La lettre juridique n°286 du 20 décembre 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui

Réf. : CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère Public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'université de Reims Champagne Ardenne

le 07 Octobre 2010

Les conventions ayant pour objet la procréation comme la simple gestation pour le compte d'autrui sont prohibées en France et nulles d'une nullité d'ordre public, en application des articles 16-7 (N° Lexbase : L1695ABE) et 16-9 (N° Lexbase : L1697ABH) du Code civil. Absolue et générale, cette interdiction s'applique que la mère porteuse soit également génitrice ou seulement gestatrice, que la convention soit conclue à titre gratuit ou à titre onéreux. Une telle illicéité n'empêche, toutefois, pas des couples en attente d'un enfant de se rendre à l'étranger, notamment dans certains Etats des Etats-Unis, dont la Californie, ou encore au Royaume-Uni, afin de recourir aux techniques de maternité pour autrui. Une fois l'enfant né -ce dernier étant généralement considéré dans le pays étranger comme l'enfant de la femme qui n'a pas accouché-, se pose le problème de la régularisation et de la transcription sur les registres français d'état civil de l'acte de naissance. Le présent arrêt de la cour d'appel du 25 octobre 2007, fortement médiatisé, résout cette interrogation en validant, contre toute attente, la transcription des actes de naissance de deux enfants au motif qu'un refus contreviendrait à leur "intérêt supérieur". "Rachel, voyant qu'elle ne donnait point d'enfant à Jacob, [...] dit : 'Voici ma servante Bilha ; viens vers elle, et elle enfantera sur mes genoux, et j'aurai, moi aussi, des enfants par elle'" (Genèse, 30).

La "maternité pour autrui", expression générale, désigne deux types de pratiques qui ont, néanmoins, pour point commun d'aboutir à ce qu'une femme accouche d'un enfant qu'elle a préalablement accepté d'abandonner au profit d'une autre qui ne peut ou exceptionnellement ne veut pas assurer le processus de procréation et/ou de gestation.

La première de ces techniques, appelée "maternité de substitution", désigne le fait pour une femme d'être inséminée artificiellement avec le sperme d'un homme dont la femme ou compagne est stérile. La mère porteuse est donc, ici, mère à double titre, en tant que génitrice et gestatrice.

La seconde technique, qualifiée de "gestation pour autrui", désigne, en revanche, le fait pour une femme d'assurer la gestation d'un embryon qui lui est génétiquement étranger dans la mesure où il est conçu in vitro avec les gamètes du couple. Dans ce cas, les maternités génétique et "sociologique" correspondent.

Les faits de l'arrêt rapporté mettent en avant la première de ces deux techniques. Par un jugement rendu le 14 juillet 2000, la Cour suprême de Californie confère à des époux français la qualité de père et mère de deux enfants à naître portés par la gestatrice et issus d'une fécondation in vitro des gamètes de celle-ci et de l'époux. Le 25 octobre 2000, deux petites filles naissent dans le comté de San Diego. Conformément à la loi de l'Etat de Californie qui autorise la maternité pour autrui, les certificats et actes de naissance désignent le couple français comme les parents des deux enfants. Si le ministère public n'a pas contesté l'état des enfants et l'opposabilité en France du jugement américain conférant au couple les qualités de père génétique et de mère légale des enfants, il a, en revanche, sollicité l'annulation des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil de Nantes au motif qu'ils contrariaient l'ordre public international.

L'arrêt de la cour d'appel du 25 octobre 2007 juge cette requête irrecevable au motif que les énonciations des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil sont exactes au regard des termes du jugement étranger. Il relève, en outre, que la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d'actes d'état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique.

Les juges de la cour d'appel retiennent donc deux arguments.

En premier lieu, on ne peut affirmer que les énonciations des actes retranscrits sont inexactes dans la mesure où elles résultent d'un arrêt de la Cour suprême de l'Etat de Californie, lui-même conforme au Code de la famille californien, section 7630 et 7650. A ce titre, l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) dispose que "tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or, tel n'était pas le cas en l'espèce selon la cour d'appel : "le ministère public, qui ne conteste ni l'opposabilité en France du jugement américain ni la foi à accorder, au sens de l'article 47 du Code civil, aux actes dressés en Californie dans les formes usitées dans cet Etat, est irrecevable, au regard de l'ordre public international, à solliciter l'annulation des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil de Nantes".

En second lieu, l'annulation des actes transcrits sur les registres de l'état civil aurait pour conséquence, jugée contraire à l'intérêt supérieur des enfants, de les priver d'un lien de filiation et, plus exactement, d'effacer le lien biologique avec leur père. Les juges se réfèrent ainsi à la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), dont l'applicabilité directe en droit interne a été, récemment, reconnue par la Cour de cassation (1). L'article 3-1 dispose, en effet, que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale".

L'intérêt supérieur de l'enfant aboutit donc à donner effet à une convention de mère porteuse pourtant interdite en droit français. Sur le fondement des articles 6 (N° Lexbase : L2231ABA), 1128 (N° Lexbase : L1228AB4) et 353 (N° Lexbase : L3988C34) du Code civil, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a posé en principe, dans un arrêt du 31 mai 1991 (2), que la convention qui prévoit l'accueil à son foyer d'un enfant conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère porte atteinte au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et à celui de l'état des personnes et constitue un détournement de l'institution de l'adoption. Cette jurisprudence a encouragé le législateur à inscrire, à l'occasion du vote de la loi bioéthique du 29 juillet 1994 (loi n° 94-653, relative au respect du corps humain N° Lexbase : L3102AIQ), la prohibition de la maternité de substitution et de la gestation pour le compte d'autrui au sein des Codes civil (C. civ., art. 16-7 et art. 16-9) et pénal (C. pén., art. 227-12 N° Lexbase : L1787AM7).

L'interdiction est, depuis lors, rappelée par les juges. Ainsi, ayant à juger de la requête d'une femme en adoption plénière d'un enfant né douze ans plus tôt d'une maternité de substitution, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 décembre 2003, a rejeté le pourvoi au motif que "la maternité pour autrui, dont le caractère illicite se déduit des principes généraux du Code civil et, aujourd'hui, de son article 16-7, réalise un détournement de l'adoption" (3).

La voie de l'adoption, tant simple (4) que plénière, ayant été définitivement fermée par la jurisprudence, certains couples ont tenté, une fois revenus en France, de reconnaître l'enfant ou de recourir, comme l'a suggéré la doctrine (5), à la possession d'état aux fins d'établir le lien de filiation. Leurs tentatives ont fréquemment échoué. Ainsi, par un arrêt du 4 juillet 2002 (6), la cour d'appel de Rennes a confirmé la décision du Parquet de contester la reconnaissance maternelle. En l'espèce, un couple, dont la femme ne pouvait assurer la gestation en raison d'une malformation congénitale, s'était rendu en Californie pour y conclure une convention portant sur la gestation d'un embryon issu de ses propres gamètes. A la naissance des deux enfants, la concubine fut inscrite comme la mère sur les registres de naissance de Californie. Quelques semaines plus tard, elle et son compagnon reconnurent les enfants en France. Après avoir été averti de la situation par le consulat général de France à San Francisco, le parquet de Nantes contesta l'acte de reconnaissance maternelle, le considérant comme une fraude à la loi qui interdit l'adoption conjointe par les concubins. En dépit du fondement biologique de la filiation et de la conformité des reconnaissances tant paternelle que maternelle, à la réalité génétique, les juges du fond ont fait droit à la demande de contestation.

S'agissant du recours à la possession d'état, un jugement du tribunal de grande instance de Lille (7) a, récemment, considéré que le ministère public n'a pas commis une voie de fait en refusant de mentionner en marge de l'acte de naissance de l'enfant né d'une mère porteuse la filiation établie par acte de notoriété à l'égard de la femme du couple stérile. En effet, selon l'article 311-2 du Code civil (N° Lexbase : L8857G9W), issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P), la possession d'état doit être "continue, paisible, publique et non équivoque". La circulaire du 30 juin 2006 prise en application de l'ordonnance de 2005 affirmant, en outre, que le caractère équivoque de la possession d'état peut résulter d'une fraude ou d'une violation de la loi, notamment en cas de gestation pour le compte d'autrui, le tribunal de grande instance en a conclu que la possession d'état était viciée.

Les demandes d'établissement du lien de filiation tant sur le terrain de l'adoption, "filiation élective", que sur le terrain de la filiation "par procréation" (8) ne pouvant aboutir, l'enfant subit finalement les circonstances de sa conception en se voyant privé d'un droit à la reconnaissance juridique d'une parenté qui serait admise pour tout autre enfant. C'est précisément cet argument qui a convaincu les juges de la cour d'appel de Paris de rejeter la demande en annulation des actes d'état civil ainsi que, dernièrement, la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat de réfléchir "au problème de la maternité pour autrui" (9). Suivant, notamment, un sondage réalisé en février 2007 selon lequel 53 % des Français sont, aujourd'hui, favorables à la gestation pour autrui (10), MM. les sénateurs About et Hyest ont proposé la création d'un groupe de travail qui pourrait engager ses travaux avant la fin de l'année.


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-17.912, M. Olivier Serylo c/ Mme Frédérique Bruno, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7437DLZ), RTD. civ. 2006, p.101, obs. J. Hauser.
(2) Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105, Procureur général près la Cour de Cassation (N° Lexbase : A7573AHX), G.A.J.C., Dalloz, 11ème éd., t. 1, p. 264, n° 49.
(3) Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 01-03.927, Mme Denise Morvan, épouse Dangles c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-P (N° Lexbase : A4225DAQ), RTD. civ. 2004, p. 75, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 1, 29 juin 1994, n° 92-13563, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A4713CKR), JCP éd. G, 1995, II, 22362, note J. Rubellin-Devichi.
(5) Fr. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, les personnes, la famille, les incapacités, Dalloz, 2005, 7ème éd., n° 931, p.880.
(6) CA Rennes, 4 juillet 2002, D. 2002, p. 2902, note F. Granet.
(7) TGI Lille, 22 mars 2007, Dr. fam. 2007, comm. n° 122, note P. Murat ; D. 2007, p.1251, note X. Labbée.
(8) P. Murat, note précitée.
(9) Communiqué du Sénat du 3 décembre 2007 : "L'évolution des pratiques et des moeurs ainsi qu'une récente décision de justice reconnaissant la filiation entre un couple et des jumelles nées d'une mère porteuse américaine justifient, à leur sens, cette réflexion. Celle-ci pourrait déboucher sur une proposition d'évolution des textes législatifs, sachant que plusieurs Etats-membres de l'Union européenne autorisent désormais la gestation pour autrui - ou simplement ne l'interdisent pas".
(10) Première enquête sur la bioéthique avant la prochaine révision législative, Dr. fam. 2007, Alerte n° 28 : 44 % des personnes interrogées croient également que la pratique est, d'ores et déjà, admise légalement en France.

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