La lettre juridique n°330 du 11 décembre 2008 : Sociétés

[Jurisprudence] L'opposabilité d'une clause compromissoire insérée dans le règlement intérieur d'une société coopérative

Réf. : Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 07-18.744, Société Système U centrale régionale Sud, F-D (N° Lexbase : A9425EAC)

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N9174BHA

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

L'arbitrage connaît depuis quelques années un développement certain, en raison, notamment, de la rapidité de la procédure et de la confidentialité des décisions, avantages particulièrement appréciés dans le monde des affaires. Ce succès se manifeste tant en aval des litiges, par un recours plus fréquent aux compromis d'arbitrage, qu'en amont, par l'insertion plus systématique d'une clause compromissoire dans les contrats. Mais, reconnaissons aussi que la loi du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) a, à l'évidence, joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des recours à ce mode alternatif de règlement des litiges. En effet, l'article 2061 du Code civil disposait antérieurement que "la clause compromissoire est nulle s'il n'est disposé autrement par la loi", alors que l'actuelle version de cet article, issue de la loi "NRE", précise, au contraire, que "sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus en raison d'une activité professionnelle" (C. civ., art. 2061 N° Lexbase : L2307AB3). Et nos juges ne sont pas en reste car affection du monde des affaires et promotion législative s'accompagnent, aujourd'hui, d'une jurisprudence indéniablement favorable pour les conventions d'arbitrage. En témoigne un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 2008. En l'espèce, le dirigeant d'une société (la société) adhérente d'une société coopérative, centrale d'achat dans la grande distribution, a quitté ses fonctions et a vendu la totalité des actions représentant le capital social de la société. La coopérative a, alors, mis en oeuvre la procédure d'arbitrage prévue au contrat, prétendant que le droit de préemption qui lui était conféré était opposable au dirigeant.
Une sentence arbitrale a dit la clause compromissoire et celle relative au droit de préemption opposables au dirigeant et a condamné ce dernier à indemniser la centrale d'achat. La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 26 juin 2007, annule la sentence retenant, d'abord, que le dirigeant n'était pas associé de la société coopérative en son nom personnel et qu'il n'était que le dirigeant de la société adhérente, ensuite, qu'il n'était pas partie, à titre personnel à l'acte prévoyant la clause compromissoire et ne pouvait donc se voir opposer cette clause à l'occasion de la vente de ses parts dans la société adhérente, seule partie au règlement intérieur et aux statuts.
La centrale d'achat forme, avec succès, un pourvoi en cassation. La Cour régulatrice relève qu'en application de l'article 3 du règlement intérieur de la société coopérative, selon lequel la personnalité et l'activité d'une société, personne morale, se confondent avec la personnalité et l'activité de celui ou de ceux qui la contrôlent directement ou indirectement et la dirigent, le dirigeant avait nécessairement adhéré à titre personnel à ce règlement et accepté d'être lié par les clauses le concernant directement en tant que dirigeant social, particulièrement la clause d'arbitrage et celle relative au droit de préemption. Elle en conclut que la cour d'appel a violé l'article 1484, alinéa 2-1, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2327ADK), en application duquel le recours en annulation est ouvert si l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée.

Cette solution n'est pas nouvelle. Deux ans plus tôt, la même formation de la Haute juridiction avait été saisie d'un pourvoi dont les faits étaient en tous points identiques à ceux ayant donné lieu à la décision du 22 octobre dernier, puisqu'il s'agissait de la même coopérative et de la même clause. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation avait retenu que la cour d'appel était restée dans les limites de ses attributions en constatant que la clause compromissoire était stipulée à l'article 24 du règlement intérieur et que les dispositions des statuts et du règlement intérieur étaient opposables aux personnes physiques dirigeantes des personnes morales membres du groupement, de sorte que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ou inapplicable au dirigeant d'une société, associée coopératrice au sein de la société coopérative (Cass. civ. 1, 20 septembre 2006, n° 05-10.781, F-P+B+I N° Lexbase : A3020DRB).

Ce faisant, avec l'arrêt du 22 octobre 2008, la Cour régulatrice confirme que la clause compromissoire contenue dans le règlement intérieur d'une société coopérative peut s'appliquer au dirigeant d'une société coopératrice, quand bien même il n'est pas partie à la convention litigieuse.

De prime abord, cette solution a de quoi surprendre. On rappellera, en effet, qu'aux termes de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), "les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes". Or, la clause compromissoire litigieuse était, en l'espèce, contenue dans le règlement intérieur de la société coopérative dont le dirigeant n'était pas lui-même associé, puisque la coopératrice était la société qu'il dirigeait, dont il était associé et dont il avait cédé les parts. Rappelons que le règlement intérieur est un document unilatéral, infra-statutaire et émanant de l'organe social habilité à exprimer la volonté de la société, qui a vocation à organiser la vie quotidienne de la société. Il s'impose donc à la société, à ses dirigeants, à ses associés, mais aussi à leurs héritiers. En revanche, en vertu de l'effet relatif des conventions, il ne saurait être opposable aux tiers, sauf à prouver qu'ils en avaient connaissance, sachant que le règlement intérieur n'est soumis à aucune règle de publicité. On doit donc en conclure que le dirigeant de la société associée de la coopérative est un tiers au règlement intérieur auquel celui-ci ne saurait a priori être opposable.

C'est sur ce point que certains commentateurs de l'arrêt du 20 septembre 2006 ont pu estimer que la Cour de cassation prenait quelques libertés avec le principe de l'effet relatif des contrats, et que la solution retenue par le juge du droit s'en trouvait ainsi "contestable" (S. Reifegerste, Application au président du conseil d'administration d'une société membre d'un groupement coopératif de la clause compromissoire stipulée dans le règlement intérieur du groupement, JCP éd. E, 2007, n° 9, n° 1268).

Toutefois, une analyse plus précise de l'arrêt conduit à penser que c'est plutôt le principe d'autonomie de la personne morale dont la Cour entend s'affranchir que celui de l'effet relatif des contrats.

En effet, la première chambre civile, pour conclure à l'opposabilité de la clause compromissoire contenue dans le règlement intérieur au dirigeant, relève que ce document précise que "la personnalité et l'activité d'une société, personne morale, se confondent avec la personnalité et l'activité de celui ou de ceux qui la contrôlent directement ou indirectement et la dirigent". La formule a de quoi surprendre, puisque l'un des principes fondateurs du droit des sociétés veut que la société, personne morale, a un patrimoine distinct de celui de ses membres et de ses dirigeants. Or, le règlement intérieur de la coopérative, en l'espèce, s'affranchit de cette règle puisqu'il prévoit clairement que la personnalité de la société se confond avec celle de ceux qui la contrôlent et ceux qui la dirigent : il insiste donc sur le caractère déterminant de l'intuitu personae qui gouverne les relations à l'intérieur de la coopérative au détriment de l'écran que constitue la personne morale. Le principe de l'autonomie de la personne morale n'est pas, pour autant, absolu en droit des sociétés, puisqu'il y est admis de nombreuses exceptions, essentiellement fondées sur la fictivité ou la fraude. Ainsi, en est-il en droit fiscal où la société devient transparente en cas de fraude, notamment, si elle est créée dans le seul but, pour les associés, d'échapper à une procédure de redressement fiscal (par ex. Cass. com., 2 juin 1987, n° 85-18.865, Consorts Bouvier et autres c/ Le directeur général des Impôts N° Lexbase : A8310AAZ). Le droit des procédures collectives est l'autre domaine dans lequel jouent de nombreuses exceptions à l'autonomie du patrimoine social puisqu'il connaît l'extension à une société de la procédure collective ouverte à l'encontre d'une autre société, sur le fondement de la confusion des patrimoines et de la fictivité (C. com., art. L. 621-2 N° Lexbase : L4056HBT).

Mais, dans l'arrêt du 22 octobre 2008, la disparition de l'écran social ne se justifie pas par l'existence d'une situation illicite mais par une limitation contractuelle de l'autonomie du dirigeant par rapport à la société.

De ce constat, la Cour de cassation devait tirer la conclusion qui s'imposait à elle : le dirigeant avait nécessairement adhéré à titre personnel à ce règlement et accepté d'être lié par les clauses le concernant directement en tant que dirigeant social. En d'autres termes, la "disparition" de l'écran social a pour conséquence d'identifier le dirigeant à la société qu'il dirige et, partant, il a tacitement accepté le contrat liant la société à la coopérative.
D'ailleurs, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, s'agissant d'une clause compromissoire et d'un pacte de préemption -toujours pour le même groupe que dans l'arrêt du 22 octobre 2008 et dans celui du 20 septembre 2006-, pour les appliquer au dirigeant associé d'une coopératrice, avait retenu que le préambule des statuts insiste sur l'intuitu personae comme élément déterminant dans les rapports juridiques entre coopérative et associé quand bien même existât l'écran que constitue la personnalité morale (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-14.630, F-D N° Lexbase : A5462DLU).

Si la formule utilisée dans cet arrêt est différente de celle contenue dans l'arrêt du 20 octobre 2008, vraisemblablement parce que la clause est elle-même rédigée en termes distincts, le sens est sensiblement le même : c'est la consécration d'un fort intuitu personae qui justifie la confusion de la personne morale et de son dirigeant.

Par conséquent, la première impression qui se faisait jour à la lecture de l'arrêt du 22 octobre 2008, à savoir la liberté qu'a prise la Cour de cassation avec l'effet relatif des conventions, et les critiques qui avaient pu sembler justifiées dans les commentaires sous l'arrêt du 20 septembre 2006, sont à tempérer. En effet, c'est surtout l'audace de la Cour à s'affranchir de l'autonomie de la personne morale qui fonde sa décision, le non-respect du principe de l'article 1165 du Code civil n'étant que la conséquence logique de ce constat.

Au demeurant, cette solution s'inscrit dans un courant jurisprudentiel plus large, évoqué plus avant, favorable à l'arbitrage et plus particulièrement aux clauses compromissoires. Cela est, notamment, remarquable dans les groupes de sociétés. En effet, la Cour de cassation admet qu'une société appartenant à un groupe de société, si elle n'est pas partie à une convention contenant une clause compromissoire, peut être liée par cette clause, dès lors qu'elle l'a implicitement acceptée (Cass. com., 28 novembre 1989, n° 88-13.523, Société Kis Corporation c/ Société Générale et autres, inédit N° Lexbase : A7856C4Q). De même, la jurisprudence considère que la clause d'arbitrage s'applique à une société d'un groupe non signataire de la convention lorsque cette convention s'inscrit dans une opération économique dans laquelle la société non signataire est impliquée (CA Versailles, 15 septembre 2005 n° 05/2131 ; CA Paris, 11 janvier 1990, Rev. arb., 1992, p. 95, note Cohen).

Il faut donc en conclure que la clause compromissoire rayonne au-delà de la convention, puisqu'elle peut lier des tiers, strictement entendus, au contrat, encore que, dans tous les cas, son application au-delà des parties soit conditionnée par la connaissance de que ces tiers avaient de la clause litigieuse, cette connaissance étant déduite des liens juridiques et économiques étroits entretenus par l'une des parties avec le tiers considéré.

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