La lettre juridique n°330 du 11 décembre 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'audition de l'enfant et le principe du contradictoire

Réf. : Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-11.552, M. Fodil Merakeb, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4769EBA)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010




L'arrêt du 3 décembre 2008 rappelle, s'il en était besoin, que le principe du contradictoire s'applique aussi à l'audition de l'enfant, laquelle ne saurait rester, quoique qu'on ait pu en dire, une affaire entre le mineur et le juge. La Cour de cassation en déduit que les parties doivent donc être avisées de cette audition (I), sans se prononcer sur l'application du principe du contradictoire au contenu de celle-ci (II). I - Le principe du contradictoire et l'existence de l'audition

Fondements. Rendue au visa du texte général imposant au juge le respect du principe du contradictoire et du texte particulier qui impose le respect de celui-ci lorsque le juge décide d'entendre un mineur en vertu de l'article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8349HW7), la décision du 3 décembre 2008 n'énonce en réalité qu'une évidence. Elle mérite, toutefois, une attention particulière en ce qu'elle met en exergue le fait que l'audition de l'enfant constitue bien un acte procédural. Une telle qualification a, en effet, été parfois remise en cause, au regard du caractère informel de l'audition du mineur. L'application logique du principe du contradictoire à l'audition du mineur conduit à exiger du juge qu'il informe les parties de sa décision d'entendre l'enfant et qu'il fasse état de cette information dans le dossier de procédure ou dans sa décision. L'arrêt commenté reproche à la cour d'appel d'avoir mentionné l'audition de l'enfant dans sa décision sans préciser, dans la décision elle-même ou dans le dossier de procédure, que les parties avaient été informées de celle-ci.

Audition d'office. Le fait que l'audition de l'enfant ait été décidée d'office par le juge dans l'espèce commentée confère, toutefois, à la décision du 3 décembre 2008 une portée particulière. En effet, l'article 338-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2035H47) selon lequel "la décision statuant sur la demande d'audition formée par le mineur n'est susceptible d'aucun recours" ne paraît pas s'appliquer à la décision ordonnant d'office l'audition du mineur. L'information des parties quant à cette décision est d'autant plus essentielle qu'elles peuvent la contester et ainsi éviter que l'audition ait lieu. Il est donc impératif que les parties n'apprennent pas que le juge a entendu l'enfant seulement lors de l'énoncé de la décision.

Audition à la demande du mineur. L'information préalable des parties quant à la décision du juge d'entendre l'enfant est moins nécessaire lorsque celle-ci fait suite à une demande de l'enfant. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, relative à la protection de l'enfance (loi n° 2007-293 N° Lexbase : L5932HUA), qui modifie l'article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8349HW7), les parties ne pouvaient pas contester la décision du juge d'entendre l'enfant qui le souhaite. L'information est d'autant moins nécessaire, du point de vue du recours, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, en janvier 2009, que l'audition est de droit, dès lors que le mineur la sollicite. Il reste, cependant, que cette audition est subordonnée au discernement du mineur et que les parties pourraient vouloir l'empêcher en invoquant le défaut de discernement de l'enfant. Il semblerait plus logique que les parties soient dans tous les cas informées de la décision du juge d'entendre l'enfant, pour pouvoir ensuite être informées du contenu de l'audition. Il serait en effet opportun que la Cour de cassation impose également le respect du principe du contradictoire sur ce dernier point...

II - Le principe du contradictoire et le contenu de l'audition

Référence à l'audition dans la décision. Les différents textes instituant une obligation d'entendre le mineur imposent l'audition sans contraindre le magistrat à motiver sa décision par le désir de l'enfant. La Cour de cassation avait décidé, dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, qu'"aucune disposition légale n'impose de rapporter dans l'arrêt les propos [que le mineur] a pu tenir" (1). Toutefois, la Cour de cassation, par une décision du 20 novembre 1996 (2), a cassé un arrêt de la cour d'appel d'Amiens qui n'avait pas précisé "si elle avait tenu compte des sentiments exprimés par [le mineur]". Un arrêt du 10 juin 1998 (3) affirme, de manière générale, que le juge doit tenir compte des sentiments du mineur entendu. Il ne s'agit, cependant, pas d'exiger du magistrat qu'il indique s'il a ou non statué en conformité avec les sentiments exprimés par l'enfant, ce qui reviendrait à exiger qu'il rapporte au moins le sens de ces derniers. La Cour de cassation impose donc seulement une exigence de forme : le juge doit faire part des éléments qui ont fondé sa décision et parmi eux, le cas échéant, l'audition de l'enfant, sans pour autant mentionner les sentiments de ce dernier.

Silence des textes quant à la transcription de la parole du mineur. L'article 388-1 du Code civil, relativement détaillé quant aux modalités de la convocation de l'enfant à son audition et de son assistance, reste silencieux quant à la forme selon laquelle le juge est amené à recueillir la parole de l'enfant. Les dispositions du Code de procédure civile relatives à l'audition du mineur sont également muettes sur ce point. La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 janvier 1994 (4), avait constaté qu'aucun texte n'impose que l'audition de l'enfant fasse l'objet d'un procès-verbal. Le silence des textes quant à la retranscription de l'audition de l'enfant par le juge conduit à lui appliquer les principes généraux du droit processuel. L'audition du mineur constitue un acte de procédure qui ne doit pas échapper au principe du contradictoire ni dans son existence, ni dans son contenu.

Information minimum des parties. Le caractère particulier de l'audition d'un enfant, dans le cadre de procédures familiales, rend toutefois malaisée la communication aux parties des propos tenus par l'enfant et explique la diversité des pratiques judiciaires constatées depuis 1987. La communication aux parties d'un résumé des propos de l'enfant paraît cependant un minimum indispensable au respect du principe du contradictoire. Informées de la convocation du mineur pour son audition, les parties doivent connaître le résultat de cette mesure. L'argument selon lequel l'enfant risque de ne pas se confier au juge n'est pas recevable : les propos du mineur vont certainement peser sur la décision du juge et il est essentiel que les parties puissent les discuter conformément à la définition même du principe du contradictoire.


(1) Cass. civ. 1, 20 novembre 1985, n° 84-13.094, Mme Sanon c/ Consorts Lagarde, Dessennes, Mme Moreau, Préfet du Val de Marne (N° Lexbase : A5950AAM), Gaz. Pal., 1986, 2, 609.
(2) J. Hauser, Audition de l'enfant : application immédiate et motivation des décisions, RTDCiv., 1997 ; P. Murat, Précisions sur la portée processuelle de l'audition du mineur, Dr. fam., 1997, n° 2, p. 14 ; Y. Benhamou, note sous Cass. civ. 2, 20 novembre 1996, n° 93-19.937 (N° Lexbase : A8308ABC), D., 1997, 192.
(3) Cass. civ. 2, 10 juin 1998, n° 97-20.905, inédit (N° Lexbase : A9256CQU), JCP éd. G, 1999, 101, obs. Y. Favier.
(4) Cass. civ. 1, 19 janvier 1994, n° 92-16.359, Mme B. c/ B., inédit (N° Lexbase : A7767CWL).

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