La lettre juridique n°316 du 4 septembre 2008 : Droit social européen

[Jurisprudence] La liberté de circulation des jeunes footballeurs

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-42.023, Société Olympique lyonnais, FS-P+B (N° Lexbase : A6411D9C)

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N7322BGB

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En ce qu'elle impose au jeune joueur de signer son premier contrat de joueur professionnel avec son club formateur, l'article 23 de la Charte du football professionnel, si elle n'interdit pas de contracter avec un club étranger, peut être considérée comme ayant pour effet d'empêcher ou de dissuader un jeune joueur de se rendre dans un club d'un autre Etat membre, dans la mesure où la violation de cette obligation est susceptible d'entraîner le versement d'une indemnité ou de dommages-intérêts. Toutefois, s'agissant d'un premier engagement à titre professionnel d'un jeune joueur qui vient de terminer sa période de formation, la clause pourrait se trouver justifiée par l'objectif légitime de son club formateur de conserver le joueur qu'il vient de former. En résumé, à supposer que l'article 23 de la Charte du football professionnel constitue une entrave à la liberté de circulation des personnes, il convient de savoir si cette restriction n'est pas justifiée par un objectif légitime. C'est à cette très délicate question qu'aura à répondre la Cour de justice des communautés européennes, saisie à titre préjudiciel par la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt rendu le 9 juillet 2008.
Résumé

La clause de la charte du football professionnel imposant au jeune joueur de signer son premier contrat de joueur professionnel avec son club formateur sous peine d'avoir à lui verser des dommages-intérêts constitue-t-elle une entrave justifiée à la liberté de circulation des travailleurs ?

Commentaire

I - Les données du problème

  • Les faits

En vertu de l'article 23 de la Charte du football professionnel, alors applicable, à l'expiration normale du contrat de joueur "espoir", le club est en droit d'exiger de l'autre partie la signature d'un contrat de joueur professionnel. Si le club n'use pas de cette faculté, le joueur peut signer un contrat professionnel dans le club de son choix sans qu'il ne soit dû aucune indemnité au club quitté ou être reclassé dans les rangs amateurs. Si le joueur refuse de signer un contrat professionnel, le même texte stipule qu'il ne pourra pas, pendant un délai de trois ans, signer dans un autre club de la Ligue nationale du football sous quelque statut que ce soit, sans l'accord écrit du club où il a été espoir. Il doit, alors, être reclassé dans les rangs amateurs.

En l'espèce, M. B. avait refusé, à l'issue du contrat de joueur espoir qui le liait au club de l'Olympique lyonnais, de signer avec ce dernier un contrat de joueur professionnel et avait contracté avec le club anglais de Newcastle. La société Olympique lyonnais avait, alors, saisi le conseil de prud'hommes afin de voir condamner le joueur à lui payer une somme d'un montant de 53 357,16 euros, égal à la rémunération qu'il aurait perçue pendant une année s'il avait signé le contrat proposé, à titre de dommages-intérêts et pour voir déclarer le jugement commun à la société de droit anglais Newcastle. Cette dernière avait invoqué le principe de libre circulation des travailleurs de l'article 39 du Traité CE (N° Lexbase : L5348BC3) et avait demandé à la juridiction de poser une question préjudicielle à la CJCE sur la compatibilité de l'article 23 avec ce principe.

  • Procédure

Estimant que M. B. avait rompu unilatéralement ses engagements contractuels, le conseil de prud'hommes l'avait condamné à payer des dommages-intérêts à la société Olympique lyonnais.

Cette décision a été infirmée par la cour d'appel de Lyon. Cette dernière a décidé que l'article 23 de la Charte du football professionnel était illicite en ce qu'il impose au joueur, à l'expiration de son contrat de joueur "espoir", l'obligation de conclure un contrat de joueur professionnel avec le club qui a pris en charge sa formation et lui interdit de travailler avec tout autre club, que celui-ci appartienne, ou non, à la Ligue national de football. Selon les magistrats lyonnais, cette interdiction absolue est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté européenne édicté par l'article 39 du Traité instituant la Communauté européenne, mais avant tout contraire au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI, art. L. 1121-1, recod. N° Lexbase : L9684HWL). N'étant pas tempérée, notamment, par une clause de dédit-formation, une telle restriction apportée aux libertés individuelles de contracter et de travailler est disproportionnée par rapport à la protection, aussi légitime soit-elle, des intérêts du club formateur, qui, même s'il a dispensé au joueur, sur le point de devenir professionnel, une formation coûteuse, n'est pas fondé à exiger qu'il travaille obligatoirement pour lui.

A l'appui de son pourvoi, l'Olympique lyonnais faisait valoir différents arguments. Tout d'abord, il était avancé que l'article 23 de la Charte du football professionnel ne fait nullement interdiction au joueur espoir de signer un contrat de travail avec un club étranger à l'issue de sa formation, ce dernier étant seulement tenu d'indemniser son club formateur s'il avait manifesté sa volonté de l'engager. Ensuite, à supposer même que l'obligation de conclure avec le club formateur s'analyse en une interdiction absolue de travailler pour un autre club que le club ayant dispensé la formation du joueur espoir, elle ne saurait être jugée contraire à l'article 39 du Traité des Communautés européennes, qui n'interdit que les discriminations fondées sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres. Enfin, à supposer, encore, que l'obligation de conclure avec le club formateur s'analyse en une interdiction absolue de travailler pour un autre club que le club ayant dispensé la formation du joueur espoir, une telle obligation, expressément prévue par le législateur (C. sport, art. L. 211-5 N° Lexbase : L6356HNQ) pour tenir compte de l'importance de la formation professionnelle dispensée dans le domaine du sport, ne saurait être jugée comme portant une atteinte excessive à la liberté du travail.

On sait que le juge national doit écarter toute réglementation nationale, serait-elle une norme sportive, contraire au droit communautaire. En cas de doute, il lui appartient de renvoyer la question devant la CJCE, en application de l'article 234 du Traité CE . Ceci explique pourquoi la Cour de cassation a décidé, dans l'arrêt rapporté, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la CJCE se soit prononcée sur la compatibilité de l'article 23 de la Charte du football professionnel avec l'article 39 du Traité CE.

II - Les éléments de réponse

  • Principes applicables

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, il résulte de l'article 39 du Traité CE, que la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté. Celle-ci implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, de répondre à des emplois effectivement offerts, de se déplacer, à cet effet, librement sur le territoire des Etats membres, de séjourner dans un des Etats membres afin d'y exercer un emploi, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux.

Dès 1974, la CJCE a précisé que le sport relève du champ d'application du droit communautaire et, notamment, du principe de libre circulation des personnes, s'il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du Traité de Rome (1). Elle a, par suite, considéré que les sportifs professionnels ou semi-professionnels exécutent une activité économique dès lors qu'ils exercent leur sport en qualité de salariés ou de prestataires de services rémunérés (2). Partant, et à l'évidence, le principe de la libre circulation des personnes trouve à s'appliquer en l'espèce. De même, il n'est guère besoin de s'étendre sur le fait que, si ce principe prohibe les discriminations fondées sur la nationalité des sportifs, il interdit, également, les entraves non discriminatoires à la liberté de mouvement des sportifs, "c'est-à-dire les obstacles indistinctement applicables aux athlètes, quelle que soit leur nationalité" (3). La question est, dès lors, de savoir si l'article 23 de la Charte du football professionnel constitue un tel obstacle.

Ainsi qu'il a déjà été vu, l'alinéa 1er de l'article 23 de cette Charte, dont la Cour de cassation rappelle qu'elle a le caractère d'une convention collective nationale, oblige le joueur "espoir", lorsque le club qui l'a formé l'impose, à signer son premier contrat de joueur professionnel avec lui (4). Selon la Chambre sociale, en ce qu'elle impose au jeune joueur de signer son premier contrat de joueur professionnel avec son club formateur, la clause de la Charte du football professionnel, si elle n'interdit pas de contracter avec un club étranger, peut être considérée comme ayant pour effet d'empêcher ou de dissuader un jeune joueur de se rendre dans un club d'un autre Etat membre, dans la mesure où la violation de cette obligation est susceptible d'entraîner le versement d'une indemnité ou de dommages-intérêts. Toutefois, s'agissant d'un premier engagement à titre professionnel d'un jeune joueur qui vient de terminer sa période de formation, la clause pourrait se trouver justifiée par l'objectif légitime de son club formateur de conserver le joueur qu'il vient de former.

  • La question préjudicielle

Ainsi que le relève la Cour de cassation, la solution du litige qui lui est soumis pose une difficulté sérieuse d'interprétation de l'article 39 du Traité CE, notamment, au regard de l'impératif de formation des jeunes joueurs de football professionnel. Partant, celle-ci renvoie à la CJCE aux fins de dire, en vue de l'application de l'article précité :

- si le principe de libre circulation des travailleurs posé par ledit article s'oppose à une disposition de droit national en application de laquelle un joueur "espoir", qui signe à l'issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d'un autre Etat membre de l'Union européenne, s'expose à une condamnation à des dommages-intérêts ;

- dans l'affirmative, si la nécessité d'encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs professionnels constitue un objectif légitime ou une raison impérieuse d'intérêt général de nature à justifier une telle restriction.

On peut raisonnablement penser que la CJCE répondra de manière affirmative à la première question. Il faut, en effet, rappeler que, dans le fameux arrêt "Bosman" rendu le 15 décembre 1995, la CJCE a dit pour droit que "l'article 48 du Traité CEE [devenu l'article 39]s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives selon lesquelles un joueur professionnel de football professionnel ressortissant d'un Etat membre, à l'expiration du contrat qui le lie au club, ne peut être employé par un club d'un autre Etat membre que si ce dernier a versé au club d'origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion" (5). A notre sens, l'article 23 de la Charte du football professionnel constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs dans la mesure où, pour reprendre les termes de la Cour de cassation, cette stipulation "peut être considérée comme ayant pour effet d'empêcher ou dissuader un jeune joueur de se rendre dans un club d'un autre Etat membre dans la mesure où la violation de cette obligation est susceptible d'entraîner le versement d'une indemnité ou de dommages-intérêts".

On l'aura compris, toute la difficulté réside dans la réponse à apporter à la seconde question préjudicielle. Déjà, dans l'arrêt "Bosman", la CJCE était apparue prête à admettre des justifications à des restrictions à la liberté de circulation des sportifs professionnels dès lors qu'elles poursuivent un objectif légitime compatible avec le Traité, sont nécessaires pour atteindre cet objectif, reposent sur des raisons impératives d'intérêt général et que l'objectif poursuivi ne puisse être atteint par des moyens moins nocifs pour la libre circulation des travailleurs (6).

La nécessité d'encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs professionnels paraît de nature à constituer un objectif légitime (7). Si la décision de la CJCE allait en ce sens, elle serait évidemment de nature à satisfaire les clubs formateurs (8), qui peinent à retenir leurs jeunes joueurs, sensibles aux sirènes des grands clubs européens, dans lesquels ils ont, pourtant, souvent du mal à faire leur place. Cela étant, si le jeune joueur sera enclin à conclure son premier contrat professionnel avec son club formateur, il ne lui sera pas, pour autant, purement et simplement interdit d'aller voir ailleurs, à condition d'accepter de verser des dommages-intérêts à ce club. Tout dépendra, alors, du montant de ces dommages-intérêts (9), dont on peut avancer qu'ils seront, en réalité, assumés par le club employeur.


(1) CJCE, 12 décembre 1974, aff. C-36/74, BNO Walrave, LJN Koch c/ Association Union cycliste internationale, Koninklijke Nederlandsche Wielren Unie et Federación Española Ciclismo (N° Lexbase : A6959AUB).
(2) F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia et F. Rizzo, Droit du sport, LGDJ, 2006, p. 311 et la jurisprudence citée. Ainsi que l'indiquent ces auteurs (§ 522), "autrement dit, le sportif qui souhaite se prévaloir du principe de la libre circulation des personnes doit effectuer ses activités en contrepartie d'une rémunération, que ce soit sur le fondement d'une relation de travail établie entre employeur et employé ou à titre indépendant, moyennant des prestations de services rémunérées".
(3) F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia et F. Rizzo, ouvrage préc., p. 312. Contrairement, donc, à ce que prétend la deuxième branche du moyen, le principe de la libre circulation ne s'entend pas uniquement de la prohibition des discriminations fondées sur la nationalité des sportifs.
(4) La Chambre sociale prend soin de relever que l'action en dommages-intérêts dirigée contre M. B. et le club anglais de Newcastle est fondée sur l'inobservation par ce joueur de cette obligation et non pas sur la violation de l'obligation de non-concurrence de l'alinéa 3 dudit article, qui dispose que, s'il refuse de signer un contrat avec le club formateur, il est interdit au joueur "espoir", pendant trois années, de signer un contrat avec un autre club de la Ligue nationale de football.
(5) CJCE, 15 décembre 1995, aff. C-415/93, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c/ Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA c/ Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) c/ Jean-Marc Bosman (N° Lexbase : A7546AHX).
(6) V., en ce sens, F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia et F. Rizzo, ouvrage préc., p. 325.
(7) Si la CJCE répondait par la négative à la seconde question, elle condamnerait, outre l'article 23 de la Charte du football professionnel, l'article L. 221-5 du Code du sport, qui précise que la convention conclu entre le bénéficiaire de la formation ou son représentant légal et l'association ou la société sportive prévoit qu'à l'issue de la formation, s'il entend exercer à titre professionnel la discipline sportive à laquelle il a été formé, le bénéficiaire de la formation peut être dans l'obligation de conclure, avec l'association ou la société un contrat de travail dont la durée ne peut excéder trois ans.
(8) Clubs formateurs souvent peu riches. Assertion qui n'a, cependant, pas valeur de règle, ainsi que le démontre l'arrêt commenté dans lequel était en cause l'Olympique lyonnais.
(9) A notre sens, ces dommages-intérêts devraient être fonction du coût de la formation dispensée au jeune joueur et non, comme l'avait, en l'espèce, demandé le club de l'Olympique lyonnais, calculés au regard de la rémunération qu'il aurait perçue pendant le contrat qui n'a pas été conclu.

Décision

Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-42.023, Société Olympique lyonnais, FS-P+B (N° Lexbase : A6411D9C)

Renvoi devant la Cour de justice des Communautés européennes et sursis à statuer

Texte visé : TUE, art. 234

Mots-clefs : liberté de circulation ; obligation de conclure un contrat de joueur professionnel ; Charte du football professionnel

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