garde à vue. Et, de préciser que "le contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l'autorité de poursuite" (le Parquet). Ce contrôle, exercé par un juge indépendant, doit être "prompt et automatique" et "comporter le pouvoir d'ordonner la libération de la personne gardée à vue", si le juge l'estime nécessaire. La Cour de cassation souligne que le juge de l'enquête et des libertés, chargé, dans l'avant-projet de loi, d'exercer un contrôle des enquêtes conduites par le Parquet, et non plus par le juge d'instruction, doit avoir "une permanence d'intervention" dans les investigations. Autrement dit, la Cour régulatrice craint une "paralysie" de certaines enquêtes (source Le Point.fr).

Premier bémol, toutefois : l'Ordre des avocats de Paris, représentant la moitié de la profession d'avocat, par la voie de son vice-Bâtonnier Jean-Yves Leborgne, soutient la suppression du juge d'instruction. "Je suis favorable depuis toujours à l'orientation générale du projet, qui était également celle du rapport Delmas-Marty'", confie le vice-Bâtonnier au Figaro, "et qui consiste à confier l'enquête et les poursuites au parquet, sous le contrôle d'un juge du siège aux pouvoirs renforcés". Et loin de vouloir pratiquer la politique de la chaise vide, comme l'ont fait les syndicats de magistrats notamment, le barreau de Paris accepterait bien l'idée que le Parquet soit en charge de l'enquête, si son indépendance dans la conduite de l'enquête est garantie et, surtout, si les droits de la défense et les libertés sont renforcées. La pierre d'achoppement, pour le ténor parisien de l'avocature, est bien l'équilibre des pouvoirs et droits dans le cadre de l'instruction et de l'audience pénale.

"A hue et à dièse", le Conseil national des barreaux et l'Union syndicale de la magistrature tentent l'unité du corps judiciaire face à l'exécutif. Le discours est sensiblement le même que celui prononcé par l'Etat major de l'Ordre parisien, et sans doute celui que tiendra la Conférence des Bâtonniers : introduire ou renforcer le contradictoire à tous les stades de la procédure. Mais, chanter en canon demande beaucoup d'habilité ; le Conseil national et l'Union syndicale ont précisé que les propositions présentées n'étaient pas directement liées à la concertation "imposée" par la Garde des Sceaux sur l'avant-projet de réforme, même qu'ils souhaitaient, dans ce cadre, se positionner en "force de proposition"... Dans la concertation, mais pas autour de la table... quand le barreau de Paris accepte de s'asseoir et de négocier ce qui est négociable et profitable pour les droits de la défense...

Et bien, dans ces circonstances particulières et peu propices à l'aboutissement d'une réforme acceptable par l'orchestre judiciaire, il n'y a qu'une seule personne qui peut mettre de l'ordre : le chef d'orchestre, alias le Garde des Sceaux. Et, si l'on avait pu dire de la précédente locataire de la place Vendôme, "who's that girl", Michèle Alliot-Marie a un passé qui plaide pour elle.

Il n'est point besoin de remonter à sa naissance à Villeneuve-le-Roi, le 10 septembre... (restons courtois), pour entrevoir tout le bénéfice qu'il y aurait à tirer de négocier avec l'ancienne ministre de la Défense et ancienne ministre de l'Intérieur. Il n'y a qu'à ce souvenir que, lorsqu'elle est nommée, en 2002, ministre de la Défense, ne l'attendent rien de moins que la loi de programmation militaire, la consolidation de la professionnalisation de l'armée, la restructuration du GIAT et la transformation de la DCN ! Au final, sans tomber dans le panégyrique, le ministre aura su conquérir et conserver l'estime d'un corps militaire, peu amène, augmenter considérablement le budget de la Défense... et défendre les crédits prévus par la loi de programmation, contre le locataire de Bercy de l'époque (2004)... Nicolas Sarkozy. Et, comme ministre de l'Intérieur, l'on retiendra essentiellement la réforme des services de renseignement français, avec la fusion de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et de la Direction centrale des Renseignements généraux (DCRG) au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le 1er juillet 2008 ; ce qui, convenons en, n'était pas une mince affaire.

Par conséquent, on ne pourra pas dire que "MAM" n'était pas le bon ministre au bon moment : elle sait mener des réformes difficiles, dans la concertation. Gageons, alors, que l'appendice "d'Etat" ne soit pas purement décoratif, et qu'il lui laisse les coudées franches pour arrondir les contours d'une réforme de la procédure pénale nécessaire mais acceptable par tous.

"La bonne politique n'est pas de s'opposer à ce qui est inévitable ; la bonne politique est d'y servir et de s'en servir", nous livre d'Ernest Renan dans La Réforme intellectuelle et morale de la France.

Reste que négocier avec la Grande muette et avec l'orchestre polyphonique du barreau ne relève pas forcément de la même approche...

newsid:389471