La lettre juridique n°270 du 26 juillet 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La clause de réversion d'usufruit : incidences successorales et effets en cas de divorce

Réf. : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727, Directeur général des impôts c/ Mme Jacqueline Contant, épouse Daurelle, P+B+R+I (N° Lexbase : A5473DWM)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

le 07 Octobre 2010

Un arrêt rendu par la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte le 8 juin 2007, vient de mettre un terme aux divergences jurisprudentielles d'interprétation de la nature juridique de la clause de réversion d'usufruit, fréquemment utilisée dans la pratique notariale pour assurer la protection du conjoint survivant. La clause qui stipule la réserve de l'usufruit au profit des donateurs et du survivant d'entre eux, avec donation éventuelle réciproque, est ainsi analysée en une donation à terme de biens présents. Le droit d'usufruit du bénéficiaire lui est définitivement acquis dès le jour de l'acte, seul l'exercice de ce droit d'usufruit étant différé au décès du donateur. Indépendamment de l'analyse de la Cour de cassation sur laquelle nous allons d'abord nous arrêter, il faut garder à l'esprit un autre effet de cette qualification en droit du divorce, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (loi n° 2006-728, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4) ayant rendu révocables les donations de biens présents entre époux qui ne prennent pas effet au cours du mariage. Par acte notarié du 21 septembre 1992, des époux ont fait donation entre vifs à leurs cinq enfants de la nue-propriété d'un immeuble appartenant en propre au mari et en faisant réserve expresse à leur profit et au profit du survivant d'entre eux, pour en jouir pendant leur vie, sans réduction au décès du prémourant, de l'usufruit du bien donné. Après le décès de l'époux donateur, survenu le 26 mars 1998, ses héritiers ont renoncé à sa succession. L'administration fiscale, estimant que l'épouse avait procédé à certains actes, au nombre desquels elle incluait l'exercice de l'usufruit, rendant cette renonciation inopérante, lui a notifié un redressement de droits de mutation à titre gratuit. Après le rejet de sa réclamation, l'épouse a assigné en justice l'administration afin d'obtenir la décharge des droits réclamés. La cour d'appel a accueilli sa demande en retenant, notamment, que la clause de réversion d'usufruit est une "donation à terme de biens présents, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l'acte".

Sur renvoi du pourvoi par la Chambre commerciale, la Chambre mixte, composée des première, deuxième, troisième chambres civiles et de la Chambre commerciale, confirme l'analyse des juges du fond. Puisque le droit d'usufruit figurait dans le patrimoine du bénéficiaire dès le jour de la donation, elle approuve la cour d'appel d'avoir retenu que l'exercice de ce droit ne manifeste pas la volonté de son bénéficiaire d'accepter la succession du défunt.

Le présent arrêt de la Cour de cassation est l'occasion de revenir sur la qualification juridique longtemps incertaine de la clause de réversibilité d'usufruit, pourtant usuelle dans les donations (1). Techniquement, le donateur consent, dans le même acte, deux donations entre vifs, l'une de la nue-propriété du bien ayant un effet immédiat et l'autre de l'usufruit de ce bien dont l'exercice est reporté au décès du donateur. S'agissant de l'usufruit, l'acte de disposition contient deux clauses : la clause de réserve d'usufruit du donateur à son profit, sa vie durant, et la clause de constitution d'un usufruit successif, généralement au profit de son conjoint survivant (2).

Dans un premier temps, la première chambre civile de la Cour de cassation a qualifié la réversion d'usufruit de donation de biens à venir, jugeant que le donateur disposait de l'usufruit comme d'un élément de sa succession (3). Il en résultait, notamment, le fait que le bénéficiaire de la réversion ne pouvait y renoncer de manière anticipée, c'est-à-dire avant le décès du donateur, en application du principe de la prohibition des pactes sur succession future. Puis, dans un second temps, la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence en déclarant, dans un arrêt du 21 octobre 1997, que "la clause de réversibilité de l'usufruit insérée dans l'acte de donation-partage s'analysait en une donation à terme de bien présent, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l'acte ; seul l'exercice de ce droit d'usufruit s'en trouve différé au décès du donateur" (4). Cette analyse a ultérieurement été reprise par la troisième chambre civile dans un arrêt du 6 novembre 2002 (5). Selon cette interprétation, le donataire de l'usufruit bénéficie donc, dès l'acte de donation, de l'usufruit mais ne peut l'exercer avant la mort du donateur, ce qui justifie la qualification de "donation de bien présent à terme".

De son côté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu une analyse différente de celle de la première chambre civile, considérant qu'"en cas d'usufruit réversible au décès du premier bénéficiaire sur la tête d'un second, le deuxième usufruit est soumis à la condition suspensive de la survie du second bénéficiaire" (6). La Chambre commerciale a donc vu dans la réversion d'usufruit non pas un terme, mais une condition suspensive dans la mesure où la survie du second bénéficiaire au premier constitue un événement dont la réalisation est nécessairement incertaine.

C'est précisément ce dernier argument qu'a repris, en l'espèce, le directeur général des impôts, auteur du pourvoi renvoyé devant la Chambre mixte. Or, cette dernière a préféré ne pas évoquer la qualification de donation sous condition suspensive de biens à venir pour s'en tenir à celle de donation à terme de biens présents pour les mêmes raisons que celles déjà évoquées par la cour d'appel.

Hormis ses incidences successorales, une telle qualification produit des effets lors de la dissolution du lien matrimonial par divorce, notamment sur la question du caractère révocable ou non de la réversion d'usufruit. Or, cette dernière, comme toutes les libéralités conjugales, a subi le flux des réformes intervenues successivement en 2004 et 2006.

La loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, relative au divorce (N° Lexbase : L2150DYB), a, tout d'abord, posé le principe de l'irrévocabilité des donations de biens présents entre époux à l'article 1096 du Code civil (N° Lexbase : L2785DZ8) (7). En raison de sa qualification de donation de bien présent à terme, la réversion d'usufruit est alors devenue irrévocable ; irrévocabilité par ailleurs confirmée par le premier alinéa de l'article 265 du Code civil (N° Lexbase : L2830DZT) disposant que le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents entre époux quelle que soit leur forme. Cette nouvelle irrévocabilité pouvait légitimement inquiéter dans la mesure où la réversion d'usufruit n'a pas, en pratique, pour vocation d'assurer la protection d'un conjoint avec lequel le donateur est divorcé, alors même que la séparation s'est faite dans les meilleures conditions.

Sur les propositions du notariat, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme du droit des successions et des libéralités, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, est revenue sur la modification apportée en 2004 à l'article 1096 du Code civil (N° Lexbase : L0263HPG) (8). En dépit d'une certaine maladresse rédactionnelle (9), la loi du 23 juin 2006 limite, désormais, l'irrévocabilité des donations de bien présent entre époux uniquement à celles qui prennent effet au cours du mariage (10). La réversion d'usufruit, en tant que donation de bien présent qui prend effet à la dissolution du mariage par décès, est de ce fait révocable ad nutum (11).

Pour éviter une pluralité de régimes applicables, la loi du 23 juin 2006 dote, également, l'article 1096 d'"un caractère interprétatif pour l'application de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004" (12), ce qui conduit à lui conférer un effet rétroactif (13). Autrement dit, toutes les réversions d'usufruit consenties avant le 1er janvier 2005, date d'entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004, sont révocables ad nutum. S'agissant des donations de biens présents qui ne prennent pas effet au cours du mariage, consenties entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2007, elles sont également librement révocables, sauf clause contraire (14).

Le donateur qui stipule réversible au profit de son conjoint l'usufruit qu'il s'est réservé sur le bien donné peut donc, au moment de la séparation, révoquer librement cette clause. Toutefois, afin de remédier à la négligence de celui qui n'aurait pas révoqué la réversion d'usufruit, certains auteurs préconisent d'intégrer dans l'acte de donation une "clause particulière de non-divorce" (15). Une telle clause présenterait ainsi l'avantage de révoquer automatiquement la réversion d'usufruit en cas de survenance de l'un des éléments visés (prononcé d'un divorce, d'une séparation de corps ou encore instance en divorce ou en séparation de corps). La Cour de cassation a, d'ores et déjà, validé cette clause incluse dans une donation de biens à venir : "aucune disposition légale n'interdit à l'époux qui consent une donation à son conjoint pendant le mariage d'assortir celle-ci d'une condition dont l'inexécution entraînera la révocation ; la stipulation d'une telle condition dans une donation entre époux ne fait nullement obstacle à la libre révocabilité de celle-ci, laquelle peut intervenir, de façon discrétionnaire, à tout moment" .


(1) V. sur la clause de réversibilité d'usufruit : M. Grimaldi, Les donations à terme, in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, spéc. p. 424 et s..
(2) Instruction fiscale BOI 10 D-3-05 n° 190 du 17 novembre 2005 (N° Lexbase : X4403ADG). Par exemple, un père consent à ses enfants une donation de biens en nue-propriété et se réserve l'usufruit. Il stipule à cette occasion que l'usufruit qu'il se réserve sa vie durant est réversible, à son décès, au profit de son conjoint survivant.
(3) Cass. civ. 1, 20 avril 1983, n° 82-10.848 (N° Lexbase : A2605CIC), Defrénois 1985, art. 33609, p. 1220, note M. Grimaldi.
(4) Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19.759, Mme Bonnaud c/ Mme Sebire et autres (N° Lexbase : A0717ACK), JCP éd. G, 1997, II, 22969, note I. Harel-Dutirou. V. également Cass. civ. 1, 3 octobre 2000, n° 98-21.969, Mlle Edith Brun et autres c/ M. Claude Brun (N° Lexbase : A3762AUU), Dr. et pat. Hebdo, 22 novembre 2000, n° 358.
(5) Cass. civ. 3, 6 novembre 2002, n° 01-00.681, M. Jean-Claude Hyvernaud c/ Banque Tarneaud, FS-P+B (N° Lexbase : A6745A39), JCP éd. N, 2003, 1448, note M. Dagot.
(6) Cass. com., 2 décembre 1997, n° 96-10.072, Mme Sereys de Rothschild (N° Lexbase : A2161ACZ), D. 1998, p. 263, note G. Tixier.
(7) L'article 1096 du Code civil disposait alors : "La donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage sera toujours révocable.
La donation de biens présents faite entre époux ne sera révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958
[révocation pour cause d'inexécution des conditions et pour cause d'ingratitude].
Les donations faites entre époux de biens présents ou de biens à venir ne sont pas révoquées par la survenance d'enfants
".
(8) V. pour une analyse détaillée de ce texte : A. Delfosse et J.-F. Peniguel, La réforme des successions et des libéralités, Litec, 2006, p. 311 et s..
(9) L'article 1096 du Code civil dispose désormais que "La donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage est toujours révocable. La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958. Les donations faites entre époux de biens présents ou de biens à venir ne sont pas révoquées par la survenance d'enfants".
(10) Rapp. AN n° 2850, p. 301 : "La Commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que l'irrévocabilité des donations de biens présents entre époux, issue de la loi de 2004 réformant le divorce, ne s'applique qu'aux donations qui prennent effet au cours du mariage, et non à celles qui prennent effet après le décès du conjoint".
(11) A. Delfosse et J.-F. Peniguel, préc., p. 313.
(12) Loi n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 47, III.
(13) Rapp. Sénat, n° 343, p. 359 : "L'Assemblée nationale a [...] précisé le caractère interprétatif de cette disposition. Cette précision paraît nécessaire du fait de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui subordonne désormais l'application d'une loi interprétative aux instances en cours à l'existence d'impérieux motifs d'intérêt général. Elle ne peut donc rétroagir que si le législateur a exprimé, dans le texte même de la loi ou dans les travaux préparatoires, ces motifs impérieux justifiant une dérogation au principe de non-rétroactivité. Rappelons en outre que cela ne vise que les donations qui prennent effet au cours du mariage, en vertu de la modification apportée à l'article 1096 du Code civil ".
(14) Loi n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 46.
(15) J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, Volonté et ordre public dans le nouveau divorce : un divorce entré dans le champ contractuel ?, Defrénois 2005, art. 38115, p.357 ; Ph. Delmas Saint-Hilaire, La réversion d'usufruit entre époux à nouveau révocable ad nutum !, RJPF-2007-5/12.
(16) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-14.135, Mme Pascaline Garel, veuve Bebin c/ Mme Myriam Bebin, FS-P+B (N° Lexbase : A0330DM8), JCP éd. N, 2006, 1168, note Ph. Simler.

* Sur cet arrêt, lire également D. Faucher, Analyse de la clause de réversibilité d'usufruit et conséquences fiscales, Lexbase Hebdo n° 265 du 21 juin 2007 - édition fiscale (N° Lexbase : N5681BBZ).

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