La lettre juridique n°270 du 26 juillet 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La Chambre commerciale de la Cour de cassation précise le rôle de l'exigence de bonne foi en matière contractuelle

Réf. : Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, M. Gérard Fromont, dit Gérard Louvin, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2234DXZ)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Pendant longtemps, et contrairement d'ailleurs à certains droits étrangers, la bonne foi contractuelle ne paraissait avoir qu'une portée assez limitée en droit français. Les choses ont, cependant, bien changé, la bonne foi connaissant, à l'époque contemporaine, un regain d'intérêt assez considérable, l'attention semblant se concentrer sur le comportement du contractant (1). Encore faut-il savoir dans quelle mesure la vigueur de cette bonne foi, que la doctrine décrit comme "très exigeante" (2), sinon "franchement conquérante" (3), en tout cas en "expansion" (4), est admissible et compatible avec la règle élémentaire et indispensable de la vigueur contractuelle, en l'occurrence la force obligatoire des conventions. Un important arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 10 juillet dernier, permet d'y revenir. En l'espèce, des actionnaires d'une société exploitant une discothèque avaient cédé leur participation au président du conseil d'administration de cette société, déjà titulaire d'un certain nombre de titres. Le contrat prévoyait, d'une part, un supplément de prix qui serait dû sous certaines conditions qui se sont d'ailleurs réalisées et, d'autre part, une garantie de passif due par les cédants au cessionnaire, au prorata de la participation cédée, à raison d'événements à caractère fiscal dont le fait générateur serait antérieur à la cession. Or, précisément, la société ayant fait l'objet d'un redressement fiscal au titre de l'exercice de l'année au terme de laquelle la cession était intervenue, les cédants ont réclamé au cessionnaire le paiement du complément de prix, tandis que ce dernier, reconventionnellement, a demandé à ce que les cédants soient condamnés à lui payer une certaine somme au titre de la garantie de passif. Les premiers juges, pour rejeter la demande du cessionnaire, avaient fait valoir que celui-ci ne pouvait, sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et principal actionnaire de la société, il avait exposé la société au risque, qui s'était réalisé, du redressement fiscal ouvrant droit à garantie. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1134, alinéas 1er et 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme, en effet, dans un attendu qui a, sans doute, les allures d'un principe, "qu'en statuant ainsi, alors que le si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé, par fausse application, le second des textes susvisés et, par refus d'application, le premier de ces textes".

A l'évidence, le problème posé à la Cour de cassation tenait à la conciliation entre l'alinéa 1er du Code civil qui dispose, faut-il même le rappeler, que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites" et l'alinéa 3, aux termes duquel "elles [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi".

Autrement dit, il s'agissait de savoir dans quelle mesure le second de ces textes peut venir neutraliser, sinon faire céder le principe de la force obligatoire des contrats. Cette question de hiérarchie entre ces deux séries de dispositions était ici posée à propos de la mise en oeuvre de deux clauses, l'une, clause de complément de prix en vertu de laquelle le cédant a droit à un supplément de prix de la part du cessionnaire en cas d'augmentation de la valeur des titres depuis la cession, et ce pour une cause antérieure à celle-ci, l'autre, clause de garantie de passif, ou peut-être plus exactement de garantie de valeur, en vertu de laquelle, inversement, le cédant s'engage à garantir le cessionnaire de toute augmentation du passif résultant d'événements antérieurs à la cession.

Or, alors que les cédants demandaient à ce que soit mise en oeuvre la première des clauses, le cessionnaire réclamait, reconventionnellement, la mise en oeuvre de la garantie, ce que les juges du fond avaient refusé au motif que le cessionnaire aurait manqué à son obligation d'exécuter la convention de bonne foi.

En clair, étant de mauvaise foi, il n'était plus recevable à invoquer la mise en oeuvre d'une clause du contrat.

La Cour de cassation condamne ce raisonnement et reproche aux juges du fond d'avoir méconnu la loi des parties et, ainsi, l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil. Reprenant, en effet, une distinction parfois utilisée en doctrine entre les simples prérogatives contractuelles et la substance même des droits et obligations du contrat (5), l'arrêt pose nettement en principe que la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet, certes, au juge de sanctionner l'usage déloyal des premières, sans pour autant lui permettre de porter atteinte aux seconds qui constituent le noyau dur, le socle intangible du contrat.

Il en résulte, en l'espèce, que, les conditions de mise en oeuvre de la clause de garantie étant remplies, le créancier devait nécessairement pouvoir l'invoquer et en bénéficier, quand bien même il aurait éventuellement été de mauvaise foi. Ainsi le commande le respect de la force obligatoire du contrat.


(1) Voir not., parmi une littérature très riche, R. Desgorces, La bonne foi dans le droit des contrats, rôle actuel et perspectives, th. Paris II, dir. D. Tallon, 1992 ; A. Bénabent, La bonne foi dans l'exécution du contrat, Rapport français, Trav. Ass. H. Capitant, 1992 ; Ph. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, préf. R. Bout, LGDJ, 2000 ; Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l'exécution des contrats, préf. G. Couturier, LDGJ, 1998 ; B. Fages, Le comportement du contractant, préf. J. Mestre, PUAM, 1997 ; D. Mazeaud, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?, Mél. F. Terré, 1999, p. 603 ; du même auteur, La politique contractuelle de la Cour de cassation, Mél. Ph. Jestaz, 2006, p. 371.
(2) J. Mestre, RTDCiv. 1992, p. 760.
(3) J. Mestre, RTDCiv. 1993, p. 124.
(4) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., n° 764, p. 371.
(5) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, op. cit..

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