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par Julien Prigent - Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
Le projet de loi commenté rappelle que la hausse des loyers des baux commerciaux est plafonnée en référence à l'indice trimestriel du coût de la construction en précisant que cette situation serait, à certains égards, préjudiciable aussi bien aux propriétaires-bailleurs qu'aux locataires-commerçants. Cette affirmation appelle trois remarques. Tout d'abord, c'est à l'occasion du renouvellement ou de la révision légale du loyer du bail commercial que va s'appliquer le mécanisme du plafonnement en fonction de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction. Ensuite, il convient de ne pas perdre de vue que le loyer en renouvellement ou révisé doit être fixé à la valeur locative et c'est seulement dans l'hypothèse où cette dernière serait supérieure à celui résultant de la variation de l'indice que le mécanisme du plafonnement aura vocation à produire ses effets. Enfin, le loyer du bail commercial peut, également, varier par application de la clause d'indexation. En application d'une telle clause, le loyer variera automatiquement, selon la périodicité choisie (annuelle ou triennale le plus souvent) et en fonction de la variation de l'indice élu, généralement l'indice INSEE du coût de la construction.
Fort de ce constat, il est rappelé, dans le projet de loi précité, que plusieurs fédérations de propriétaires et de locataires avaient trouvé un accord sur l'instauration d'un nouvel indice de révision des loyers permettant d'éviter de trop fortes variations annuelles et de tenir compte de l'activité des commerçants et des artisans.
A la suite de l'augmentation importante de l'indice INSEE du coût de la construction, une réflexion avait, en effet, été menée en 2007 sous l'égide du CNCC (Centre national des centres commerciaux), avec la fédération PROCOS (Promotion des commerces et services spécialisés), la fédération de locataires commerçants, la FSIF (Fédération des sociétés immobilières et foncières), le CdCF (Conseil du commerce de france) et l'UNPI (Union nationale des propriétaires immobiliers). Il a, alors, été proposé la création d'un nouvel indice appelé "indice des loyers commerciaux" (ILC) qui intègrerait trois indices calculés mensuellement ou trimestriellement par l'INSEE dans les proportions suivantes :
- 50 % indice des prix à la consommation (IPC) ;
- 25 % indice du coût de la construction (ICC) ;
- 25 % indice du chiffre d'affaires du commerce de détail en valeur (ICAV).
Cet indice aurait vocation à s'appliquer depuis le 9 janvier 2008 (communiqué de presse de la fédération PROCOS). Il est nécessaire, néanmoins, à défaut de dispositions législatives en ce sens, que les parties aient stipulé une indexation en fonction de ce nouvel indice, par avenant en ce qui concerne les baux en cours.
Il a, cependant, très vite été relevé qu'en raison du fait que ce nouvel indice est calculé, en partie, en fonction de l'indice des prix à la consommation, il ne semblait pas répondre aux conditions posées par l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3375APP) qui interdit "toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties" (Ph.-H. Brault, J. Monéger, Le boeuf, l'âne et l'indice, Loyers et copr., 2008, focus n° 1).
A défaut d'intervention du législateur, une clause d'indexation fondée sur cet indice pourrait être jugée nulle. C'est la raison pour laquelle l'article 11 du projet de loi commenté envisage de modifier l'article L. 112-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4674HC4) qui prévoirait que "par dérogation aux dispositions de l'article L. 112-1 et du premier alinéa de l'article L. 112-2 et selon des modalités définies par décret, peuvent être indexés sur le niveau général des prix [...], les loyers prévus par les conventions portant sur [...] un local commercial".
L'emploi du terme "local commercial" pourrait susciter une difficulté d'interprétation. En effet, la question pourrait se poser de l'étendue de cette dérogation et, notamment, de savoir si le nouvel indice pourrait être valablement choisi en présence d'une activité économique autre que "commerciale" au sens strict (activité professionnelle ou artisanale).
Au motif que la modification envisagée des dispositions de l'article L. 112-3 du Code monétaire et financier ne serait pas suffisante et qu'elle devrait être complétée par la mise à jour des dispositions d'ordre public du Code de commerce, il a, en outre, été proposé d'ajouter, par l'amendement numéro 125, une nouvelle phrase à l'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5762AIA), relatif au mécanisme du plafonnement du loyer en renouvellement :
"Pour les baux portant sur un immeuble bâti à usage principal de commerce de détail et dès lors que les parties ont contractuellement adopté l'indice trimestriel des loyers commerciaux, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice national trimestriel des loyers commerciaux publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33".
Il est inexact d'affirmer que les dispositions de l'article L. 145-34 du Code de commerce seraient d'ordre public, puisque les parties sont libres d'écarter le plafonnement du loyer en renouvellement dès la conclusion du bail (Cass. civ. 3, 10 mars 2004, n° 02-14.998, F-P+B+I N° Lexbase : A4884DBI).
Il convient, en outre, de relever que ces nouvelles dispositions, si elles étaient adoptées, n'auraient pas seulement pour effet de rendre licite le recours à l'ILC dans les clauses d'indexation, mais qu'elles substitueraient cet indice à celui du coût de la construction pour la détermination du loyer "plafonné", ce qui ne constitue pas seulement qu'une mise à jour par rapport au projet initial. La règle serait, toutefois, limitée aux "commerces de détail" et à la condition que les parties aient "contractuellement adopté l'indice trimestriel des loyers commerciaux". Cette dernière condition peut paraître imprécise. En effet, la question pourrait se poser de savoir ce que recouvrent les termes "contractuellement adopté". Suffira-t-il que les parties aient stipulé une clause d'indexation se référant à cet indice (qui ne concerne pourtant pas directement la fixation du loyer en renouvellement) ou bien faudra-t-il qu'elles aient prévu expressément l'application du nouvel indice pour la fixation du loyer plafonné ? Dans ce dernier cas, il était inutile de cantonner la règle aux commerces de détail puisque, en l'état actuel de la jurisprudence, et sous réserve de la validité de l'ILC, les parties pourraient librement décider de plafonner le loyer en renouvellement en fonction de ce nouvel indice.
L'amendement précité propose, également, de modifier le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce afin d'adapter cet article à la prise en compte du nouvel indice pour la détermination de l'indice de référence.
Enfin, cet amendement propose de modifier l'article L. 145-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L5766AIE), afin d'appliquer la règle du plafonnement du loyer en fonction de la variation de l'ILC à l'occasion d'une révision triennale à la condition d'être en présence d'un "commerce de détail" et que les parties aient "adopté" cet indice.
II - L'assouplissement de l'interdiction du changement d'usage des locaux d'habitation
Le projet de loi commenté prévoit, afin de faciliter le démarrage d'activités et la création d'entreprises, de supprimer le régime d'autorisation administrative pour la transformation des locaux d'habitation en locaux commerciaux et pour l'utilisation de son local d'habitation à des fins professionnelles en usage mixte pour les rez-de-chaussée.
Ainsi, l'article 4 de ce projet envisage la modification de plusieurs articles.
Celle, tout d'abord, de l'article L. 443-11 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8325HWA) : le septième alinéa de ce texte permet aux organismes d'habitations à loyer modéré, dans les quartiers situés dans les zones urbaines sensibles définies à l'article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (N° Lexbase : L8737AGP) ou dans les territoires définis à l'article 6 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003, d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine (N° Lexbase : L3558BLD), de louer à titre temporaire des locaux d'habitation situés en rez-de-chaussée en vue d'y exercer des activités économiques. Il est proposé, aux termes du projet rapporté, de supprimer le terme "temporaire". Le nouveau texte préciserait également que le bail d'habitation de ces locaux ne serait pas soumis au statut des baux commerciaux et qu'il ne saurait constituer un élément du fonds de commerce.
L'article 4 prévoit, ensuite, de modifier l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2022HPL) pour exclure de toute autorisation préalable le changement d'usage des locaux d'habitation situés au rez-de-chaussée, à l'exception de ceux "relevant" des organismes d'habitations à loyer modéré.
L'article L. 631-7-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6474G9N) serait, également, modifié. Ce texte permet actuellement l'exercice d'une profession dans une partie d'un local d'habitation utilisé comme résidence principale, à la condition que celle-ci ne revête à aucun moment un caractère commercial et sous réserve de l'obtention d'une autorisation préfectorale. Le nouveau texte permettrait d'étendre cette dérogation à l'interdiction du changement d'usage aux activités commerciales à la condition, cependant, qu'aucune disposition législative ou stipulation contractuelle prévue dans le bail ou le règlement de copropriété ne s'y oppose et que l'activité considérée n'engendre ni nuisance, ni danger pour le voisinage, et qu'elle ne conduise à aucun désordre pour le bâti.
Seraient exclus de cette faculté les locaux relevant des organismes d'habitations à loyer modéré. Le bail d'habitation de la résidence principale ne pourrait, en outre, être soumis au statut des baux commerciaux, ce qui méritait d'être précisé car, à supposer que le bail, mixte par définition, autoriserait une activité commerciale, le statut des baux commerciaux aurait dû être applicable dans son ensemble.
Enfin, il serait créé un nouvel article L. 631-7-4 du Code de la construction et de l'habitation.
L'article L. 631-7-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6475G9P) permet, par dérogation à la règle de l'interdiction du changement d'usage, l'exercice d'une activité professionnelle, y compris commerciale, dans une partie d'un local à usage d'habitation, dès lors que l'activité considérée n'est exercée que par le ou les occupants ayant leur résidence principale dans ce local et ne conduit à y recevoir ni clientèle, ni marchandises.
Cette dérogation de plein droit serait étendue, par le nouvel article L. 631-7-4 du Code de la construction et de l'habitation, à l'activité professionnelle, y compris commerciale, même en cas de réception de marchandises et de clientèle, dans la partie du local d'habitation situé en rez-de-chaussée à la condition qu'aucune disposition législative ou stipulation contractuelle prévue dans le bail ou le règlement de copropriété ne s'y oppose et que l'activité considérée ne soit exercée que par le ou les occupants ayant leur résidence principale dans ce local, qu'elle n'engendre ni nuisance, ni danger pour le voisinage et qu'elle ne conduise à aucun désordre pour le bâti. L'intérêt de cette disposition laisse perplexe puisque le nouvel article L. 631-7 exclut par principe de toute autorisation préalable le changement d'usage des locaux d'habitation situés au rez-de-chaussée, à l'exception de ceux "relevant" des organismes d'habitations à loyer modéré. Le nouvel article L. 631-7-4 du Code de la construction et de l'habitation préciserait, toutefois, que le bail d'habitation ne sera pas soumis au statut des baux commerciaux.
III - Assouplissement de la condition de l'immatriculation pour certaines personnes simplement mentionnées au registre du commerce et des sociétés
Aux termes des amendements numéro 73 et 153, il est proposé d'ajouter un nouvel alinéa à l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ) qui permettrait au copropriétaire non-exploitant d'un fonds de commerce ou artisanal, d'invoquer le bénéfice du statut des baux commerciaux.
Cette règle mettrait un terme à la solution dégagée par la Cour de cassation qui prévoit que le cotitulaire d'un bail commercial, même non-exploitant du fonds de commerce, doit être personnellement immatriculé au registre du commerce, afin que l'ensemble des preneurs puisse bénéficier d'un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-19.062, FS-P+B N° Lexbase : A5935DZT).
En principe, "le copreneur au bail, qu'il soit copropriétaire du fonds ou nu-propriétaire, a la possibilité de prendre une inscription personnelle au RCS en spécifiant sa qualité de non-exploitant du fonds établi dans le local loué. La qualité de non-exploitant permet au copreneur de ne pas être obligatoirement assujetti au régime des assurances sociales des travailleurs non salariés non agricoles. Ces immatriculations ne sont pas considérées comme des unités économiques selon l'INSEE. Enfin, les dispositions relatives au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ne lui sont pas personnellement applicables, sauf s'il devait apparaître comme dirigeant de fait" (QE n° 20028 de M. Briane Jean, JOANQ 12 octobre 1998 p. 5521, PME, Commerce et Artisanat, réponse publ. 8 février 1999 p. 824, 11ème législature N° Lexbase : L5870BGI). Il est vrai, toutefois, qu'il semblerait que certains greffes refusent cette immatriculation personnelle du copropriétaire non-exploitant. En outre, selon l'auteur de l'un des amendements, les textes relatifs au répertoire des métiers ne permettraient pas d'immatriculer une personne n'exploitant pas d'activité artisanale.
Le texte proposé vise à remédier à ces difficultés.
Ces amendements proposent, également, de faire bénéficier du statut des baux commerciaux les héritiers ou ayants droit du chef d'entreprise décédé qui ont demandé le maintien de son immatriculation pour les besoins de la succession. Ils n'auraient pas, dans cette hypothèse, à être personnellement immatriculés.
IV - Limitation du montant du dépôt de garantie à un mois
L'amendement numéro 171 propose de limiter le montant du dépôt de garantie exigible par le bailleur à un mois "comme ce qui existe en matière de bail d'habitation".
Actuellement, la loi ne fixe aucune limite au montant du dépôt de garantie dans le cadre d'un bail commercial. Toutefois, les loyers payés d'avance, sous quelque forme que ce soit, et même à titre de garantie, portent intérêt au profit du locataire, au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes (C. com., art. L. 145-40 N° Lexbase : L5768AIH), ce qui, en pratique, a souvent pour effet de limiter le dépôt de garantie à un terme de loyer, lorsque le loyer est payable d'avance, ou à deux termes s'il est payable à terme échu.
V - Possibilité de mettre à l'écart les règles d'ordre public applicables aux baux professionnels
L'amendement numéro 173 prévoit la création d'un nouvel alinéa à l'article L. 145-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3989HBD), qui énumère des cas d'extension légale du statut des baux commerciaux, qui prévoirait que les parties à un bail professionnel soumis à l'article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 (N° Lexbase : L5580AH7) pourraient "par dérogation à ces dispositions" adopter l'application du statut des baux commerciaux.
Il serait, ainsi, mis fin à la discussion portant sur la question de savoir si l'adoption conventionnelle du statut des baux commerciaux en présence d'un bail soumis à l'article 57 A précité permet ou non de mettre à l'écart les dispositions d'ordre public de ce dernier texte.
VI - Allongement du délai pour quitter les lieux à la suite du paiement de l'indemnité d'éviction
Aux termes de l'article L. 145-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L5757AI3), les lieux doivent être remis au bailleur pour le premier jour du terme d'usage qui suit l'expiration du délai de quinzaine à compter du versement de l'indemnité entre les mains du locataire lui-même ou, éventuellement, d'un séquestre.
Partant du constat que l'exploitation d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal implique la gestion matérielle d'un ensemble complexe (stocks de marchandises entreposées dans les locaux, présence sur les lieux de documents administratifs ou commerciaux, etc.), l'auteur de l'amendement numéro 174 conclut que le délai actuel donné au locataire après le versement de l'indemnité d'éviction est trop bref pour que le commerçant ou l'artisan devant quitter les lieux le fasse dans de bonnes conditions.
Il est proposé, aux termes de cet amendement, de porter en conséquence ce délai à deux mois.
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