La lettre juridique n°270 du 26 juillet 2007 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] L'occupant d'un local commercial peut se voir accorder des délais d'expulsion

Réf. : Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.601, Société Prodim, FS-P+B (N° Lexbase : A0825DXT)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Le juge de l'exécution tient des articles L. 613-1 (N° Lexbase : L7669ABN) et L. 613-2 (N° Lexbase : L7670ABP) du Code de la construction et de l'habitation et de l'article 8 du décret du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L9125AG3) le pouvoir d'accorder un délai de grâce à l'occupant d'un local à usage commercial. Tel est l'enseignement inédit d'un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2007. En l'espèce, la résiliation d'un contrat de location-gérance de fonds de commerce avait été judiciairement prononcée et l'expulsion des locataires-gérants ordonnée. Ces derniers avaient sollicité d'un juge de l'exécution des délais pour quitter les lieux. Leur demande ayant été accueillie, le loueur s'est pourvu en cassation, amenant la Haute juridiction à trancher, à notre connaissance pour la première fois, la question controversée de savoir si l'occupant d'un local commercial dont l'expulsion a été judiciairement ordonnée peut se voir accorder des délais pour quitter les lieux.

Délais de grâce et compétence

L'article 510 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L5005GUW) contient des dispositions procédurales relatives à l'octroi des délais de grâce.

Aux termes de ce texte, le délai de grâce ne peut être accordé que par la décision dont il est destiné à différer l'exécution. Il prévoit, également, qu'en cas d'urgence, la même faculté appartient au juge des référés. Enfin, il confère au juge de l'exécution la compétence pour accorder de tels délais après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie.

Cet article est d'interprétation stricte et le premier président de la cour d'appel, saisi, notamment, d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire (NCPC, art. 524 N° Lexbase : L4949GUT), ne saurait accorder un délai de grâce faute de texte lui reconnaissant cette compétence (Cass. civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-21.300, Banque commerciale pour le marché de l'entreprise (BCME), FS-P+B N° Lexbase : A3123DR4).

L'article 8 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 dispose, en outre, que juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. Il lui accorde, cependant, la compétence pour accorder un délai de grâce après signification du commandement ou de l'acte de saisie.

Encore faut-il, ces règles de compétence exposées, qu'un texte spécial octroie au juge compétent la possibilité d'accorder un délai de grâce. En matière de bail commercial, plusieurs délais de grâce peuvent être accordés.

Délais de paiement

Tout d'abord, l'article 1244 du Code civil (N° Lexbase : L1357ABU) dispose qu'un débiteur ne peut forcer un créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible.

Toutefois, l'article 1244-1, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) confère au juge la faculté de reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années.

Un débat s'est instauré sur les obligations susceptibles de faire l'objet, aux termes de ces dispositions, d'un délai de grâce. En effet, en visant la faculté de reporter ou échelonner le "paiement des sommes dues", elles semblent bien ne s'appliquer qu'aux obligations tendant au paiement d'une somme d'argent (voir, cependant, CA Paris, 28 novembre 1990, RTD Civ 1991, p. 736, obs. J. Mestre).

Il est, ainsi, régulièrement jugé par la cour d'appel de Paris que des délais pour quitter les lieux dont un occupant a été expulsé ne sauraient être accordés sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil, qui ne concerne que les dettes de somme d'argent (voir, par exemple, CA Paris, 8ème ch., sect. B, 6 juin 2002, n° 2002/01364, Soyer c/ Laloum N° Lexbase : A9888AZA et CA Paris, 8ème ch., sect. B, 6 juillet 2006, n° 05/23531, SARL Supermarché Luxe c/ Belloni N° Lexbase : A4343DRB).

Suspension des effets de la clause résolutoire et délais d'exécution

Cependant, en matière de bail commercial, le juge dispose de pouvoirs spécifiques plus étendus lorsqu'une clause résolutoire est mise en oeuvre.

L'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) dispose, en effet, que "les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge".

En vertu de ce texte, à la condition qu'ait été délivré un commandement visant la clause résolutoire, le juge peut octroyer des délais à un preneur (qui le demande) pour exécuter l'obligation dont le manquement lui est reproché et suspendre les effets de la clause résolutoire à la condition de subordonner cette suspension au respect des délais accordés (Cass. civ. 3, 9 mars 2005, n° 02-13.390, Société civile immobilière (SCI) Florence c/ M. Vincent Aussel, FS-P+B N° Lexbase : A2466DHS).

Avant sa modification par la loi n° 89-1008, du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L8129AIW), l'article L. 145-41 du Code de commerce (anc. article 25 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 N° Lexbase : L4640E9Q) n'était applicable qu'au défaut de paiement des loyers aux termes convenus. Depuis cette modification, ses dispositions sont applicables, quelles que soient les manquements contractuels concernés (par exemple, infraction à la destination contractuelle, travaux non autorisés, etc.).

Un juge pourra, en conséquence, accorder à un preneur, auquel un commandement visant la clause résolutoire a été délivré, un délai pour exécuter une obligation autre que celle tenant au paiement d'une somme d'argent (voir, par exemple, pour exécuter l'obligation stipulée au bail de tenir le commerce constamment ouvert et achalandé : CA Paris, 16ème ch., sect. B, 3 mai 2007, n° 05/21611, SARL Aljane et Cie c/ SCI Milord N° Lexbase : A3233DWN).

Ces dispositions ne permettent pas, toutefois, à un juge d'accorder au locataire expulsé un délai de grâce pour quitter les lieux puisqu'elles ne concernent que des obligations contractuelles.

Délais de grâce pour quitter les lieux

Aux termes de l'article L. 613-1 du Code de la construction et de l'habitation, l'occupant d'un local à usage d'habitation ou professionnel dont l'expulsion aura été judiciairement ordonnée peut se voir accorder des délais renouvelables n'excédant pas une année, chaque fois que son relogement ne pourra avoir lieu dans des conditions normales.

Ce texte contient également des dispositions relatives au juge compétent. Il précise, en effet, que ces délais peuvent être accordés par le juge qui ordonne l'expulsion, par le juge des référés ou par le juge de l'exécution. Il semble qu'il y ait lieu d'appliquer, pour déterminer le juge compétent, les dispositions générales de l'article 510 du Nouveau Code de procédure civile. La Cour de cassation a d'ailleurs jugé, mais sur le seul fondement des articles L. 613-1 et suivants du Code de la construction et de l'habitation, qu'à compter de la signification du commandement d'avoir à libérer les locaux, toute demande de délais formée en application de ces articles doit être portée devant le juge de l'exécution (Cass. civ. 2, 18 septembre 2003, n° 01-16.019, Emile c/ Société Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP), FS-P+B N° Lexbase : A5353C97).

L'article L. 613-2 du Code de la construction et de l'habitation précise que le délai de grâce ne peut être inférieur à trois mois ni supérieur à trois ans. Toujours selon ce texte, pour sa fixation, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant (âge, état de santé, situation de famille ou de fortune), des circonstances atmosphériques ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement.

La question s'est rapidement posée de la faculté, pour l'occupant d'un local commercial, de pouvoir invoquer le bénéfice de ces dispositions. En effet, l'article L. 613-1 du Code de la construction et de l'habitation vise les "occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel". Le caractère professionnel d'une activité (par exemple, celle développée par les professions libérales) est souvent opposé au caractère commercial, notamment, lorsqu'il s'agit de déterminer le type de statut locatif applicable au bail portant sur les locaux dans lesquels est exercée une activité économique : bail professionnel (loi n° 86-1290, du 23 décembre 1986, article 57 A N° Lexbase : L5580AH7) ou bail commercial (C. com., art. L. 145-1 et suiv. N° Lexbase : L5729AIZ).

Il pouvait donc être soutenu qu'en visant les locaux professionnels, le législateur avait entendu exclure les locaux commerciaux. Certes, cette disparité de régime se justifiait assez mal.

Les juges du fond restaient divisés, certains refusant d'appliquer l'article L. 613-1 du Code de la construction et de l'habitation à l'occupant d'un local commercial (CA Paris, 8ème ch., sect. B, 6 juillet 2006, n° 05/23531, SARL Supermarché Luxe c/ Belloni, précité), d'autres, plus rarement, l'en faisant bénéficier.

Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation tranche en faveur de l'applicabilité de l'article L. 613-1 du Code de la construction et de l'habitation à l'occupant d'un local commercial.

En l'espèce, l'occupant était un locataire-gérant et, bien qu'il faille distinguer la location-gérance (bail dont l'objet est un fonds de commerce ; sur ce point, voir, dans le Guide Baux commerciaux, La distinction entre le contrat de bail commercial et la location-gérance N° Lexbase : E3720ATX) et le bail commercial (bail dont l'objet est un immeuble), la solution pourrait être parfaitement invoquée par le preneur expulsé de locaux à usage commercial.

La Cour de cassation affirme, en effet, de manière très claire que "le juge de l'exécution tient des articles L. 613-1 et L. 613-2 du Code de la construction et de l'habitation et de l'article 8 du décret du 31 juillet 1992 le pouvoir d'accorder un délai de grâce à l'occupant d'un local à usage commercial", peu important le titre en vertu duquel l'occupant a pu initialement occuper le local commercial.

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