Lecture: 17 min
N5615BDC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
Les entreprises soumises à l'IS peuvent reporter les déficits subis pendant un exercice sur le bénéfice des exercices suivants, sauf à opter pour le régime du report en arrière (carry-back) : pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004, le législateur a consacré le droit au report illimité des déficits des sociétés soumises à un tel régime d'imposition.
Mais le droit fiscal est une discipline réaliste : la règle dite de l'identité de l'entreprise en est l'illustration. Certains événements sont susceptibles d'entraîner l'application du régime de la cessation d'entreprise. Ainsi, aux termes de l'article 221-5 du CGI : "Le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise" (CGI, art. 221-5 N° Lexbase : L4150HLB). Des conséquences apocalyptiques s'ensuivent : imposition immédiate des plus-values latentes et des provisions, sauf application du régime de l'article 221 bis du CGI (N° Lexbase : L2497HNS), interdiction du report des déficits générés par l'activité initiale.
Apparue durant les seventies, la règle de l'identité d'entreprise, qui fut à la base une création prétorienne (CE 9° et 7° s-s-r., 26 novembre 1971, n° 79981, Société X c/ Ministre des Finances N° Lexbase : A8151B8E), vise à permettre le report des déficits uniquement sur les résultats ultérieurement constatés d'une entreprise économiquement semblable.
Cette notion, qui ne relève pas du droit, est difficile à appréhender : comment reconnaître à coup sûr une entreprise qui n'aurait pas "subi, dans son activité, des transformations telles qu'elle [ne serait] plus, en réalité, la même" ? On relèvera, par ailleurs, que cette notion de "réalité" économique semble renvoyer à l'illusionnisme du droit...
Confronté à ces interrogations métaphysiques, le juriste français n'est cependant pas seul dans l'univers : cette question se joue des frontières puisqu'elle taraude également nos voisins allemands, qui connaissent un régime équivalent à celui de l'identité d'entreprise, générateur d'infinis questionnements (J. Viegener, La réforme fiscale 2008 en Allemagne, Dr. fisc. 2007, 6 décembre 2007, comm. 1020, p. 10 (1)).
Par étapes successives, le juge de l'impôt a apporté sa touche et les décisions qu'il a adoptées démontrent qu'il a su faire preuve de discernement : il eût été paradoxal, et particulièrement dommageable, d'empêcher les entreprises françaises de se restructurer pour des motifs tenant à leur coût fiscal.
Ainsi, dans la décision "SARL Sophie B" (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B N° Lexbase : A3450DIM), le Conseil d'Etat a estimé qu'un commerce de prêt-à-porter proposant à sa clientèle des articles de la marque "Benetton" laissant place, après plusieurs années d'interruption, à un commerce d'habillement et d'articles de sport sous l'enseigne "Sport 2000", ne pouvait être regardé comme un changement d'entreprise. Censurant les juges du fond (CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 02DA00781, SARL Sophie B N° Lexbase : A4754C9X), la requérante voit alors son droit reconnu à imputer les déficits générés par la vente des vêtements de prêt-à-porter sur les bénéfices issus de l'exploitation de l'enseigne de sport (comp. : CAA Lyon, 2ème ch., 28 décembre 2006, n° 02LY02391, Société Becton Dickinson and Compagny N° Lexbase : A5925DTM ; CAA Nantes, 1ère ch., 13 mars 2006, n° 03NT00846, SARL MK N° Lexbase : A9051DPW).
En revanche, la règle de l'identité d'entreprise entraîne des conséquences particulièrement sensibles lors de changements substantiels de l'activité de l'entreprise. Il en est ainsi dans l'hypothèse d'une fusion-absorption d'une filiale par une société-mère holding dont l'activité de gestion de portefeuilles disparaît au profit d'une nouvelle activité : en conséquence, la société absorbante perd le droit au report de ses déficits (CAA Douai, 18 mars 2004, n° 01DA01065, SA Sodeleg N° Lexbase : A8988DBI ; v. également : CAA Nantes, 1ère ch., 30 juin 2000, n° 96NT01323, Ministre de l'Economie et des Finances c/ SA La Fourmi N° Lexbase : A6409BHT). La solution est également la même lorsque l'entreprise a filialisé ses activités de production et de commercialisation au moyen de deux apports partiels d'actifs (CAA Nancy, 2ème ch., 1er avril 2004, n° 99NC02308, Société Depreux Systems N° Lexbase : A8203DBG).
Au cas particulier, les faits exposés dans la décision rendue par le Conseil d'Etat sont relatifs à l'acquisition, lors de la création de la société requérante, de dix supermarchés afin d'y implanter des points de vente au détail de produits de boucherie-charcuterie. Après avoir exploité les supermarchés en question pendant une à deux années, le contribuable les a progressivement revendus tout en conservant les points de vente de produits de boucherie-charcuterie.
L'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a regardé la société requérante comme ayant subi des transformations telles qu'elle ne pouvait plus être considérée comme étant la même.
Cette analyse a été confirmée par la juridiction d'appel (CAA Nancy, 2ème ch., 30 juin 2005, n° 02NC00293, SARL Marché actif N° Lexbase : A6534DLL) qui s'appuyait sur les éléments de fait suivants :
- vente des supermarchés exploités depuis 1991 afin de se consacrer exclusivement à la vente de produits de boucherie, de charcuterie et de traiteur d'origine industrielle ;
- chute du chiffre d'affaires de 80 % et réduction du nombre des employés des deux tiers à la suite de la restructuration.
Pour les juges du fond, la date du changement d'activité correspondait à la modification statutaire à la suite de la vente du dernier fonds de commerce en avril 1993.
Cette décision est censurée pour erreur de qualification juridique par le Conseil d'Etat dès lors que "l'activité préexistante sur laquelle la société s'était recentrée représentait une part minoritaire mais non marginale de son activité initiale".
Se fondant sur les dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), la Haute juridiction administrative règle l'affaire au fond en prononçant la décharge de l'imposition car la société requérante "s'est bornée, abandonnant une partie de son activité initiale, à poursuivre l'exploitation de la partie de cette activité qu'elle a conservée".
Heureuse issue pour le contribuable mais des interrogations subsistent : quels sont les critères permettant de distinguer à coup sûr une activité "marginale" ?
Ne faudrait-il pas considérer, en présence d'une activité qui paraîtrait être marginale, que le niveau de chiffre d'affaires, aussi insignifiant semblerait-il être, ne devrait pas constituer un critère absolu dès lors que l'entreprise aurait déployé une intense activité qui n'aurait peut-être pas (encore) généré tous ses effets ?
Les amortissements sont une grande famille : certains sont qualifiés d'amortissements réellement différés, ce qui signifie qu'ils n'ont pas fait l'objet d'un enregistrement comptable. D'autres, pour les exercices ouverts jusqu'au 31 décembre 2003, reposaient sur une notion purement fiscale et étaient alors qualifiés d'amortissements réputés différés (ARD) : faisant l'objet d'une option, ils étaient régulièrement constatés en comptabilité lors d'un exercice fiscalement déficitaire. Les ARD permettaient à une entreprise de voir une partie de ses déficits reportés indéfiniment : cette conséquence était importante si l'on prend l'exemple des sociétés relevant de l'IS dont les déficits ne pouvaient, jusqu'alors, être compensés qu'avec des bénéfices constatés jusqu'au cinquième exercice qui suivait l'exercice déficitaire. Ainsi, ces ARD relevaient d'une gestion fine : pour éviter la "banalisation" des amortissements réputés différés, c'est-à-dire l'application du régime de droit commun des déficits, l'entreprise soumise à l'IS devait prendre un certain nombre de précautions avant toute opération de restructuration se traduisant par le transfert ou la reprise d'activités, dont le "rajeunissement" des ARD consistant à déduire du résultat imposable les ARD avant les amortissements de l'exercice (2).
Cette gymnastique des déficits n'est plus de mise puisque, d'une part, les ARD ont été supprimés et que, d'autre part, pour les entreprises relevant de l'IS, la limitation à cinq exercices du droit au report en avant des déficits a laissé place, à compter des exercices ouverts à partir du 1er janvier 2004 (3), à un régime de report illimité dans le temps (CGI, art. 209 N° Lexbase : L2719HWM).
En revanche, s'agissant des entreprises relevant de l'IR, la suppression du régime des ARD n'est pas une bonne nouvelle, dès lors que le déficit est considéré comme une charge du revenu global de l'associé ou de l'entrepreneur individuel reportable sur six ans uniquement.
Malgré leur disparition de l'ordonnancement juridique, les ARD laissent dans leur sillage un contentieux quant à leur application.
1. ARD et exercice d'une option (CAA Bordeaux, 5 février 2004, n° 00BX00105, M. Pierre Guiraud N° Lexbase : A5016DBE)
Le régime des amortissements réputés suppose l'exercice d'une option par le contribuable qui ne peut être qu'expresse. C'est ce que rappelle la juridiction du fond en décidant que le contribuable, qui exerçait une activité individuelle, devait mentionner les amortissements qu'il réputait différés dans les tableaux de la liasse fiscale afin de les individualiser.
Cette jurisprudence est conforme à celle élaborée par le Conseil d'Etat pour les sociétés (CE Contentieux, 12 février 1992, n° 78401, Société hôtelière Lutetia Concorde N° Lexbase : A5227ARZ) et à la doctrine administrative (DB 4 D 154, 26 novembre 1996, § 5).
L'option exercée emportait d'importantes conséquences en particulier quant à la situation des associés de sociétés de personnes qui en était l'illustration la plus topique : "l'exercice de cette faculté [faisait] obstacle à la transformation ultérieure des amortissements réputés différés en déficits ordinaires" imputables sur les résultats des associés (TA Dijon 10 mars 1998, n° 96-7605 et 96-7606, 2ème ch., SNC Logidis-Sud-Est : RJF juin 1998 n° 647 ; TA Paris 10 décembre 1998, n° 94-7465, 1ère sect., 2ème ch, Société NMB Lease International BV : RJF juin 1998 n° 678 ; v. pour une SA membre d'un GIE : CE Contentieux, 10 janvier 1992, n° 80158, Société anonyme Bernard N° Lexbase : A5174AR3).
En d'autres termes, s'agissant des sociétés de personnes relevant de l'IR, les déficits ordinaires étaient répartis entre les associés alors que les ARD ne pouvaient s'imputer que sur les résultats bénéficiaires ultérieurement constatés par l'entreprise : comme toute décision de gestion, il s'agissait alors de bien en mesurer les conséquences.
2. ARD et modalités d'imputation
- ARD et société de personnes (CAA Bordeaux, 4ème ch., 4 septembre 2007, n° 05BX00999, M. Jean-Claude Borgel)
A la question relative aux modalités d'imputation des ARD constitués par une société de personnes, la jurisprudence répond qu'ils ne peuvent être imputés sur des résultats autres que bénéficiaires. Ainsi, les juges du fond ont approuvé l'administration fiscale d'avoir remis en cause l'imputation d'ARD constatés par une société en nom collectif majorant ainsi son déficit fiscal. Cette décision est comparable à celle adoptée par la juridiction d'appel nantaise dans une récente affaire (CAA Nantes, 1ère ch., 29 juin 2006, n° 05NT01335, M. Raymond Sauvage N° Lexbase : A3924DRR).
- ARD et entreprise individuelle (CE 9° et 10° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 266206, M. Guiraud N° Lexbase : A5792DZK)
Les faits de l'espèce soumis au Conseil d'Etat rapportent qu'un contribuable, exerçant une activité d'entrepreneur de maçonnerie, avait limité l'imputation des ARD sur son bénéfice commercial à un montant de 74 910 francs (11 420 euros), sur un total de 198 772 francs (30 303 euros), alors que le bénéfice s'élevait à 159 145 francs (24 109 euros), pour imputer sur un revenu global de 177 139 francs (27 005 euros) son déficit global de 58 640 francs (8 940 euros). L'administration fiscale, après contrôle sur pièces, a contesté les modalités d'imputation des ARD pour l'exercice concerné ; ce qui a entraîné une diminution des ARD imputés sur l'exercice suivant et, corrélativement, un rehaussement du bénéfice de l'entreprise individuelle.
Le juge de cassation considère alors que "le déficit constaté dans une catégorie de revenus est exclusivement déductible du revenu global et que les amortissements réputés différés en période déficitaire doivent être portés en charges du premier exercice venant à être bénéficiaire à concurrence du montant intégral du bénéfice de cet exercice avant imputation des amortissements réputés différés, le solde éventuel desdits amortissements étant déductible, successivement et dans les mêmes conditions, des exercices bénéficiaires suivants" (CE 9° et 10° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 266206, M. Guiraud N° Lexbase : A5792DZK).
Pour le Haut Conseil, l'administration est alors bien fondée à considérer que les ARD venaient en compensation avec l'entier bénéfice pour l'exercice N de sorte qu'elle pouvait réduire le solde des ARD imputable pour l'exercice N+1 et rehausser le bénéfice imposable en conséquence.
La décision "Société Bongrain" rendue par la Cour de cassation nous offre l'opportunité de mettre, à nouveau, en valeur l'importance des qualifications juridiques de droit privé quant à la solution fiscale adoptée et plus spécialement le droit de la propriété industrielle.
Le 30 juin 2000, la société Boursin a conclu deux conventions, au profit de la société Bongrain, ayant pour objet la cession de droits de possession industrielle (4) afférents à la fabrication du fromage "Boursault" ainsi que la marque "Boursault" ; toutes deux soumises au droit fixe de 75 euros (5) (CGI, art. 731 N° Lexbase : L7993HLM). Puis, le même jour, un troisième acte fut conclu entre la société Boursin et la société Nouvelle commerciale Boursin, en qualité de cédantes, et la SAS Bongrain Gérard, en tant que cessionnaire, portant sur la cession de la clientèle, le matériel et les objets mobiliers servant à l'exploitation de la marque "Boursault" soumis aux droits proportionnels d'enregistrement (CGI art. 719 N° Lexbase : L2557HNZ).
L'administration fiscale ne l'a pas entendu ainsi : elle a remis en cause l'assujettissement de la cession des droits de possession industrielle et de la marque au droit fixe en notifiant un redressement au titre des droits proportionnels d'enregistrement.
Au contraire, la société requérante estimait que les droits proportionnels d'enregistrement ne pouvaient être applicables qu'aux seuls droits de possession industrielle cédés en même temps que le fonds de commerce dont ils dépendaient ou, s'agissant des marques, lorsque la clientèle qui leur était attachée était également transmise au cessionnaire. Or, si la société requérante, la société Bongrain, a bien acquis la marque "Boursault" et les droits de possession industrielle au moyen de deux contrats, la clientèle attachée à la marque et les éléments nécessaires à l'exploitation ont été acquis par une société tierce, la SAS Bongrain Gérard, au moyen d'une troisième convention.
Précisons qu'il existe une distinction à opérer entre la cession d'une marque de fabrique ou de commerce non exploitée (6) ou exploitée : cette dernière relève alors des droits d'enregistrement proportionnels de l'article 719 du CGI (7). Mais il a été jugé, à l'orée des années 90, que la cession d'une marque (de fromage...) ne pouvait relever du champ d'application de l'article 719 du CGI dès lors que le cédant n'était titulaire d'aucune clientèle attachée à ladite marque (Cass. com., 30 octobre 1989, n° 88-13.824, Directeur général des Impôts c/ Société des Fromageries Lutin Sofrol N° Lexbase : A9749AYQ). Il en est de même quant à la cession d'autorisations de mise sur le marché et de visas d'une spécialité pharmaceutique qui ne pouvait relever des dispositions de l'article 719 du CGI, dès lors qu'il n'y avait pas de clientèle attachée aux éléments cédés (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 25 mai 2007, n° 05/03183, SAS Rambaxy Pharmacie Génériques N° Lexbase : A1003DXG).
En réponse, le raisonnement de la Cour de cassation s'appuie à la fois sur la doctrine administrative et sur le droit de la propriété industrielle.
D'une part, la Cour de cassation reprend à la lettre la doctrine administrative précisant que le droit fixe n'est pas applicable "lorsque la marque est cédée en même temps que le fonds qui l'exploite, elle constitue [alors] un élément du fonds de commerce et supporte avec l'ensemble des autres éléments, le droit de mutation applicable aux cessions de fonds de commerce" (8).
D'autre part, la Cour régulatrice retient que la marque a fait l'objet d'une exploitation antérieure par le cédant : bénéficiant ainsi "d'une renommée et d'une notoriété certaines", qualifications découlant du droit de la propriété industrielle, une clientèle propre lui était nécessairement attachée.
En effet, la notoriété signifie que la marque est connue d'une large fraction du public (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 15 décembre 1992, Société de droit italien Guccio Gucci c/ Guccio Gucci et autre : RJDA mars 1993 n° 272) car, par essence, la marque notoire induit nécessairement une exploitation auprès d'une clientèle. Et l'élément essentiel caractérisant le fonds de commerce (9) est... la clientèle (10) : sans elle, il n'y a point de fonds de commerce (dans ce sens : E. du Pontavice et J. Dupichot, Traité de droit commercial, Tome premier, Montchrestien, 4ème édition, 1988, p. 551 (11) ; comp. : L. Vogel, Traité de droit commercial, M. Germain (dir.), LGDJ, Tome 1 volume 1, 2002, p. 329 (12) ; A. Reygrobellet, Fonds de commerce, Dalloz Action, 2005-2006, § 12.13 (13)).
Par conséquent, la cession litigieuse relevait bien du champ d'application de l'article 719 du CGI dès lors que la marque était le support d'une clientèle.
La Cour de cassation écarte, également, l'argumentation relative à l'existence de plusieurs conventions conclues par différentes parties, dès lors qu'il s'agissait d'une mutation occulte du fonds de commerce (comp. : CA Paris, 1ère ch., sect. B, 3 octobre 2002, n° 008972, Dr. fisc. 2003 comm. 170 : "l'opération réalisée par les parties a [...] revêtu un caractère global permettant d'estimer que les différentes cessions intervenues concomitamment étaient indivisibles et a caractérisé une mutation à titre onéreux de fonds de commerce avec transfert effectif de clientèle" justifiant, en l'espèce, l'assujettissement au droit proportionnel de l'article 719 du CGI ; v. également l'hypothèse de cessions successives séparées dans le temps analysées comme une seule opération qualifiée de mutation occulte : Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-19.911, M. Jean-Pierre Chauvière c/ M. Le Directeur général des Impôts N° Lexbase : A6655BL3).
Sur le plan procédural, l'abus de droit rampant ne pouvait être soulevé par le contribuable (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L5565G4U ; CE Contentieux, 21 juillet 1989, n° 59970, Ministre du budget c/ Bendjador N° Lexbase : A0784AQ4), l'administration fiscale n'invoquant aucune dissimulation (Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-17.843, F-D N° Lexbase : A2976DRN ; comp. : cassation pour refus d'application de l'article L. 64 du LPF à une mutation secrète de fonds de commerce "déguisé" sous forme de contrat de concession de licence : Cass. com., 9 juin 2004, n° 01-11.964, Société Prominox (14) c/ Directeur général des Impôts, F-P+B N° Lexbase : A6061DCH).
Rendons grâce à l'un des fleurons de la fromagerie industrielle française de nous avoir offert une nouvelle illustration du caractère de superposition du droit fiscal puisque la qualification de marque notoire ou renommée, qualification de droit privé relevant du droit des signes distinctifs, a déterminé le sens de la présente solution rendue par la Cour de cassation.
(1) "[En Allemagne,] cette définition de l'identité économique de l'entreprise, introduite en 1990, a donné lieu à un vaste contentieux, en raison des difficultés d'interprétation des critères légaux. La disposition risque même d'être considérée comme contraire à la Constitution, une question préjudicielle étant posée par la Cour fédérale des finances à la Cour constitutionnelle fédérale".
(2) D. adm. 4 D-1542 n° 13 à 16, 26 novembre 1996.
(3) Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, art. 89 (N° Lexbase : L6348DM3).
(4) "La pratique a mis en oeuvre, à coté des droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques de fabrique, etc.) des droits de possession industrielle' qui concernent des éléments brevetables ou non, maintenus secrets, tels que savoir-faire ou manière de faire (know-how), secrets de fabrication, tours de main, etc.. Les droits en cause sont généralement représentés par des cahiers-journaux, rapports d'essai, plans d'appareillage, schémas de fabrication, dessins industriels, etc., qui peuvent être insérés dans des plis cachetés (enveloppes Soleau) et déposés à l'Institut national de la propriété industrielle. Les titulaires des droits sont ainsi en mesure d'établir leur priorité de connaissance ou d'utilisation des procédés, ce qui leur permet de continuer à les exercer personnellement malgré une prise de brevet. Les droits de possession industrielle ne bénéficient pas de la protection juridique attachée aux brevets d'invention et ils confèrent à leurs détenteurs des droits moins étendus que ceux qui appartiennent aux brevetés, notamment quant aux possibilités de cession ou de concession. Ils constituent, néanmoins, des droits incorporels mobiliers s'apparentant étroitement, par leur nature aux brevets d'invention proprement dits" : D. adm. 7 D-2613 n° 1 et 2, 15 juin 2000.
(5) A compter du 1er janvier 2006, le montant du droit fixe visé à l'article 731 du CGI est de 125 euros.
(6) La cession d'une marque non exploitée "donne lieu au paiement de la TVA au vu de la déclaration de taxes sur le chiffre d'affaires du cédant déposée dans les conditions habituelles. Cette règle ne s'oppose pas cependant à la perception d'un droit fixe d'enregistrement (cas des actes sous seing privé présentés volontairement à la formalité ou des actes notariés)" : D. adm. 7 D-2612 n° 4, 15 juin 2000.
(7) A l'exclusion de la TVA : D. adm. 7 D-2612 n° 2, 15 juin 2000.
(8) D. adm. 7 D-2612 n° 3, 15 juin 2000.
(9) La notion de fonds de commerce apparaît pour la première fois dans notre législation dans la loi fiscale du 28 février 1872 : L. Vogel, Traité de droit commercial, M. Germain (dir.), LGDJ, Tome 1 volume 1, 2002, p. 326.
(10) Pour une illustration en matière de mutation secrète et déguisée de fonds de commerce, soulevée par l'administration fiscale, mais ne pouvant relever des droits proportionnels d'enregistrement (CGI, art. 719) en l'absence, imposée par les clauses du bail conclu par les parties, d'une clientèle attachée au fonds de commerce d'une entreprise exploitée dans un centre commercial : "Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ne constitue pas un fonds de commerce un établissement sans clientèle propre, le tribunal a violé l'article [1er de la loi du 17 mars 1909]" : Cass. com., 16 janvier 1990, n° 87-20.156, Société Bijouterie Horlogerie Garde c/ M. le Directeur Général des Impôts (N° Lexbase : A9481CTC).
(11) "La clientèle est une donnée de fait laquelle consiste, pour le commerçant, dans la possibilité d'attirer et d'exploiter un certain nombre de clients. C'est l'élément nécessaire du fonds de commerce et il n'y a pas de fonds sans clientèle" [nous soulignons].
(12) "Beaucoup d'auteurs considèrent la clientèle comme un des éléments du fonds de commerce. L'erreur nous paraît certaine. Le fonds n'est pas autre chose que le droit à une clientèle. S'il n'y avait pas de clientèle, il n'y aurait pas de fonds de commerce".
(13) "L'analyse doctrinale classique et la jurisprudence dominante voient, dans la clientèle, l'élément essentiel du fonds de commerce [...]. En réaction, la majorité de la doctrine contemporaine s'accorde pour considérer que la clientèle n'est pas un élément du fonds : elle n'en serait qu'une qualité. De grands commercialistes en ont tiré la conséquence que le fonds de commerce s'analyse comme une propriété incorporelle consistant dans le droit à la clientèle qui est attachée au fonds par les éléments servant à l'exploitation'. [...] La portée pratique de la controverse apparaît toutefois fort limitée. En effet, les partisans de l'une et l'autre des deux thèses en présence clientèle comme résultante ou comme élément privilégié s'accordent pour affirmer l'importance décisive de la clientèle : l'existence du fonds étant liée à l'existence de la clientèle. [...] Au-delà, on peut même se demander si le débat a véritablement un sens, dès lors qu'on admet que la notion vise non pas un ensemble de personnes, plus ou moins identifiables, mais une potentialité de contrats futurs et renouvelés".
(14) Le commentaire anonyme à la RJF précise un point important : "Le redressement de l'espèce était donc différent de ceux dans lesquels l'administration qualifie un acte ou un groupe d'actes selon leur teneur exacte, mais apparente, sans faire appel à la notion de dissimulation. On en a maints exemples en matière de cession occulte de fonds de commerce [Cass. com., 16 juin 1998, n° 96-19.101, M. Roland Tarance c/ M. le Directeur général des Impôts, Ministère de l'Economie et des Finances N° Lexbase : A2690CU8]. Il suffit alors d'établir que les actes réalisent la cession de tous les éléments qui constituent l'universalité mobilière" (RJF novembre 2004, n° 1202).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:305615