La lettre juridique n°306 du 29 mai 2008 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Des difficultés naissant du cumul entre stage et période d'essai

Réf. : Cass. soc., 15 mai 2008, n° 07-42.289, M. Alexis di Stefano, F-D (N° Lexbase : A5436D8T)

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N9810BE3

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Le cumul entre stage et période d'essai a toujours emporté de délicats problèmes d'interprétation. De par leurs différences d'objets, il était, souvent, défendu que ces deux phases initiant la relation de travail ne devaient pas pouvoir se cumuler, même si la Cour de cassation ne l'entendait pas toujours de cette oreille. L'arrêt rendu par la Chambre sociale le 15 mai 2008 apporte des précisions sur l'éventualité de ce cumul. Alors que les juges du fond s'étaient manifestement placés sur le terrain de la compatibilité de la période de stage et de la période d'essai, la Cour de cassation déplace le débat sur le caractère abusif de la rupture d'essai intervenue durant le stage (I). Si la solution est satisfaisante d'un point de vue juridique, il n'empêche qu'elle implique un encadrement encore un peu plus restrictif de la rupture de la période d'essai (II).
Résumé

Si l'employeur peut discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant l'expiration de la période d'essai, ce n'est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus. Pour apprécier l'absence d'abus, le juge doit s'assurer que l'employeur avait été en mesure d'apprécier les qualités professionnelles du salarié compte tenu de la durée pendant laquelle ce dernier avait exercé ses fonctions par rapport à celle des stages effectués en début de relation.

Commentaire

I - De l'impossibilité de cumul entre période d'essai et stage...

  • Les objets antagonistes du stage et de l'essai

La période d'essai, qui initie de très nombreux contrats de travail (1), a, parfois, du mal à se concilier avec des périodes de stage ou de formation auxquelles se soumet le salarié qui vient d'être engagé dans l'entreprise (2).

En effet, il est tentant de considérer que l'existence d'un stage en début de relation disqualifie la période d'essai, puisque ces deux mécanismes n'ont pas véritablement le même objet. D'un côté, le stage, ou la formation, a pour objectif de permettre au salarié d'améliorer ses qualifications professionnelles afin de pouvoir au plus vite s'adapter au poste de travail pour lequel il vient d'être recruté. Au contraire, la période d'essai ne comporte aucun objectif pédagogique. Elle constitue seulement une phase de test, d'expérimentation.

Cette différence peut, toutefois, être relativisée du fait que l'essai, comme la formation, comportent tous deux une phase d'évaluation du salarié. Si la formation doit normalement être sanctionnée par une évaluation des connaissances acquises par le salarié, l'essai fait, également, l'objet d'une évaluation des qualités professionnelles démontrées par le travailleur.

  • L'incompatibilité temporelle entre stage et essai

L'incompatibilité d'objet entre stage et essai se double d'une incompatibilité temporelle. La Cour de cassation décide, de manière invariable, que la période d'essai se situe au commencement de l'exécution de la prestation de travail (3). Le stage ou la formation n'étant habituellement pas considérés comme constituant des relations de travail (4), l'essai ne devrait pouvoir commencer à s'imputer qu'à leur issue.

La jurisprudence de la Chambre sociale demeure, néanmoins, versatile sur ce sujet. Le juge a tendance à considérer que le stage préalable à tout contrat de travail conserve une nature différente de l'essai (5), tandis qu'un stage opéré au début d'une relation de travail a, parfois, pu être considéré comme fondu dans la période d'essai (6). Nous avions déjà eu l'occasion de souligner l'incohérence d'une telle solution et, notamment, l'inconciliabilité de la faculté de rupture unilatérale de l'essai avec le caractère déterminé de toute convention de stage, ce caractère déterminé ayant, notamment, pour effet de priver les parties de toute faculté de résiliation unilatérale (7).

  • En l'espèce

L'espèce commentée confirme, pourtant, la possibilité d'opérer un cumul entre stage et essai.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en qualité de pompier dans un aérodrome, le contrat de travail étant assorti d'une période d'essai de deux mois. Durant les premiers jours de la relation, le salarié avait été soumis à une formation dans l'entreprise, puis à un stage externe. L'employeur mettait fin à la période d'essai du salarié la veille du dernier jour de stage (8). La cour d'appel validait cette rupture en estimant qu'elle était intervenue alors que le salarié était placé sous la subordination juridique de l'employeur et que la relation de travail avait commencé à s'exécuter.

La Chambre sociale casse cette décision au visa de l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP, art. L. 1231-1, recod. N° Lexbase : L9866HWC). Elle rappelle, d'abord, que l'employeur peut toujours rompre discrétionnairement la période d'essai avant son expiration, à condition de ne pas faire dégénérer ce droit en abus. Elle estime, ensuite, que la cour d'appel a violé l'article L. 122-4 du Code du travail en ne recherchant pas si "l'employeur avait été en mesure d'apprécier les qualités professionnelles du salarié compte tenu de la durée pendant laquelle ce dernier avait exercé ses fonctions par rapport à celle des stages".

Autrement dit, contrairement au raisonnement opéré par la cour d'appel, la Cour de cassation ne semble pas se placer sur le terrain du commencement d'exécution de la prestation de travail pour déterminer si les relations entre les parties entraient, ou non, dans le cadre d'une période d'essai. La Chambre sociale estime que les parties étaient bien dans la période d'essai, nonobstant les périodes de stage et de formation. Néanmoins, la rupture de la période d'essai ne doit pas être exercée abusivement, ce qui est le cas si l'employeur la prononce alors qu'il n'a pas été en mesure d'apprécier les qualités professionnelles du salarié.

II - ...au caractère abusif de la rupture d'essai durant le stage

Cette solution nous paraît devoir être approuvée en ce qu'elle permet d'affiner la définition de l'essai, mais, aussi, parce qu'elle tire les conclusions des évolutions récentes en matière de cumul d'essai et de stage.

  • Une définition restrictive de l'objet de l'essai

S'agissant de la définition de l'essai, rappelons que plane, depuis toujours, un doute sur le champ exact de son objet. La période d'essai est-elle destinée à apprécier la qualité de la relation de travail dans son ensemble ou, plus restrictivement, doit-elle se limiter à l'appréciation des qualités professionnelles du salarié ? La Cour de cassation paraît vouloir adopter un champ restreint de l'objet de l'essai, même si le faible degré de publicité de l'arrêt et le fait qu'il ait été rendu sans que la Présidente de la Chambre sociale ne siège imposent qu'une appréciation prudente soit portée sur la solution.

Une telle approche restrictive devrait donc empêcher que la rupture de la période d'essai soit prononcée pour des raisons autres que la déficience des qualités professionnelles. Une telle évolution avait déjà pu se pressentir lorsque la Cour de cassation avait considéré, il y a quelques mois, qu'une rupture d'essai fondée sur des motifs non inhérents à la personne du salarié était abusive (9). De facto, la faculté de libre rupture d'essai durant le stage se trouve menacée puisque l'employeur n'est pas en mesure d'apprécier les qualités professionnelles du salarié en stage hors de l'entreprise.

  • Une définition conforme aux évolutions de la notion d'essai

Il faut, en outre, relever que cette interprétation restrictive se trouve être en parfaite conformité avec la définition que semblent avoir voulu apporter les partenaires sociaux à la période d'essai. En effet, l'article 4 de l'Accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 dispose que la période d'essai permet "à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son emploi" (10). La tentation, qui consisterait donc à penser que l'évaluation défavorable du salarié par ses formateurs à la fin du stage puisse constituer un motif suffisant pour rompre la période d'essai, se trouve repoussée, un stage n'étant pas un emploi.

  • Le cumul possible entre stage et essai : un voeu des partenaires sociaux

L'analyse opérée par la Cour de cassation doit, également, être approuvée en ce qu'elle se refuse à reporter le début de la période d'essai à l'issue du stage. Cette décision est, là encore, en parfaite conformité avec l'esprit ayant guidé la stipulation de l'article 3 a) de l'ANI du 11 janvier 2008. Ce texte prévoit, en effet, que "la durée du stage intégré à un cursus pédagogique réalisé lors de la dernière année d'étude est prise en compte dans la durée de la période d'essai, sans que cela puisse la réduire de plus de moitié". Le principe de l'intégration de la durée du stage dans celle de l'essai opine en faveur de la faculté de cumuler stage et essai, même si l'accord ne traite, ici, que d'un type de stage bien particulier, dont il n'était, d'ailleurs, pas question dans l'affaire commentée.

  • Vers une motivation formelle de l'essai ?

Il reste, néanmoins, que l'appréciation du caractère abusif de la rupture d'essai devient, décision après décision, de moins en moins difficile. La Cour de cassation semble, en effet, imposer au juge de "rechercher si l'employeur avait été en mesure d'apprécier les qualités professionnelles du salarié", autrement dit, d'apprécier indirectement la motivation réelle de la rupture de l'essai. Certes, l'appréciation ne semble être imposée qu'en raison de l'existence concomitante d'un stage. A cela s'ajoutait, dans cette espèce, la terminologie retenue par la clause d'essai, qui prévoyait un "temps de travail effectif" de deux mois.

Pour autant, il paraît de plus en plus contestable de voir la Chambre sociale continuer de qualifier le droit de rupture de l'employeur de "discrétionnaire", comme elle le fait dans le chapeau de cet arrêt. Il est, en outre, possible de se demander si les évolutions récentes relatives au motif de la rupture ne préfigurent pas une évolution de plus grande ampleur de la rupture de l'essai. Il n'est, en effet, pas impossible que, dans un avenir proche, soit exigé de l'employeur une motivation formelle de la rupture d'essai...


(1) Pour une étude statistique sur la fréquence d'utilisation de la période d'essai, v. Ch. Bessy, La contractualisation de la relation de travail, LGDJ, 2007, p. 81.
(2) V., sur cette question, P. Etiennot, Stage et essai en droit du travail, RJS, 1999, p. 623 ; et nos obs., La distinction entre stage et notions proches, Lexbase Hebdo n° 213 du 4 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N7789AKP).
(3) V., par ex., Cass. soc., 24 octobre 1997, n° 94-45.275, Société Prévost finances c/ Mme Ghyselen (N° Lexbase : A3144AB3), Bull. civ. V, n° 333 ; D., 1997, IR, 241 ; JCP éd. S, 1998, II, 10004, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. soc., 1997, p. 1092, note Cl. Roy-Loustaunau ; Cass. soc., 28 juin 2000, n° 98-45.349, Mme Soisson c/ Mme Rigaud (N° Lexbase : A8771AHC), Dr. soc., 2000, p. 1011, obs. Cl. Roy-Loustaunau.
(4) "Le stage serait à la lisière de l'activité professionnelle, en aménageant l'entrée ou en marquant la fin au moins provisoire" (A. Lyon-Caen, Stage et travail, Dr. soc., 1982, p. 164).
(5) V. Cass. soc., 1er février 2000, n° 97-41.908, Mme Valérie Jolivet c/ Société Prévoir vie - Groupe Prévoir, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A7854AX8).
(6) V. Cass. soc., 24 octobre 1997, n° 94-45.275, préc..
(7) Nos obs., La distinction entre stage et notions proches, préc..
(8) Pour plus de précisions, v. l'arrêt de l'appel, CA Montpellier, 7 juin 2006, n° 05/02135, SARL Germond services c/ Di Stephano.
(9) Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212, société Cofiroute, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7171DZM) et les obs. de Ch. Radé, Rupture du contrat de travail en période d'essai : l'étau se resserre, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2219BDK), RDT, 2008, p. 29, note J. Pélissier ; D., 2008, p. 196, note J. Mouly ; JCP, 2008, II, 10005, note D. Corrignan-Carsin.
(10) Nous avions déjà envisagé les effets que pouvaient avoir l'insertion future dans la loi d'une définition précise de la période d'essai. V., sur ce point, nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) ; v., également, J. Mouly, Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288. Le texte de cet article relatif à la définition de l'essai devrait être repris in extenso par la loi sur la modernisation du marché du travail, actuellement en préparation, grâce à un amendement déposé devant le Sénat. L'Assemblée nationale avait, en effet, tronqué le texte initial des partenaires sociaux. V., les débats parlementaires du Sénat, séance du 6 mai 2008.

Décision

Cass. soc., 15 mai 2008, n° 07-42.289, M. Alexis di Stefano, F-D (N° Lexbase : A5436D8T)

Cassation, CA Montpellier, ch. soc., 7 juin 2006.

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1

Mots-clés : période d'essai ; formation préalable ; appréciation des qualités professionnelles ; rupture abusive.

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