La lettre juridique n°286 du 20 décembre 2007 : Social général

[Jurisprudence] Epargne salariale et assurance garantie des salaires : des rapports délicats

Réf. : Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 05-45.354, Mme Nicole Aguire, FS-P+B (N° Lexbase : A0281D3S)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les sommes issues de l'intéressement et de la participation peuvent, sous certaines conditions, être recueillies par un plan d'épargne d'entreprise. Elles peuvent, alors, faire l'objet de différentes affectations. Parmi celles-ci, figure en bonne place l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement d'entreprise dont l'actif est constitué de valeurs mobilières émises par la société employeur. Pour être intéressant, un tel placement est, par définition, risqué, nonobstant les garanties posées par le législateur en la matière. En effet, si la société vient à disparaître à la suite de sa mise en liquidation judiciaire, le salarié perdra, outre son emploi, l'épargne qu'il s'était constituée. Ce dernier se doit donc de bien réfléchir avant de procéder à un tel placement, d'autant plus qu'il ne pourra bénéficier, ici, de la garantie de l'AGS, ainsi qu'en témoigne un important arrêt rendu par la Chambre sociale le 28 novembre dernier.

Résumé

L'article L. 143-11-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0052HDB), d'une part, ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectuées par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan, et, d'autre part, ne fait bénéficier de cette garantie les sommes dues au titre de la participation des salariés aux fruits de l'expansion que si elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, ce qui n'est pas le cas de celles qui, en application d'un accord de participation, ont été employées à l'acquisition de part d'un fonds commun de placement dont les salariés sont devenus copropriétaires.

1. Les limites légales au bénéfice de l'AGS en matière d'épargne salariale

  • Les règles applicables

Ainsi que l'exige l'article L. 143-11-1 du Code du travail, l'employeur est tenu d'assurer ses salariés contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires.

S'agissant des créances garanties (1), une place particulière doit être faite aux sommes dues au titre de l'intéressement et de la participation. En effet, contrairement à ce que l'on pourrait penser, la garantie de l'AGS n'a pas vocation à couvrir l'ensemble de ces sommes. Plus précisément, il résulte de l'alinéa 1er de l'article L. 143-11-3 du Code du travail que ces sommes ne sont couvertes par l'assurance précitée que "lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise". Cette dernière entité étant dépourvue de la personnalité juridique, il va de soi qu'elle ne saurait être, en aucune façon, débitrice d'une quelconque obligation. Il faut donc comprendre qu'il ne peut y avoir de créance des salariés qu'à l'égard de la société qui lui sert de vêtement juridique.

Il convient d'ajouter que, en vertu de l'article L. 143-11-3, la couverture de l'AGS suppose que les créances en cause soient exigibles à la date du jugement d'ouverture de la procédure ou le deviennent du fait de la rupture du contrat de travail en rapport avec un plan de sauvegarde ou de redressement, ou bien qu'intervienne un jugement de liquidation ou un jugement arrêtant un plan de cession totale de l'entreprise.

  • Les faits de la cause

Cette dernière condition était bien remplie en l'espèce. En effet, la société Groupe RDC et ses filiales avaient institué un plan d'épargne en 1995. Celui-ci avait vocation à recueillir des versements volontaires des salariés et, en particulier, les sommes qui leur seraient attribuées au titre de l'intéressement, des versements complémentaires des entreprises, des sommes attribuées, le cas échéant, en application d'un accord de participation des salariés aux résultats de l'entreprise. Les sommes collectées pouvaient être affectées à l'acquisition de parts de deux fonds communs de placements. Les actifs du premier comprenaient des valeurs mobilières diversifiées, tandis que les actifs du second étaient constitués de valeurs mobilières émises par la société Groupe RDC. Les avoirs de ces fonds, déposés au CIC, étaient gérés par une société de gestion filiale de cet établissement bancaire.

La société Groupe RDC et ses filiales ayant été mises en liquidation judiciaire, plusieurs salariés, qui avaient été employés par ces sociétés, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à ce qu'il soit dit que les sommes qu'ils avaient investies dans le fonds commun de placement RDC soient fixées au passif des sociétés et garanties par l'AGS en vertu de l'article L. 141-11-3 du Code du travail.

Un jugement de liquidation judiciaire étant intervenu, toute la question était de savoir si les sommes en cause relevaient de la garantie de l'AGS, en vertu de l'article L. 143-11-3.

2. Détermination des sommes garanties par l'AGS en matière d'épargne salariale

  • Une mise au point salutaire

Ainsi qu'il a été souligné précédemment, les sommes issues de la participation et de l'intéressement ne sont garanties par l'AGS que lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise. La mise en oeuvre de cette garantie ne fait aucune difficulté lorsque l'employeur ne s'est pas libéré de son obligation de verser les sommes en cause alors qu'elles sont exigibles à la date du jugement de liquidation judiciaire, par exemple.

Le problème surgit quand les sommes versées au titre de l'intéressement et de la participation ont fait l'objet d'une affectation à un plan d'épargne et ont ensuite été placées. Constituent-elles, encore, dans ce cas, un droit de créance sur l'entreprise ?

Un arrêt rendu le 30 septembre 2004 pouvait le laisser à penser, la Cour de cassation ayant considéré qu'"il résulte des articles L. 442-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L4590DZZ) que les droits constitués au profit des salariés au titre de la participation aux résultats de l'entreprise en exécution du contrat de travail et du statut collectif qu'il implique revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise quel que soit leur emploi pendant le temps de leur indisponibilité" (2) (Cass. soc., 30 septembre 2004, n° 02-16.439, Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS) c/ Mme Eliane Landreau, FS-P+B N° Lexbase : A4661DDY ; Bull. civ. V, n° 242 ; Dr. soc. 2004, p. 1149, obs. J. Savatier).

Eu égard à la généralité de la formule retenue par la Chambre sociale, cette décision pouvait être critiquée. En effet, et ainsi que l'avait, à juste titre, relevé un auteur (3), "elle paraît analyser les droits des salariés après la répartition entre eux de la réserve de participation comme étant toujours des droits de créance du salarié sur l'entreprise, devenus exigibles lors de la liquidation judiciaire de l'entreprise, et dont le paiement est garanti par l'AGS en application de l'article L. 143-11-1 du Code du travail". Or, l'article L. 143-11-3 laisse clairement entendre que les sommes dues au titre de l'intéressement ou de la participation des salariés aux fruits de l'expansion ne revêtent pas nécessairement la forme d'un droit de créance sur l'entreprise. Partant, on ne saurait affirmer, ainsi que le faisait la Cour de cassation dans l'arrêt précité, que ces sommes revêtent une telle forme "quel que soit leur emploi pendant le temps de leur indisponibilité". En réalité, c'est précisément l'emploi qui est fait de ces sommes en cause qui permet de déterminer si elles conservent ou pas la qualification de droit de créance sur l'entreprise.

De ce point de vue, la décision sous examen constitue, sinon un revirement, du moins une salutaire mise au point de la part de la Cour de cassation. Ainsi qu'elle l'affirme, "l'article L. 143-11-3 du Code du travail, d'une part, ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectuées par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan, d'autre part, ne fait bénéficier de cette garantie les sommes dues au titre de la participation des salariés aux fruits de l'expansion que si elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, ce qui n'est pas le cas de celles qui, en application d'un accord de participation, ont été employées à l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement dont les salariés sont devenus copropriétaires".

Ainsi, les sommes issues de la participation ne constituent plus nécessairement un droit de créance. Il importe, donc, contrairement à ce qu'avait pu affirmer la Cour de cassation en 2004, de s'attacher à leur emploi pendant la période d'indisponibilité. A ce stade, on peut faire état de deux certitudes. Tout d'abord, et cela découle directement de l'arrêt rapporté, lorsque les sommes issues de la participation sont employées à l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement, elles ne constituent plus un droit de créance du salarié à l'égard de l'entreprise. De ce fait, elles ne bénéficient pas de la garantie de l'AGS. Ensuite, celle-ci peut, en revanche, être mise en cause lorsque les sommes constituant la réserve spéciale de participation sont affectées à un compte que l'entreprise doit consacrer à des investissements. Dans ce cas, en effet, l'article L. 442-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7761HB3) dispose expressément que "les salariés ont sur l'entreprise un droit de créance égal au montant des sommes versées". La qualification de droit de créance ne fait ici, à l'évidence, aucune difficulté.

  • Les incertitudes

Mais, il faut alors se demander s'il est d'autres cas dans lesquels les sommes issues de la participation conservent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise au regard de leur affectation. A lire la circulaire du 14 septembre 2005 relative à l'épargne salariale (N° Lexbase : L1463HDK), une réponse négative doit être apportée à cette question, ce texte ne visant, en la matière, que le placement des sommes issues de la participation sur des comptes courants bloqués (4). En d'autres termes, dès lors que les sommes en cause feraient l'objet d'un placement sur un plan d'épargne d'entreprise, elles n'auraient plus la forme d'un droit de créance sur l'entreprise et ne seraient plus couvertes par la garantie de l'AGS (5).

On est en droit de se demander si cette position rigoureuse sera retenue par la Cour de cassation. Pour en revenir à l'arrêt commenté, elle affirme que l'article L. 143-11-3 du Code du travail "ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectués par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan". On peut, certes, déduire de cette formule que les sommes versées sur un PEE ne peuvent jamais être garanties par l'AGS. Mais, on peut tout aussi bien considérer que la Chambre sociale entend, ainsi, signifier qu'il importe, au-delà du seul versement des sommes sur le plan, de rechercher quelle est leur affectation exacte, afin de vérifier qu'elles ne conservent pas la forme d'un droit de créance du salarié sur l'entreprise (6).

Les placements qui peuvent être effectués dans le cadre d'un PEE sont divers. Il s'agit, principalement, de l'acquisition de parts d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPVCM) régis par le Code monétaire et financier et de l'acquisition de valeurs mobilières émises par l'entreprise ou par une entreprise liée (7).

S'agissant de l'acquisition de parts d'OPVCM, au rang desquels doivent être rangés les Sicav et les fonds commun de placement, il résulte clairement de l'arrêt rapporté que la garantie de l'AGS est exclue. Cette solution est logique car, dans ce dispositif, les salariés deviennent copropriétaires du fonds, ce qui exclut qu'ils puissent continuer à revendiquer un quelconque droit de créance sur l'entreprise.

En revanche, pour ce qui est des valeurs mobilières émises par la société, on se doit d'être plus prudent. Il convient, en effet, de rappeler que l'article L. 211-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7230HZS) définit les valeurs mobilières comme "les titres émis par des personnes morales, publiques ou privées, transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine". On l'aura donc compris, dès lors que les valeurs mobilières émises par la société employeur correspondent à des titres donnant accès à un droit de créance général sur son patrimoine, il y a tout lieu de penser que la garantie de l'AGS doit s'appliquer, conformément à l'article L. 143-11-3 du Code du travail.

Sans doute, cette idée doit-elle être avancée avec prudence, dans l'attente d'une éventuelle confirmation de la Cour de cassation. Ce qui est, en revanche, certain, c'est que les salariés doivent être bien informés sur les possibilités d'affectation des sommes issues de l'intéressement et de la participation et, surtout, sur les risques que comporte chacun des placements en cause.


(1) Sur l'ensemble de cette question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1201 et s..
(2) Souligné par l'auteur.
(3) J. Savatier, op. et loc. cit.
(4) Circulaire du 14 septembre 2005, relative à l'épargne salariale (N° Lexbase : L1463HDK), Dossier Droits des salariés actionnaires, Fiche 4, Epargne salariale et assurance garantie des salaires : "Lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, c'est-à-dire lorsqu'elles sont placées en comptes courants bloqués, les sommes dues au titre de la participation sont couvertes par l'assurance prévue à l'article L. 143-11-1 [...]". Soulignons que l'on est toujours dans l'attente d'une circulaire de remplacement, prenant en compte les modifications législatives intervenues depuis lors. Celles-ci ne concernent pas, toutefois, le problème qui nous préoccupe ici.
(5) Il est important de souligner que la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : L9268HTG), a modifié l'article L. 442-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7761HB3), afin de limiter les possibilités d'affectation des sommes issues de la participation. Les accords conclus à compter de la publication de la réforme ne peuvent opter qu'entre l'affectation à des comptes ouverts au nom des intéressés en application d'un plan d'épargne ou l'affectation à un compte que l'entreprise doit consacrer à des investissements. Mais, l'accord ne peut prévoir l'affectation des sommes constituant la réserve spéciale de participation uniquement à un compte courant bloqué.
(6) Rappelons que seules les sommes issues de la participation ou de l'intéressement peuvent être concernées. Par suite, ni les versements volontaires du salarié, ni l'abondement de l'entreprise ne peuvent, par définition, relever de cette catégorie.
(7) Il s'agit, ici, d'une détention directe, le PEE pouvant recueillir ces valeurs mobilières sans que l'institution d'un fonds commun de placement soit imposée.
Décision

Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 05-45.354, Mme Nicole Aguire, FS-P+B (N° Lexbase : A0281D3S)

Rejet (CA Rennes, 5ème chambre prud'homale, 27 septembre 2005)

Texte concerné : C. trav., art. L. 143-11-3 (N° Lexbase : L0052HDB)

Mots-clefs : assurance garantie des salaires (AGS) ; participation ; intéressement ; plan d'épargne d'entreprise ; droit de créance.

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