Réf. : Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-10.676, M. Henri Valax, F-P+B (N° Lexbase : A4838D93)
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N3676BHM
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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique de Toulouse
le 07 Octobre 2010
Ce procédé n'engage pas la société, s'il est utilisé pour des actes contractés avant la signature des statuts (7).
S'il est incontestable que ce mandat doit être octroyé avant l'immatriculation de la société au registre du commerce, peut-il l'être après la réalisation de l'acte ? C'est la question litigieuse à laquelle la Cour de cassation est conviée de répondre dans un arrêt du 1er juillet 2008.
I - Le sens de l'arrêt
Les associés fondateurs d'une SARL en cours de constitution avaient conclu un bail commercial au nom et pour le compte de cette dernière. Les statuts, signés ultérieurement entre les deux associés, avaient conféré mandat à l'un d'eux de conclure ce bail. Après avoir été immatriculée au registre du commerce le 3 avril 2000, la société a été mise en liquidation judiciaire le 7 novembre 2002.
Le 22 avril 2003, le liquidateur a notifié au bailleur la résiliation du bail. Ce dernier a déclaré sa créance au titre des loyers et avances sur charges impayés, de frais de remise en état des locaux et de dommages-intérêts. Il a, ensuite, assigné l'associé qui n'avait pas reçu mandat, en paiement d'une somme représentant le montant de cette créance sur le fondement de l'article L. 210-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE), en l'absence d'accomplissement d'une des formalités de reprise du contrat de bail.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 14 septembre 2006, n° 05/16515, M. Claude Perche c/ M. Henri Valax N° Lexbase : A5954DSC) avait accueilli cette demande, au motif que le bail avait déjà été conclu le 22 décembre 1999 lors du mandat donné dans les statuts signés le 7 mars 2000, si bien que le mandat n'avait aucun sens.
A la suite du pourvoi formé par l'associé initialement poursuivi en paiement, la Cour de cassation a censuré l'arrêt d'appel sur le fondement de l'article R. 210-5 du Code de commerce. En application de ce texte, la Chambre commerciale estime que l'engagement pris par un associé pour le compte d'une SARL en formation peut être ratifié par un mandat conféré par les associés avant l'immatriculation de celle-ci, laquelle en emporte reprise par ladite société. Par conséquent, la juridiction de seconde instance a porté atteinte à cette disposition, dans la mesure où il importe peu que le mandat ait été conféré postérieurement à la ratification par les associés de l'engagement relatif au bail commercial.
II - La portée de l'arrêt
Assurément, la solution ici retenue par la Cour de cassation ne relève pas de l'ordinaire, pas plus que de l'évidence. Nous serions, en effet, légitimement enclins à penser que le mandat de conclure un acte doit être donné avant la réalisation de celui-ci, ce qui semblerait tout à fait logique au regard, d'une part, du respect nécessaire de la chronologie des faits (octroi du mandat, accomplissement de l'acte et immatriculation de la société emportant reprise rétroactive par celle-ci de l'engagement contracté) et d'autre part, de l'exigence d'un mandat spécial précisant la nature des actes à passer, car tout engagement souscrit en dehors des termes précis du mandat ne lierait pas la société (8). Dès lors, le mandat donné après l'accomplissement de l'acte ne serait pas propre à rendre efficace la technique de la reprise par la société liée à son immatriculation ultérieure. Or il n'en est rien, selon l'arrêt rapporté de la Cour de cassation.
L'actuelle position s'avère tout de même surprenante car en matière de reprise d'actes effectués pour le compte d'une société en formation, la Haute juridiction fait généralement preuve d'une grande rigueur. En l'espèce, au contraire, elle s'oriente vers une interprétation pour le moins extensive et donc, souple des textes. Elle consacre la possibilité d'un mandat attribué a posteriori, sorte de "mandat rétroactif" ratifiant les actes passés par l'un des associés et suivi par l'immatriculation qui substituera aux débiteur initiaux (les associés fondateurs mandant et l'associé mandataire, auteur de l'acte), un nouveau débiteur (la société immatriculée).
Faut-il voir là une tendance de la jurisprudence à accorder la priorité à la volonté des associés, plutôt que d'interpréter restrictivement les textes, quoique la teneur de ceux-ci ne permette pas de statuer dans un sens ou dans l'autre ?
La question appelle une réponse positive dans la mesure où la présente décision de justice, bien qu'originale, n'est pas inédite. En effet, la Cour de cassation a auparavant validé un mandat conféré postérieurement à des actes accomplis au profit d'une société en formation (9). Cette première brèche ouverte dans la forteresse jurisprudentielle érigée en la matière aurait pu constituer un accident passager, synonyme d'un relâchement de la vigilance des juges du droit dans l'interprétation et l'application stricte des textes en vigueur.
Cela ne semble pas le cas, si l'on se fie à cette récidive prétorienne qui tend à ôter tout caractère isolé à la précédente décision de justice.
Autant la reprise des engagements souscrits par mandat ne peut concerner que des actes accomplis pendant la période comprise entre la date de signature des statuts ou de l'assemblée constitutive, emportant l'une ou l'autre désignation du gérant, et la date d'immatriculation de la société (10) ; autant suffit-il, désormais, que le mandat soit donné durant cette période, peu importe que cela soit avant ou après la réalisation de l'acte.
Cependant, au-delà de son souhait présumé de faire prévaloir la volonté des parties à l'acte accompli (associés mandant et associé mandataire), la Haute juridiction paraît assortir les textes applicables d'un élément qui n'y figure pas, au point d'accroître l'incertitude déjà existante en pareille circonstance : l'incertitude normale de la reprise attachée à l'immatriculation de la société, éventuelle repreneuse des actes effectués, serait précédée de l'incertitude anormale tenant à l'octroi ou non du mandat d'accomplir ces actes. Cette dernière, rendue évitable par l'octroi d'un mandat en bonne et due forme, n'est pas propice à l'établissement de relations sereines entre les différentes personnes en cause : les associés entre eux et les associés avec les tiers. D'un côté, le mandat a posteriori expose le signataire de l'acte au bon vouloir des autres associés, qui peuvent, en fin de compte, refuser de le donner parce qu'ils considèrent l'acte passé trop coûteux ou inutile. De l'autre, les tiers peuvent ne plus savoir qui, en définitive, est leur débiteur : seul l'associé auteur de l'acte ou l'ensemble des associés (mandants et mandataire), en cas de non-reprise faute d'immatriculation de la société ?
Néanmoins, une fois franchie l'étape de l'octroi du mandat, la solution s'avère favorable, en temps normal, non seulement aux associés ayant passé les actes repris par la société, puisqu'ils en sont libérés, mais encore aux cocontractants qui ont davantage de chances d'en obtenir paiement auprès de celle-ci, personne morale plus solvable que ses membres, personnes physiques. Ce n'est pourtant pas l'hypothèse de l'espèce où la société étant en liquidation judiciaire, les cocontractants vont se trouver en concurrence avec d'autres créanciers, dont certains pourraient même être privilégiés. En outre, ils risquent fort de se heurter à une clôture de la procédure collective pour insuffisance d'actif compromettant sérieusement le paiement de leurs créances.
Sorti de ce contexte particulier, mais pas rare, d'une société repreneuse confrontée à une procédure collective, le présent arrêt de la Cour de cassation suscite l'approbation, en dépit des réserves préalablement exprimées. En effet, sur le terrain pratique, il procure au mandataire l'avantage de la promptitude lui permettant de saisir opportunément l'occasion de conclure un acte profitable à la future société, sans s'embarrasser d'un mandat qui pourrait tarder à venir et, par conséquent, compromettre la conclusion de l'affaire. Sur le terrain juridique, il ne contredit ni les dispositions légales du droit des sociétés, ni celles du droit civil, plus précisément de l'article 1998, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU) qui permet au mandant de conférer un mandat a posteriori, afin de ratifier expressément ou tacitement l'acte passé pour son compte par une personne sans pouvoir. Dès lors, le mandat destiné à couvrir l'engagement souscrit est inévitablement déterminé dans sa nature et ses modalités, écartant ainsi les reproches d'avoir délivré un mandat général.
Surgit, toutefois, une autre réserve : celle qui tient au fait que les co-associés donnent mandat à l'un des leurs, afin d'agir non point pour eux-mêmes, mais pour une société qui n'existe pas (ou au mieux, pas encore) en tant que personne juridique. Cette particularité ne permettrait peut-être pas d'appliquer strictement les règles de droit commun du mandat. Ajoutons à cela que les textes prévoient déjà la possibilité de faire reprendre par la société immatriculée les actes accomplis hors mandat, par une décision prise à la majorité des associés, sauf clause statutaire contraire (11).
Quoiqu'il en soit et eu égard à l'identité des textes en vigueur, la solution adoptée ici par la Chambre commerciale pour l'application de l'article R. 210-5 du Code de commerce à propos des SARL, vaut pour les autres sociétés commerciales et pour les sociétés civiles.
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