La lettre juridique n°270 du 26 juillet 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Précisions quant aux conditions de versement d'une indemnité de précarité minorée

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-41.765, Entreprise Electropoli production c/ M. Abderrahmane Fieche, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2777DX7)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Un salarié embauché en contrat à durée déterminée (CDD) doit normalement percevoir, à l'échéance du terme, une indemnité égale à 10 % de la rémunération totale brute qui lui est due. Une convention ou un accord collectif peut, cependant, réduire cette indemnité de précarité à 6 %, à condition de prévoir des contreparties à destination des salariés, notamment sous la forme d'un accès privilégié à la formation professionnelle. Dans un important arrêt rendu le 11 juillet dernier, promis à la plus large des publications, la Cour de cassation vient préciser qu'il ne suffit pas que la norme conventionnelle offre de telles contreparties. Il appartient encore à l'employeur de proposer effectivement au salarié concerné un accès à la formation professionnelle. A défaut, c'est l'indemnité légale de 10 % qui doit être versée.



Résumé

Alors même qu'un accord collectif applicable dans l'entreprise fixe à 6 % l'indemnité de précarité due au salarié embauché en contrat à durée déterminée, l'employeur doit lui verser une indemnité égale à 10 % de sa rémunération totale brute dès lors qu'il ne lui a pas effectivement proposé un accès à la formation professionnelle.

1. Les conditions d'attribution de l'indemnité de précarité

Conformément aux prescriptions de l'article L. 122-3-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4598DZC), à l'échéance du terme d'un contrat à durée déterminée, le salarié a droit à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation.

Cette même disposition écarte, cependant, expressément le versement de cette indemnité dite "de précarité" ou encore "de fin de contrat", dans un certain nombre de cas. Il en va, tout d'abord, ainsi, lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente. L'emploi similaire s'entend d'un emploi ne comportant pas de modification substantielle en matière de qualification, d'horaire de travail et de temps de transport (circulaire DRT, n° 92/14, du 29 août 1992, application du régime juridique du contrat de travail à durée déterminée et du travail temporaire N° Lexbase : L7718GTZ). De même, l'indemnité n'est pas due lorsque la relation contractuelle se poursuit sans interruption sous forme d'un contrat à durée indéterminée, sur un même poste ou sur un autre poste, à l'issue du contrat à durée déterminée (1).

Le versement de l'indemnité de précarité est également exclu :
- lorsque le contrat à durée déterminée a été conclu pour pourvoir un emploi saisonnier ou un emploi d'usage, sauf dispositions conventionnelles plus favorables ;
- lorsque le contrat a été conclu dans le cadre de la politique de l'emploi pour assurer un complément de formation, sauf, là encore, dispositions conventionnelles plus favorables (2) ;
- lorsque le contrat a été conclu avec des jeunes pour une période comprise dans leurs vacances scolaires ou universitaires (3) ;
- en cas de rupture anticipée du contrat due à l'initiative du salarié, à sa faute grave ou à un cas de force majeure ;
- en cas de rupture du contrat à durée déterminée au cours de la période d'essai (C. trav., art. L. 122-3-9 N° Lexbase : L5466ACG).

On ajoutera, pour conclure sur ce point, que l'indemnité de précarité, lorsqu'elle a été perçue par le salarié à l'issue du contrat, lui reste acquise nonobstant une requalification ultérieure de ce contrat en contrat à durée indéterminée (v. par ex., Cass. soc., 30 mars 2005, n° 03-42.667, F-P+B N° Lexbase : A4533DHD ; Bull. civ. V, n° 106). La Cour de cassation a, toutefois, précisé, dans une décision ultérieure, que "l'indemnité de précarité qui compense, pour le salarié, la situation dans laquelle il est placé du fait de son contrat à durée déterminée, n'est pas due en cas de requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée" (Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-43.068, FS-P+B N° Lexbase : A3004DRP ; Bull. civ. V, n° 270).

Dans l'espèce rapportée, le salarié ne relevait d'aucun des cas d'exclusion qui viennent d'être évoqués. Il était, dès lors, en droit de prétendre à l'indemnité de précarité, ce qui n'était, au demeurant, nullement contesté par l'employeur. Le problème portait, en réalité, sur le montant de cette indemnité.

2. Le montant de l'indemnité de précarité

Le montant de l'indemnité de fin de contrat est égal à 10 % de la rémunération totale brute due au salarié (4). Précisant, sans nécessité aucune d'ailleurs, qu'une convention ou un accord collectif de travail peut déterminer un taux plus élevé, l'article L. 122-3-4 du Code du travail dispose, en outre, qu'une convention ou un accord collectif de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement (5) peut, également, prévoir de limiter ce versement à hauteur de 6 %.

Une fois n'est pas coutume, le texte lui-même indique les raisons d'une telle possibilité de dérogation in pejus. Il s'agit "d'améliorer la formation professionnelle des salariés sous contrat à durée déterminée". Par suite, et selon un schéma classique en matière d'accord dérogatoire, la loi soumet la réduction de la prime de précarité à la stipulation de contreparties à destination des salariés, "notamment sous la forme d'un accès privilégié à la formation professionnelle" (6).

Ainsi que le relève, en l'espèce, la Cour de cassation, il n'était pas contesté qu'était applicable, dans l'entreprise, l'accord national du 25 février 2003 relatif à la formation professionnelle dans la métallurgie, fixant à 6 % l'indemnité de précarité due aux salariés embauchés par contrat à durée déterminée. La Chambre sociale n'en approuve pas moins les juges du fond pour avoir décidé que l'indemnité de précarité de 10 % était due au salarié, eu égard au fait que l'employeur n'avait jamais prétendu avoir proposé un accès à la formation professionnelle au salarié.

Cette solution présente, à n'en point douter, une importance capitale. Il faut comprendre qu'il ne suffit pas, pour que l'employeur s'affranchisse du versement de l'indemnité de précarité de 10 %, qu'une norme conventionnelle applicable dans l'entreprise fixe à 6 % le montant de cette indemnité, tout en l'assortissant de contreparties en terme d'accès à la formation professionnelle (7). Il est encore nécessaire que l'employeur propose effectivement au salarié le bénéfice de ces actions de formation professionnelle.

Il convient, tout d'abord, de relever que la Cour de cassation ne soumet nullement le versement de l'indemnité de 6 % au fait que le salarié ait effectivement bénéficié des actions de formation prévues par la norme conventionnelle. Il faut, et il suffit, que l'employeur ait proposé l'accès à la formation professionnelle. Le salarié reste, par suite, libre d'accepter ou non la formation proposée. S'il la refuse, l'employeur, qui aura respecté ses obligations, est en droit de lui verser une indemnité de précarité d'un montant de 6 %.

Ensuite, et plus fondamentalement, la Chambre sociale signifie que la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles applicables dans l'entreprise relève de la responsabilité de l'employeur. Par conséquent, on ne saurait admettre, ainsi que le soutenait ce dernier dans son pourvoi, qu'il suffit que l'acte collectif offre les contreparties prévues par la loi pour que les conditions du versement de l'indemnité de 6 % soient remplies. Ces contreparties sont autant d'obligations que la convention collective ou l'accord collectif fait peser sur l'employeur et qu'il lui appartient de respecter, en proposant effectivement au salarié les actions de formation prévues par le texte conventionnel.

Pour être tout à fait complet, et bien que la question apparaisse relativement secondaire, on relèvera, pour finir, que le conseil de prud'hommes saisi du litige avait condamné l'employeur au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice moral, en retenant que le demandeur avait dû se déplacer devant la juridiction prud'homale, ce qui avait engendré des absences chez son employeur. Le jugement est, de ce point de vue, censuré par la Cour de cassation qui, au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), vient affirmer "qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'employeur avait proposé au salarié à titre amiable de lui payer le différentiel entre l'indemnité de précarité à 10 % et l'indemnité de précarité de 6 %, le conseil de prud'hommes n'a pas donné de base légale à sa décision".


(1) La Cour de cassation considère que le contrat à durée indéterminée, proposé avant l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, doit être conclu dans un délai raisonnable postérieurement à celle-ci (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 01-46.877, FS-P+B N° Lexbase : A3413DE7 ; lire les obs. de N. Mingant, Indemnité de précarité et bénéfice immédiat d'un contrat de travail à durée indéterminée, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N4035AB3).
(2) De manière plus générale, une convention ou un accord collectif de travail peut prévoir le versement de l'indemnité de précarité dans tous les cas où celui-ci est exclu par la loi.
(3) Selon la circulaire précitée du 29 août 1992, l'indemnité est, en revanche, due lorsque le jeune vient d'achever sa scolarité ou ses études universitaires, ou lorsque le contrat est conclu pour une période excédant celle des vacances. Relevons que, faute de précisions, il reste pour le moins délicat de déterminer ce que recouvre la catégorie des "jeunes" visée par le texte.
(4) On se souvient que, jusqu'à la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 N° Lexbase : L1304AW9), le montant de cette indemnité était égal à 6 % de la rémunération totale brute due au salarié.
(5) On doit à la fameuse loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle et au dialogue social (loi n° 2004-391 N° Lexbase : L1877DY8) d'avoir ainsi ouvert la faculté de prévoir cette réduction aux conventions et accords collectifs d'entreprise ou d'établissement.
(6) Le texte précise que, dans ce cas, la norme conventionnelle "peut prévoir les conditions dans lesquelles ces salariés peuvent suivre, en dehors du temps de travail effectif, une action de développement des compétences telle que définie à l'article L. 932-2 (N° Lexbase : L6946ACA), ainsi qu'un bilan de compétences. Ces actions sont assimilées à des actions de formation ou de bilan de compétences réalisées dans le cadre du plan de formation au titre du sixième alinéa de l'article L. 951-1 (N° Lexbase : L7793HBA) et au titre de l'article L. 952-1 (N° Lexbase : L4676DZ9)".
(7) Il va de soi qu'une convention ou un accord collectif qui fixerait le montant de l'indemnité de précarité à 6 %, sans assortir cette réduction de la moindre contrepartie ou de contreparties réelles, ne serait pas conforme aux prescriptions légales. L'employeur concerné par ce texte serait, par conséquent, tenu de verser une indemnité de 10 %.
Décision

Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-41.765, Entreprise Electropoli production c/ M. Abderrahmane Fieche, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2777DX7)

Cassation partielle sans renvoi (CPH Strasbourg, section industrie, 1er février 2006)

Texte visé : C. trav., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT)

Mots-clefs : contrat à durée déterminée ; indemnité de précarité ; montant.

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