Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. A, 1er juillet 2008, n° 07/12166, SA Consortium de Réalisation et autres c/ M. Henri Morel (N° Lexbase : A5932D9L)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
Il convient, ainsi, de souligner les difficultés à justifier la mise en oeuvre du droit de substitution du bénéficiaire (I), dans un contexte où se posait, au surplus, le problème d'une éventuelle indétermination de prix. La décision infirmative de la cour d'appel de Paris, essentiellement fondée sur l'absence de preuve de la connaissance, par le cessionnaire, de la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du pacte, met fin aux réflexions permettant de donner une explication cohérente du mécanisme de substitution. Elle renvoie ainsi aux critiques faites à la Cour de cassation quant à son approche du régime applicable au pacte de préférence (II).
I - Les difficultés à justifier le mécanisme de substitution
L'analyse du mécanisme de substitution (A) n'a pas été réalisée par le juge du droit dans l'arrêt de principe du 26 mai 2006, d'où l'intérêt que présentait l'affaire commentée, une lecture attentive du jugement de première instance permettant de proposer des éclaircissements sur sa mise en oeuvre(B).
A - La reconnaissance du mécanisme de substitution par le juge
L'arrêt de principe, rendu en Chambre mixte le 26 mai 2006, établit la possibilité de substituer le bénéficiaire en ces termes : "le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, [...] à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir". Reprenant sa motivation antérieure concernant les conditions d'annulation, le juge du droit y ajoute, de la sorte, le mécanisme de la substitution consacrant, ainsi, les préconisations d'une partie de la doctrine qui prônait l'exécution forcée des pactes de préférence (1). La présentation de ce pacte par les auteurs, renvoie à la conclusion d'un "contrat par lequel une personne s'engage envers une autre, qui accepte, à ne pas conclure avec des tiers un contrat déterminé avant de lui en avoir proposé la conclusion aux mêmes conditions" (2). Le mécanisme de ce "contrat" ne donne au bénéficiaire, toutefois, qu'un "droit de priorité, d'une sorte de droit de préemption d'origine conventionnelle" (3).
Particulièrement utile en matière de cession de droits sociaux (4), cette construction juridique était, jusqu'alors, d'une efficacité limitée. En effet, le bénéficiaire ne disposant que d'un "droit de préemption", la Cour de cassation refusait, en principe, l'annulation des conventions conclues en fraude de ses droits (5), l'inexécution de l'obligation de faire née du pacte se résolvant en dommages et intérêts. Par exception, le juge prononçait l'annulation de l'acte de cession contesté s'il était établi que le tiers cessionnaire connaissait, d'une part, l'existence de la préférence et, d'autre part, l'intention de son bénéficiaire de lui donner effet. Avant l'arrêt du 26 mai 2006, cependant, l'annulation ne s'accompagnait pas de la substitution du bénéficiaire, ce qui suscitait certaines critiques (6) que, semble-t-il, la Cour de cassation a pris en considération en offrant un droit de substitution en cas d'annulation de la convention litigieuse.
La solution, toutefois, peut susciter des interrogations puisque la substitution de contractant s'opère alors même que la convention passée en méconnaissance des droits du bénéficiaire est annulée. On peut difficilement soutenir, en effet, que le bénéficiaire devient partie à une convention que le juge vient de réduire à néant. Il faudrait, donc, considérer, pour redonner une justification logique à la substitution, que le juge fait jouer le mécanisme entre deux conventions (le pacte et la cession). La substitution annoncée consisterait, en réalité, à annuler la cession, dans un premier temps, puis, à donner effet au pacte, dans un second temps. L'emploi des termes : "substitution à l'acquéreur" pourrait, ainsi, être interprété comme marquant le remplacement d'un contrat par un autre, et non celui d'une partie par une autre (7). On peut, ainsi, en conclure que la substitution, résulte de l'annulation et que le juge ne fait que constater l'existence de la convention initiale en décidant que le bénéficiaire peut faire jouer le pacte à son profit.
Le jugement, en date du 25 juin 2007, rendu par le tribunal de commerce de Paris semblait pouvoir justifier cette explication du mécanisme de substitution en tant qu'il aboutissait à prononcer l'annulation même si le juge devait conclure, in fine, que la substitution était impossible, au motif que le bénéficiaire ne pouvait déterminer le prix de cession.
B - L'application de cette jurisprudence en première instance
En l'espèce, un actionnaire d'une société (la SFPI) avait conclu un protocole prévoyant la cession globale de quatre participations dans différentes sociétés -dont une dans la SFPI-, pour un prix fixe de 30 millions d'euros. Le vendeur avait conclu auparavant un pacte de préférence avec l'actionnaire principal de ladite société, M. M., et, ce dernier, empêché de lever, l'option demandait, outre l'annulation de la cession, sa substitution au tiers pour les actions concernées par le pacte.
La difficulté à réaliser cette substitution tenait au fait que la cession avait été réalisée pour un prix global, sans ventilation entre les différents blocs de titres. Le juge se trouvait, par ailleurs, confronté au refus de la cédante, qui s'opposait -légitimement selon le tribunal- à la communication de la convention litigieuse. Afin d'analyser celle-ci sans atteindre au secret des affaires, le juge désignera un huissier-audiencier, chargé d'analyser l'acte, et d'en rapporter les clauses destinées à éclairer l'affaire. Son rapport permettra d'établir :
- d'abord, qu'il existait une contradiction entre les termes de l'article 2 et de l'article 5 de la convention, le premier établissant le principe de l'absence de révision, au cas où le prix s'avérait différent après préemption ou agrément, le second, celui du versement d'une indemnité en cas de préemption ;
- ensuite, qu'en vertu de l'article 2.3, le prix ne pouvait être déterminé puisque la convention stipulait que le prix de la participation dans la SFPI pouvait varier de 15 %, sans déterminer, pour autant, les conditions de cette variation.
Ainsi, c'est au motif de cette indétermination que le juge du tribunal de commerce décidera, qu'en dépit de l'annulation (prononçable en raison de la connaissance, par le cessionnaire, du pacte de préférence et de l'intention de son bénéficiaire de s'en prévaloir), il ne pouvait y avoir substitution, faute de pouvoir établir le prix à la levée de l'option.
C'est ce motif qui, lorsque nous commentions ce jugement (cf. nos obs. préc.), nous semblait pouvoir justifier l'analyse dualiste du mécanisme de substitution proposé plus avant : le juge aurait substitué le pacte à la cession et non une partie à une autre. En effet, l'indétermination de prix invoquée en première instance présentait une caractéristique particulière, celle de ne pas concerner tous les protagonistes de l'affaire. En l'espèce, le cédant et le cessionnaire de la convention portant sur tous les blocs de titres avaient déterminé le prix de façon précise. Dès lors, l'indétermination du prix ne pouvait être retenue, s'agissant de cet acte, ni aux motifs de l'imprécision de sa ventilation, ni en raison des stipulations peu claires du protocole puisque ce dernier fixait invariablement le prix global à 30 millions d'euros.
Si, en revanche, le prix était indéterminé, c'était pour un autre contrat, le pacte de préférence, M. M. étant confronté, selon le juge "à une valorisation arbitraire correspondant à une ventilation à l'intérieur d'un prix global". Sans l'arrêt de la cour d'appel de Paris, l'articulation double du mécanisme de substitution se serait trouvée confirmée en conséquence.
II - Les conséquences de l'infirmation du jugement par la cour d'appel
L'infirmation, par la cour, de la décision du premier juge (A), sans remettre véritablement en cause l'explication avancée, laisse planer une incertitude quant à la suite à lui donner. La sévérité de la solution pour le bénéficiaire invite, par ailleurs, à s'interroger sur le caractère inachevé de l'évolution de la jurisprudence relative au pacte de préférence (B).
A - L'infirmation du jugement fondé sur l'impossibilité d'annuler la cession
Le juge d'appel, à qui les parties à l'acte de cession demandaient de réformer le jugement du 25 juin 2007, censurera ce dernier, non sur le plan de la substitution mais sur celui de l'annulation, estimant que les conditions de celle-ci n'étaient pas réunies.
S'agissant, d'abord, de la validité de la levée de l'option, le juge relèvera que le pacte de préférence dont M. M. était bénéficiaire ménageait un délai de trente jours à compter de la notification du projet de cession. Ayant tenu pour insuffisante la première notification du cédant, en date du 14 novembre 2003, ce dernier avait demandé au juge des référés qu'elle soit complétée par les constatations d'un technicien commis par le juge. Le tribunal ayant fait droit à cette demande, le procès-verbal de constat lui sera remis le 19 mars 2004.
M. M., estimant cependant que le constat était toujours insuffisant, demandait, lors d'une audience de référé du 25 mars 2004, de saisir le juge ayant nommé le constatant d'une nouvelle demande d'information. Cette demande sera rejetée par une ordonnance du 31 mars 2004, ce que confirmera un arrêt du 3 décembre 2004. Entre-temps, le 30 avril 2004, le bénéficiaire du pacte notifiait sa volonté de lever l'option, soit plus de trente jours après la remise du procès-verbal de constat valant -selon le juge d'appel- notification du projet de cession. Par ailleurs, M. M. indiquait dans cet acte ne pas vouloir lever l'option au prix d'achat proposé par le cessionnaire, comme le prévoyait le pacte, mais à des conditions qui, selon le juge, ne permettaient pas au cédant d'avoir connaissance d'un prix déterminé ou déterminable (8). Ces éléments permettent ainsi de fonder un premier motif au refus d'annulation de la cession.
Le juge établit, ensuite, un autre motif de refuser l'annulation, tiré de l'absence de connaissance par le cessionnaire de la volonté du bénéficiaire de lever l'option. Ainsi, rappelant la condition que "le tiers [doit avoir] eu connaissance, lorsqu'il a contracté, [...] de la volonté du bénéficiaire de s'en prévaloir", il relève que M. M. ne produisait aucun élément de preuve permettant d'établir que la société cessionnaire savait, lorsqu'elle a contracté avec la cédante, qu'il entendait se prévaloir du pacte. Il souligne, en exergue, que ces "seules constatations commandent de rejeter la demande de M. [M.] tendant à l'annulation de la cession".
Indépendamment d'autres griefs, essentiellement tirés de l'existence prétendue d'un concert frauduleux entre le cédant et le cessionnaire, que le juge d'appel écartera, la décision d'infirmation repose sur ces deux arguments essentiels. Ainsi, la manifestation de volonté du bénéficiaire manque à la fois de forme, le délai conventionnel de notification de trente jours n'ayant pas été respecté, et de fond, puisque M. M. n'était pas en mesure d'établir qu'il avait l'intention, au moment de l'acte de cession, de lever l'option née du pacte.
B - Une évolution insuffisante de la jurisprudence ?
Si cette décision paralyse les raisonnements qui auraient permis d'expliquer le mécanisme de substitution, elle permet, surtout, de mettre en évidence le potentiel d'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation.
On sait, en effet, que les critiques de la doctrine n'ont pas exclusivement porté sur l'absence de mécanisme de substitution mais, également, sur les deux conditions requises pour que l'acte soit annulé. De nombreux auteurs soulignent, ainsi, que la preuve de la connaissance par l'acquéreur, au moment de la vente, de l'intention du bénéficiaire de se prévaloir de ses droits est proprement impossible à administrer. En effet, en pratique, la vente s'opère, comme dans l'espèce examinée, à l'insu du bénéficiaire à qui elle est notifiée à contretemps puisqu'il est déjà trop tard, pour lui, de prétendre à l'annulation.
L'exigence, posée par la jurisprudence, que le cessionnaire connaisse la volonté du bénéficiaire au moment de l'acte, est, par ailleurs, contestée par d'autres auteurs qui invoquent la mise en oeuvre de principes du droit des obligations conventionnelles (9). Ainsi, de souligner que, le pacte étant opposable aux tiers, le cessionnaire qui connaît l'existence de ce pacte commet une faute (de négligence ou de malice) à ne pas se renseigner sur les intentions du bénéficiaire. La charge de la preuve, telle qu'elle se trouve appliquée dans l'espèce commentée, se trouverait donc inversée, le juge devant (sauf ignorance par le cessionnaire de l'existence du pacte) faire peser cette dernière sur l'acheteur. A lui, en conséquence, d'établir qu'il s'est enquis des intentions du bénéficiaire. Enfin, chacun se plaît à souligner qu'il paraît impossible d'imposer au bénéficiaire évincé de faire la preuve de sa manifestation de volonté auprès du cessionnaire lorsqu'il existe une collusion entre le vendeur et l'acquéreur, soit que les deux parties dissimulent la conclusion du contrat, soit qu'ils trompent le bénéficiaire sur les conditions de la vente (10).
L'arrêt de la cour d'appel de Paris, en fondant sa décision sur des éléments qui excluent toute analyse explicative du mécanisme de substitution, renvoie donc, en définitive, le reflet d'interrogations profondes de la doctrine sur l'effectivité du pacte de préférence. Ces interrogations, sans doute, conduiront rapidement la Cour de cassation à réexaminer les conditions de l'annulation de l'acte de cession conclu en violation de ce type de pacte.
(1) D. Velardocchio, L'exécution forcée d'un pacte de préférence est désormais admise par la Cour de cassation, Revue Lamy Droit des affaires, n° 8, septembre 2006, 406, p. 10 et s..
(2) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 195, en appui sur P. Voirin, Le pacte de préférence, JCP, 1954, I, 1192.
(3) Ibid..
(4) V., par exemple, à propos d'une société anonyme, P. Le Cannu, sous Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-11.692, Société Ope Intermarché c/ M. Serge Malinge, F-D (N° Lexbase : A6869DAN), Bull. Joly, 2004, p. 544.
(5) Cass. com., 7 mars 1989, n° 87-17.212, Société anonyme Saigmag c/ M. Peltié et autres (N° Lexbase : A4042AGS), Bull. IV, n° 79, concl. M. Jéol, D., 1989, 231, n. P. Reinhart, RTDCiv., 1990, 71, obs. J. Mestre ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2002, n° 00-13.669, M. Norbert Fratti c/ Société en nom collectif Havre et compagnie, F-P (N° Lexbase : A0854AZN), Bull. civ. I, n° 192, RTDciv., 2003, p. 107, obs. P.-Y. Gautier ; Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre (N° Lexbase : A0614ACQ), Bull. civ. III, n° 96, D., 1997, 475, note D. Mazeaud, RTDCiv., 1997, 685, obs. P.-Y. Gautier.
(6) J. Mestre, RTDCiv., 1986, p. 88 et RTDCiv., 1997, p. 83.
(7) Puisqu'il est démontré -à la suite de l'annulation- que le cédant souhaite vendre et que le bénéficiaire souhaite acheter, le juge constate la rencontre de ces deux volontés. Méconnaît-il, ce faisant, la volonté du cédant qui, manifestement, souhaitait contracter avec un autre ? Non, car le cédant avait exprimé successivement deux volontés contradictoires : d'abord, choisir le bénéficiaire comme cocontractant dans le pacte de préférence, puis, ultérieurement, conclure avec une autre personne dans la convention litigieuse. Comme le juge annule cette dernière, seule demeure la volonté initiale exprimée dans le pacte, qui rencontre, cette fois, la manifestation de la volonté du bénéficiaire.
(8) M. M. offrait de payer le prix ressortant du protocole de cession du 6 août 2003 "minoré de tout ou partie de la réduction de prix [...] versée par votre société à la société IDI en application dudit protocole".
(9) P.-Y. Gautier, RTDCiv., 1999, p. 643.
(10) C'est, d'ailleurs, un des griefs que soulevait M. M. en l'espèce, puisqu'il invoquait le concert frauduleux, l'acheteur ayant, selon lui, payé le prix des participations litigieuses avant la signature de l'acte.
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