Réf. : Cass. civ. 1, 9 juillet 2008, n° 07-20.279, Procureur général près la cour d'appel de Limoges, FS-P+B (N° Lexbase : A6367D9P)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
Application de la loi. En fondant la cassation de l'arrêt qui prononçait l'adoption sur l'article 370-3, alinéa 2, selon lequel "l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France", la Cour de cassation procède à une application stricte de la législation en vigueur. Cette décision s'inscrit, qui plus est, dans le droit fil d'une jurisprudence constante. Ce raisonnement imparable sur le plan juridique a, en effet, déjà permis à la Cour de cassation de casser, par deux arrêts (2), les décisions de cours d'appel qui avaient admis l'adoption simple d'enfant nés au Maroc ou en Algérie et recueillis par un couple de français dans le cadre d'une kafala, en se fondant sur les points communs entre kafala et adoption et sur le fait que l'adoption simple ne rompt pas les liens avec la famille d'origine. L'exclusion de "toute passerelle entre la kafala et l'adoption" (3), constitue une stricte application de l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil qui prohibe l'adoption d'un enfant lorsque la loi nationale de ce dernier l'interdit. Ces arrêts mettaient fin à une certaine tolérance de la part de certains juges du fond (4). Dès lors que l'adoption simple, qui ne rompt pas les liens de l'enfant adopté avec sa famille d'origine, n'est pas admise, l'adoption plénière qui, elle, rompt les liens de filiation, n'avait aucune chance de trouver grâce aux yeux de la Cour de cassation.
Critiques. Cette position rigoureuse et légaliste n'est pourtant pas à l'abri des critiques. On peut s'interroger, avec la plupart des commentateurs de ces arrêts, sur la compatibilité de cette solution avec l'intérêt supérieur de l'enfant, notamment lorsque les autorités étrangères ont manifestement donné leur consentement à l'adoption. Il en résulte, en effet, qu'en l'absence d'adoption en France, le statut du mineur objet d'une kafala, reste incertain et ne correspond pas à la réalité de ce qu'il vit. D'autant que la kafala ne connaît pas d'équivalent en droit français. Certains juges ont admis qu'elle pouvait être qualifiée de délégation d'autorité parentale, lorsqu'elle a été prononcée par un tribunal dans le pays d'origine et que cette décision a reçu l'exequatur en France. Il n'en reste pas moins que, dans des circonstances comme celle de l'arrêt commenté, la délégation d'autorité parentale ne correspond pas à la situation vécue par l'enfant et celle qui se considère comme sa mère.
Enfants interdits d'adoption. Toutefois, c'est, en réalité, moins la solution de la Cour de cassation que la disposition issue de la loi n° 2001-111 du 6 février 2001 (loi relative à l'adoption internationale N° Lexbase : L5155A4P) qui mérite les critiques. Au nom de la lutte contre l'impérialisme, le législateur de 2001 a fermé à une importante catégorie d'enfants la porte de l'adoption. La législation aboutit, en effet, à exclure de l'adoption la plupart des enfants originaires du Maghreb, à l'exception des enfants tunisiens, dès lors qu'ils ne sont pas nés en France. Cette règle explique la présence de plus en plus fréquente en France d'enfants recueillis par des personnes françaises dans le cadre d'une kafala.
Discrimination. On peut se demander si cette différence de traitement entre les enfants selon leur loi nationale, et qui plus est selon leur lieu de naissance, ne pourrait pas être qualifiée de discrimination par la Cour européenne des droits de l'Homme. Alors que les autorités de certains pays, tels que l'Algérie, encouragent les adoptions des nombreux enfants orphelins ou abandonnés, par les adoptants français qui ont des liens avec l'Algérie, la loi française vient empêcher ces enfants de bénéficier d'une famille de substitution "pour le malheur des enfants abandonnés dont la loi nationale prohibe l'adoption, et qui n'auront désormais d'autres familles que l'orphelinat" (5). Cette prohibition est particulièrement grave pour les enfants pour lesquels les demandes d'adoption proviennent essentiellement, voire uniquement de français. Il en va, notamment, ainsi pour les enfants algériens. La règle est d'autant plus sévère lorsqu'elle s'applique à des enfants nés dans un pays qui prohibent l'adoption mais qui résident en France (6). Un enfant né en Algérie et élevé, notamment, dans le cadre d'une kafala par un français n'a aucun espoir de pouvoir être adopté par ces derniers comme vient le rappeler fermement l'arrêt du 9 juillet 2008.
II - Les moyens d'atténuer la rigueur de la solution
Intérêt supérieur de l'enfant. C'est pour éviter cette "situation humaine déstabilisante et au bout du compte pénalisante pour l'enfant", que certains juges du fond ont tenté, à l'image de la cour d'appel de Limoges, de passer outre la prohibition de l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil. La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait ainsi prononcé, dans un arrêt du 24 octobre 2006 (7), une adoption simple d'une mineure née en Algérie, élevée depuis l'âge de trois mois en France dans le cadre d'une kafala par des époux français d'origine algérienne. Les juges aixois se sont fondés sur l'intérêt supérieur de l'enfant et la protection de l'enfant contre les discriminations contenue dans la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) pour écarter l'article 370-3 du Code civil, tout en motivant leur décision par une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant. L'enfant résidait en France depuis son plus jeune âge et était totalement intégré dans sa famille "adoptive". Le raisonnement suivi par la cour d'appel de Limoges était sensiblement le même si ce n'est qu'il n'était pas directement fondé sur la Convention internationale des droits de l'enfant. L'hypothèse qui a donné lieu à ces arrêts dissidents au regard de la solution posée par la Cour de cassation constitue l'exemple même du cas dans lequel l'application de l'article 370-3 paraît très contestable. Elle démontre, ainsi, que le seul critère de la résidence de l'enfant en France depuis une certaine durée devrait permettre de contourner l'obstacle de la loi nationale prohibitive et, au moins, de prononcer une adoption simple. L'enfant n'aura, en effet, pas vraiment à souffrir d'une adoption "boîteuse" admise en France et pas reconnue dans son pays d'origine avec lequel il ne devrait pas avoir de relations particulièrement intensives (8). La Cour européenne des droits de l'Homme, si elle était sollicitée sur ce point, pourrait aller dans le sens de l'admission de l'adoption simple en se fondant, comme elle l'a fait dans l'arrêt "Wagner c/ Luxembourg" (9) sur l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel peut la conduire à imposer au juge interne d'écarter une loi nationale lorsqu'elle s'avère manifestement contraire à la fois à cet intérêt supérieur et à la position adoptée par la majorité des pays du Conseil de l'Europe. Or, la France est le seul Etat européen à maintenir l'interdiction de prononcer l'adoption d'un enfant dont la loi nationale prohibe cette institution (10).
Acquisition de la nationalité française. En attendant que la Cour européenne impose une plus grande clémence à la Cour de cassation, il reste aux enfants à qui l'adoption est refusée, à patienter cinq ans, jusqu'à ce qu'ils acquièrent la nationalité française en vertu de l'article 21-12 du Code civil (N° Lexbase : L8913DNG) (11). En effet, une fois que l'enfant est devenu français, sa loi nationale ne constitue plus un obstacle à son adoption ; il est, cependant, nécessaire d'obtenir le consentement du représentant légal de l'enfant (12), le consentement à la kafala ne pouvant pas suffire. Il revient alors au juge d'apprécier souverainement le caractère éclairé du consentement du représentant de l'enfant, la Cour de cassation se montrant particulièrement vigilante si l'enfant est originaire d'un pays qui prohibe l'adoption (13).
(1) Il faut préciser que, depuis 2006, le pourvoi est suspensif en matière d'adoption : C. proc. civ., art. 1178-1 (N° Lexbase : L1866H4U).
(2) Cass. civ. 1, 10 octobre 2006, 2 arrêts, n° 06-15.265, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7916DRM) et n° 06-15.264, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7915DRL), JCP éd. G, 2006, II, 10072, comm. M. Farge ; D., 2007 p. 816, obs. H. Fulchiron ; RJPF, 2007-1/35, p. 22, obs. M.-C. Le Boursicot ; JCP éd. G, 2007, I, 170, obs. J. Rubellin-Devichi.
(3) M. Farge, obs. préc..
(4) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 22 mai 2001, n° 2000/20693, Monsieur Cheikh B. (N° Lexbase : A3174A4C), D., 2002, somm. p. 1400, obs. B. Audit ; AJFamille, 2001, p. 21 ; CA Paris, 29 avril 2003, D., 2003, p. 459, obs. F. Mbala.
(5) J. Rubellin-Devichi, L'adoption à la fin du XXème siècle, in Le droit privé français à la fin du XXème siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 341.
(6) CA Aix en Provence, 13 septembre 2005, JCP éd. G, 2006, II, 10042, obs. A. Gabriel.
(7) JCP éd. G, 2007, II, 10073, obs. A. Verdot.
(8) P. Salvage-Gerest, Dr. fam., 2007, Etude n° 8.
(9) CEDH, 28 juin 2007, Req. 76240/01, Wagner c/ Luxembourg (N° Lexbase : A5260EA3).
(10) J. Rubellin-Devichi, art. préc..
(11) Cet article consacre le droit de réclamer la nationalité française par déclaration de l'enfant recueilli et élevé en France par une personne de nationalité française depuis au moins cinq ans, ou qui a été élevé dans des conditions lui permettant de recevoir une éducation française.
(12) L'article 370-3, alinéa 3, rappelle, en effet, que "quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant".
(13) En ce sens, M. Farge, préc. ; Cass. civ. 1, 25 janvier 2005, n° 02-11.927, M. Mohamed Bouafia c/ Procureur général, F-P+B (N° Lexbase : A2852DGQ), Defrénois, 2005, p. 1219, obs. M. Revillard ; Cass. civ. 1, 8 mars 2005, n° 02-12.740, Mme Marie-Claude Chanut, épouse Mehu c/ procureur de la République près le tribunal de grande instance de Macon, FS-P+B (N° Lexbase : A2461DHM), JCP éd. G, 2005, I, 199, obs. Y. Favier, Defrénois, 2005, p. 1356, obs. J. Massip, Dr. fam., 2005, comm. n° 98, obs. P. Murat.
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