Réf. : Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, M. Gérard Fromont, dit Gérard Louvin, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2234DXZ)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
A l'évidence, le problème posé à la Cour de cassation tenait à la conciliation entre l'alinéa 1er du Code civil qui dispose, faut-il même le rappeler, que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites" et l'alinéa 3, aux termes duquel "elles [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi".
Autrement dit, il s'agissait de savoir dans quelle mesure le second de ces textes peut venir neutraliser, sinon faire céder le principe de la force obligatoire des contrats. Cette question de hiérarchie entre ces deux séries de dispositions était ici posée à propos de la mise en oeuvre de deux clauses, l'une, clause de complément de prix en vertu de laquelle le cédant a droit à un supplément de prix de la part du cessionnaire en cas d'augmentation de la valeur des titres depuis la cession, et ce pour une cause antérieure à celle-ci, l'autre, clause de garantie de passif, ou peut-être plus exactement de garantie de valeur, en vertu de laquelle, inversement, le cédant s'engage à garantir le cessionnaire de toute augmentation du passif résultant d'événements antérieurs à la cession.
Or, alors que les cédants demandaient à ce que soit mise en oeuvre la première des clauses, le cessionnaire réclamait, reconventionnellement, la mise en oeuvre de la garantie, ce que les juges du fond avaient refusé au motif que le cessionnaire aurait manqué à son obligation d'exécuter la convention de bonne foi.
En clair, étant de mauvaise foi, il n'était plus recevable à invoquer la mise en oeuvre d'une clause du contrat.
La Cour de cassation condamne ce raisonnement et reproche aux juges du fond d'avoir méconnu la loi des parties et, ainsi, l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil. Reprenant, en effet, une distinction parfois utilisée en doctrine entre les simples prérogatives contractuelles et la substance même des droits et obligations du contrat (5), l'arrêt pose nettement en principe que la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet, certes, au juge de sanctionner l'usage déloyal des premières, sans pour autant lui permettre de porter atteinte aux seconds qui constituent le noyau dur, le socle intangible du contrat.
Il en résulte, en l'espèce, que, les conditions de mise en oeuvre de la clause de garantie étant remplies, le créancier devait nécessairement pouvoir l'invoquer et en bénéficier, quand bien même il aurait éventuellement été de mauvaise foi. Ainsi le commande le respect de la force obligatoire du contrat.
(1) Voir not., parmi une littérature très riche, R. Desgorces, La bonne foi dans le droit des contrats, rôle actuel et perspectives, th. Paris II, dir. D. Tallon, 1992 ; A. Bénabent, La bonne foi dans l'exécution du contrat, Rapport français, Trav. Ass. H. Capitant, 1992 ; Ph. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, préf. R. Bout, LGDJ, 2000 ; Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l'exécution des contrats, préf. G. Couturier, LDGJ, 1998 ; B. Fages, Le comportement du contractant, préf. J. Mestre, PUAM, 1997 ; D. Mazeaud, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?, Mél. F. Terré, 1999, p. 603 ; du même auteur, La politique contractuelle de la Cour de cassation, Mél. Ph. Jestaz, 2006, p. 371.
(2) J. Mestre, RTDCiv. 1992, p. 760.
(3) J. Mestre, RTDCiv. 1993, p. 124.
(4) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Defrénois, 2ème éd., n° 764, p. 371.
(5) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, op. cit..
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