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N4918BHM
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
A la suite d'une opération de police judiciaire, l'autorité judiciaire a mis à la disposition de l'administration fiscale (LPF, art. L. 101 N° Lexbase : L2215DAB) les pièces comptables saisies de la société immobilière Set Squash dont l'objet était la construction et la location d'installations sportives. Cette disposition légale s'inscrit dans le cadre du droit de communication qui permet à l'administration d'avoir connaissance de documents et de renseignements auprès de tiers pour l'établissement et le contrôle de l'assiette de l'impôt quant bien même certaines pièces auraient été déclarées nulles par le juge pénal (CE 9° et 8° s-s-r., 6 octobre 1999, n° 126827, Perrini N° Lexbase : A4514B7C (1)).
La particularité des dispositions de l'article L. 101 du LPF réside dans le fait que l'autorité judiciaire -y compris le ministère public (CE Contentieux, 10 décembre 1999, n° 181977, Lescot N° Lexbase : A5079AXE)- doit renseigner l'administration de toute indication faisant présumer une fraude fiscale (comp. : LPF, art. L. 82 C (2) N° Lexbase : L8456AEW).
La jurisprudence considère qu'aucune formalité particulière n'est imposée de sorte que le dépôt préalable d'une demande de communication de l'administration fiscale à l'intention de l'autorité judiciaire n'est pas nécessaire (CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2002, n° 231105, SARL Berre Station N° Lexbase : A8251AYA). Par conséquent, l'administration fiscale peut elle-même en prendre l'initiative (CE Contentieux, 10 juin 1998, n° 168322, Ministre de l'Economie et des Finances c/ SARL Le Sansa's N° Lexbase : A7339ASM ; CE Contentieux, 20 février 1991, n° 59865, Amsellem N° Lexbase : A9019AQ4 ; CE Contentieux, 3 décembre 1990, n° 103101, Ministre du Budget c/ SA Antipolia N° Lexbase : A4680AQE).
Au cas particulier, la communication de l'autorité judiciaire a permis à l'administration de prononcer un rappel de TVA assorti d'une majoration de 40 % pour mauvaise foi tout en précisant à la contribuable l'existence et la nature de documents mis à sa disposition par l'autorité judiciaire (3). De plus, à l'initiative de l'administration fiscale, le juge d'instruction a autorisé par voie d'ordonnance la contribuable à consulter les pièces en question et à en prendre une copie. Cependant, devant la juridiction d'appel (CAA Marseille, 4ème ch., 21 décembre 2004, n° 00MA00743, Ministre c/ Société Immobilière Set Squash, RJF, juin 2005, n° 589), la société s'est plainte des conditions effectives de la consultation et elle a prétendu n'avoir pu obtenir une copie des documents en cause. La cour administrative d'appel de Marseille rejettera les prétentions de la contribuable car "les services de gendarmerie se sont seulement refusés à effectuer eux-mêmes lesdites copies mais n'ont mis aucun obstacle à ce que les représentants de la société ou son conseil effectuent eux-mêmes ces copies". Ainsi, la contribuable ne peut établir que sa demande de communication des documents utiles à sa défense lui a été refusée étant entendu que le fait de ne pas pouvoir récupérer les originaux est sans incidence au regard de la régularité de la procédure.
Lorsque les pièces comptables ont été saisies et détenues par l'autorité judiciaire et que l'administration fiscale s'est appuyée dessus pour fonder ses redressements à l'issue d'une vérification de comptabilité, le juge de cassation veille à ce que ces documents aient bien été soumis à un débat oral et contradictoire avec le contribuable (CE 9° et 10° s-s-r., 28 novembre 2003, n° 255954, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Tekelec Airtronic N° Lexbase : A4145DAR ; CE 3° et 8° s-s-r., 25 avril 2003, n° 234812, Société Impremanus N° Lexbase : A7683BSD (4) ; CE 9° et 10° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 224786, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mlle De Noyer N° Lexbase : A9503AZY ; v. pour l'application de ce principe aux documents comptables du contribuable vérifié et détenus par des tiers en général : CE 3° et 8° s-s-r., 22 novembre 2006, n° 280252, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Bozzi N° Lexbase : A5471DSG).
On précisera, toutefois, que les documents en question doivent être des pièces comptables du contribuable : tel n'est pas le cas de relevés de sécurité sociale adressés à l'administration fiscale par la caisse primaire d'assurance maladie (CE 3° et 8° s-s-r., 27 juin 2008, n° 301472, M. Fretin N° Lexbase : A3544D97).
En cassation, la Haute juridiction reprend le considérant de principe issu des jurisprudences susvisées et entend l'appliquer à toutes les situations où la comptabilité du contribuable est, en tout ou partie, détenue chez un tiers sans distinction quant à sa qualité (5).
La société anonyme International Leasure venant aux droits de la société Set Squash développera la même argumentation que celle exposée sans succès devant la cour administrative d'appel de Marseille : les Hauts magistrats relèveront que le gérant et associé de la société ainsi que son conseil "ont eu deux réunions [dont la réalité a été vérifiée par la juridiction d'appel] pour procéder à l'examen des documents comptables saisis dans les locaux de la gendarmerie où ils étaient conservés". L'entreprise ayant eu accès aux documents en question et le droit au débat oral et contradictoire ayant été respecté, une telle décision doit être approuvée.
L'administration peut prononcer des sanctions administratives (6) sous la forme de majorations ou de pénalités forfaitaires sous le contrôle des juridictions. Sans elles, il est à craindre que le respect des prescriptions légales ne serait que pure incantation. La matière est sensible et elle a fait l'objet d'une importante refonte en 2005 (ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités N° Lexbase : L4620HDH) commentée par l'administration fiscale dans une instruction particulièrement dense (instruction du 19 février 2007, BOI 13 N-1-07 N° Lexbase : X8206ADB). Même le vocabulaire ayant cours en matière de sanction (7) a été remanié depuis : ainsi, les inexactitudes ou les omissions sont sanctionnées par une majoration de 40 % "en cas de manquement délibéré" (CGI, art. 1729 (8) N° Lexbase : L1716HNU), alors que les anciennes dispositions (CGI, art. 1729 N° Lexbase : L4163HM7) stigmatisaient "la mauvaise foi" étant entendu que la charge de la preuve repose sur l'administration fiscale (LPF, art. L. 195 A N° Lexbase : L8353AE4 ; CE 9° et 10° s-s-r., 21 mars 2001, n° 202490, M. Egot N° Lexbase : A1575ATI ; CE Contentieux, 21 avril 1989, n° 89657, David N° Lexbase : A0733AQ9) et que la sanction doit être motivée (9) (LPF, art. L. 80 D N° Lexbase : L8025AEX) sauf à encourir la nullité (CE Contentieux, 22 février 1989, n° 70252, Jean-Louis Braun N° Lexbase : A0944AQZ). Cependant, ce changement de terminologie -qui participe du marketing de l'impôt et de sa sanction- ne change rien sur le fond (10) : la jurisprudence applicable jusqu'alors est parfaitement transposable aux agissements commis depuis le 1er janvier 2006 et visés par ce texte.
La société anonyme Jules Bechet, entreprise du bâtiment soumise à l'IS créée en 1982, a fait l'objet de deux vérifications successives de comptabilité d'une part au titre des exercices 1987 à 1989 ; d'autre part au titre des exercices 1993 et 1994. Toutes deux se sont conclues par un redressement à la suite de la violation des dispositions légales portant sur la comptabilisation des travaux effectués par la société. L'administration fiscale a alors décidé d'appliquer les dispositions de l'article 1729 du CGI en vigueur en réclamant une majoration de 40 % pour mauvaise foi au double motif de l'importance des insuffisances constatées (11) et de son caractère répétitif. Sous le contrôle de qualification juridique des faits par la Haute juridiction (CE 3° et 8° s-s-r., 6 juin 2008, n° 285629, SA Gustave Muller N° Lexbase : A9537D8Q ; CE 3° et 8° s-s-r., 5 décembre 2005, n° 255977, M. Le Pen N° Lexbase : A3908DQS) rappelons que la mauvaise foi doit être caractérisée par l'omission ou l'insuffisance de déclaration (CE Contentieux, 3 mai 1993, n° 116269, M. Cohen N° Lexbase : A9448AMU) et par son caractère délibéré qui peut se traduire par des infractions "systématiques" (CE 8° s-s., 5 novembre 2003, n° 247309, Société d'exploitation des cars de la Ferte-sous-Jouarre N° Lexbase : A0938DAY ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 novembre 2002, n° 221440, SARL New-Sports N° Lexbase : A0748A4H) ou répétées (CE 3° et 8° s-s-r., 25 avril 2003, n° 234812, Société Impremanus N° Lexbase : A7683BSD) étant entendu -et la décision "SA Jules Bechet" abonde dans ce sens- que les qualifications d'infractions systématiques ou répétées sont alternatives. En d'autres termes, le caractère systématique de l'infraction constitue la phase ultime de l'infraction répétée ; cette dernière pouvant justifier la sanction prévue par l'article 1729 du CGI alors même qu'elle ne serait pas systématique.
En appel, la vaine argumentation de l'entreprise reposait sur le changement de dirigeant entre les deux vérifications de comptabilité et le fait que les erreurs commises n'éludaient pas l'impôt mais en différaient le paiement (CAA Paris, 2ème ch., 24 novembre 2006, n° 04PA03906, Société Jules Bechet N° Lexbase : A4320DT8).
En cassation, dans l'arrêt rendu le 3 septembre 2008, le Conseil d'Etat confirmera la décision prise par la juridiction d'appel, car il importe peu que les redressements successivement prononcés aient porté sur des travaux en cours (CGI, art. 38, 3 N° Lexbase : L3902IAR) ou des travaux réceptionnés (CGI art. 38, 2 bis (12) N° Lexbase : L3902IAR) relevant de deux règles d'assiette différentes ; et ce d'autant que l'administration avait pris soin de mentionner, dans la première notification de redressements datée de novembre 1990, les règles de comptabilisation en vigueur pour une entreprise du bâtiment.
Ainsi, l'argument reposant sur l'impossibilité d'appliquer la majoration de l'article 1729 du CGI dès lors que les manquements étaient fondés sur des dispositions légales différentes n'a pu prospérer : la Haute juridiction écarte la thèse de la parfaite identité des omissions reprochées et confirme in casu la mauvaise foi de la société requérante.
La cession d'une marque par son propriétaire personne physique relève-t-elle de la TVA ? Un couple de contribuables concède à titre gratuit deux marques déposées préalablement par leurs soins à l'INPI en 1982 et en 1991 au profit d'une société à responsabilité limitée dont ils possédaient la totalité du capital. Puis, en 1995, la propriété des marques a été acquise par la société et les prix de cession ont été inscrits au crédit des comptes courants d'associés. A la suite d'un examen de la situation fiscale personnelle des contribuables (ESFP), l'administration a alors considéré que les sommes en question devaient être qualifiées de BIC et que les cessions des marques relevaient également de la TVA.
La juridiction d'appel a validé le raisonnement de l'administration fiscale (CAA Nantes, 1ère ch., 30 octobre 2006, n° 05NT01192, M. Michel Befort N° Lexbase : A5606DTS) : il résulte, en effet, des dispositions du Code général des impôts (CGI, art. 256 N° Lexbase : L5143HL3 ; CGI, art. 256 A N° Lexbase : L5156HLK) que la cession d'une marque commerciale par son propriétaire est une activité économique au sens des textes précités "quel que soit le mode de rémunération de ladite cession et alors même qu'il n'en aurait retiré qu'une recette unique" selon les conseillers de la cour administrative d'appel. On remarquera également que les coupures de presse versées par le contribuable n'ont pas suffi à démontrer qu'il aurait lui-même exploité la marque cédée : on sait en effet que la cession d'une marque exploitée relève des droits d'enregistrement proportionnels (CGI, art. 719 N° Lexbase : L7909HLI) en tant que support d'une clientèle et est, à ce titre, exonérée de la TVA.
Un précédent arrêt rendu en 2004 par la cour administrative de Douai (CAA Douai, 2ème ch., 26 octobre 2004, n° 02DA00454, M. Georges Vanholsbeke N° Lexbase : A9776DES) avait considéré qu'une activité -cette fois-ci qualifiée d'occasionnelle- d'intermédiaire au profit du vendeur d'un ensemble immobilier relevait du champ d'application rationae materiae de la TVA malgré la nouvelle rédaction de l'article 256 A du CGI issue de l'adoption de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 (N° Lexbase : L6960IBE). Jusqu'alors, en effet, l'article 256 A du CGI (N° Lexbase : L5155HLI) faisait référence aux personnes "qui effectuent d'une manière indépendante, à titre habituel ou occasionnel, une ou plusieurs opérations" pour les assujettir à la TVA. Depuis lors, l'article 256 A du CGI ne fait plus référence au caractère occasionnel des opérations concernées et la doctrine administrative -dont s'est prévalu avec succès le contribuable devant la cour administrative d'appel de Douai- a précisé que "La réalisation à titre habituel de livraisons de biens et de prestations de services à titre onéreux constitue une activité économique. Le caractère habituel implique la réalisation répétée de prestations de services ou de livraisons de biens. En revanche, la personne qui réalise à titre occasionnel une opération économique n'a en principe pas la qualité d'assujetti(13) " (instruction du 31 juillet 1992, BOI 3 CA-92 N° Lexbase : X0530AAU). La même instruction ajoutera qu'une activité économique taxable peut être la conséquence de "la réalisation d'une seule opération". Il est alors indispensable d'indiquer ce qu'est une activité occasionnelle étant entendu que cette notion ne se confond pas avec celle d'activité unique s'inscrivant dans un circuit économique. L'activité occasionnelle signifie que l'on s'attache en premier lieu à la nature du bien "susceptible d'être utilisé tant à des fins économiques que privées" puis l'on cherchera à "déterminer s'il est utilisé en vue d'en retirer des recettes présentant effectivement un caractère de permanence" (CJCE, 26 septembre 1996, aff. C-230/94, Renate Enkler c/ Finanzamt Homburg N° Lexbase : A0096AWH (14) ; J. Maïa, Débat sur les frontières de l' activité économique' imposable à la TVA. Le cas des activités des syndicats de copropriété, RJF, février 2002, p. 102). En d'autres termes, "Les opérations occasionnelles ne sont pas des opérations économiques, car elles ne sont pas effectuées dans le cadre d'un objectif d'entreprise (15) [...]. Cependant, il faut les distinguer des opérations ponctuelles ou uniques" (16). Ainsi, la recette unique tirée de la cession d'un brevet relève du champ d'application de la TVA (CE 8° et 3° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 204129, M. Cambon N° Lexbase : A1830AIM ; concl. E. Mignon (17), BDCF, janvier 2001, n° 5 ; v. également : CAA Lyon, 5ème ch., 20 octobre 2005, n° 01LY01550, M. René Marchand N° Lexbase : A5813DLU). On comprend alors pourquoi certaines rédactions de décisions de justice peuvent paraître ambiguës pour le lecteur puisqu'elles semblent confondre les notions d'opération occasionnelle et d'opération unique : tel est le cas de l'arrêt "Vanholsbeke" dès lors que les faits rapportent l'existence d'une seule opération de vente d'un important ensemble immobilier à l'issue de laquelle le contribuable a perçu une rémunération. Dans une telle hypothèse, les conseillers de la cour administrative auraient dû qualifier d'unique plutôt que d'occasionnelle (18) une telle opération.
La décision "Befort" rendue par la Haute juridiction administrative s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence "Cambon" -que la rédaction de l'article 256 A du CGI soit antérieure ou postérieure à la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992- quand bien même le contribuable, créateur des droits de propriété industrielle, en aurait retiré une recette unique pourvu que l'opération soit économique au sens de la législation applicable en matière de TVA.
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