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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Que nos lecteurs nous pardonnent, si, à la manière d'un soap californien, l'arrêt de la cour d'appel de Douai rendu le 17 novembre dernier, après une médiatique décision de première instance des juges lillois rendue le 1er avril 2008 concernant l'annulation d'un mariage pour cause de non-virginité, s'inscrit dans la ligne de nos derniers éditoriaux. Tous les ingrédients sont, ainsi, présents afin d'éclairer cette telenovela, qui, comme toute production brésilienne du genre, aurait dû passer inaperçue, si le trio "sexe, mensonge et religion" n'avait pas fait une malheureuse apparition dans les prétoires. "Le lit est tout le mariage" écrivait Balzac dans sa Physiologie du mariage.
Il y a deux semaines nous avions éclairé un arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2008 qui, à l'encontre du vendeur d'une oeuvre d'art dont l'auteur ne s'avérait pas véritablement celui qu'il laissait entendre, avait retenu l'erreur substantielle sur la chose vendue (lire Le vice du consentement à l'heure de la doctrine "MacNamara"). La semaine dernière, nous revenions sur l'autonomie de la volonté en matière sociale (lire Doux rêve de l'autonomie de la volonté en matière sociale : principes taôistes et réalité tayloriste) au travers, notamment, d'un arrêt de la Haute juridiction du 29 octobre 2008 qui rappelait que, selon l'article L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure. Or, cette dernière demeure de l'appréciation souveraine des juges du fond, même lorsque le contrat de travail, en l'espèce de qualification, prévoit une clause de rupture d'un commun accord, sans versement d'indemnité d'aucune sorte, en cas de défaillance du salarié quant à la réussite d'un examen substantiel à la continuation de la relation salariale, défaillance qualifiée de "cas de force majeure" par les parties elles-mêmes.
L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Douai, sur lequel revient cette semaine Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, concerne, bien entendu, "l'annulation du mariage annulé" comme le veut la formule journalistique. Point n'est besoin de s'appesantir sur les faits, si ce n'est pour rappeler qu'en avril dernier, le TGI de Lille avait annulé un mariage "pour erreur sur les qualités essentielles" de la conjointe car celle-ci avait menti sur sa virginité. L'affaire avait fait grand bruit tant auprès des associations féministes que sur les bancs de l'Assemblée nationale, au point que le secrétaire d'Etat au droit des femmes avait déclaré dans un communiqué être "consternée de voir qu'aujourd'hui en France certaines dispositions du Code civil conduisent, par l'interprétation qui peut en être faite, à une régression du statut de la femme" et de contraindre le Garde des sceaux à un revirement d'opinion et à demander que le parquet fasse appel de la décision. Sitôt dit, sitôt fait... petite précision : l'annulation du mariage était requise par les deux époux.
Bien mal ont pensé les juges du fond en interprétant l'article 180 du Code civil, commandant la nullité du mariage, s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, à la lumière de la jurisprudence "Berthon"... de 1868. Le procureur Lemaire aura eu beau jeu de préciser que le problème de la virginité "focalise un peu le débat [...], la question ce n'[était] pas la virginité, [c'était] la liaison qu'elle a eue avant et qui a été cachée [...] C'est le mensonge qui [a] motiv[é] la décision du juge", la formation collégiale de la cour d'appel aura donc eu tôt fait de rappeler que le mensonge prétendu de l'épouse portant "sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité [...] n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale". Et d'ajouter que "le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n'est pas un fondement valide pour l'annulation d'un mariage". N'en déplaise à Picasso, Dali et aux juges lillois, les femmes ne sont pas des oeuvres d'art relevant du concept juridique de "l'erreur substantielle sur la chose vendue" !
Ainsi donc, une qualité est essentielle lorsque son absence a une incidence sur la vie matrimoniale. N'entre pas dans cette catégorie la vie sentimentale des conjoints avant le mariage... Problème : dans un arrêt du 2 décembre 1997, la Cour de cassation concluait parfaitement l'inverse (Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 96-10.498) ! "Mais attendu que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le fait pour M. X d'avoir caché à son épouse qu'il avait contracté un premier mariage religieux et qu'il était divorcé, avait entraîné pour son conjoint une erreur sur des qualités essentielles de la personne ; qu'elle a souverainement estimé que cette circonstance était déterminante de son consentement pour Mme Y qui, désirant contracter un mariage religieux, entendait, par là même, épouser une personne non divorcée ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision". Certes, d'aucuns pourraient relever que le précédent mariage prohibait de facto un nouveau mariage religieux et entraînait donc "une incidence sur la vie matrimoniale". Mais, dans le cadre de l'affaire portée à la connaissance des magistrats de Douai, la virginité de la conjointe semblait être une condition du mariage pour le conjoint eu égard à ses convictions religieuses. "Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi" ironisait Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro. Qu'on le veuille ou non, la religion s'invite, à nouveau, dans l'enceinte des Palais de justice...
Finalement, à en croire Tolstoï, "le mariage, tel qu'il existe aujourd'hui, est le plus odieux de tous les mensonges, la forme suprême de l'égoïsme" (La Sonate à Kreutzer). Aussi point n'est besoin de tordre le cou à l'interprétation classique de l'article 180 du Code civil, l'ordre public suffit à exclure la virginité des conditions essentielles du mariage invocables. L'aptitude à avoir des relations sexuelles normales pourra ainsi continuer d'entraîner l'annulation du mariage, sans que cela ne dresse de fourches caudines ! A moins que l'on abandonne, en la matière comme en d'autres, tout service minimum (lire cette semaine, également, Yves Broussolle, sur le service minimum d'accueil) !
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