Réf. : Projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat
Lecture: 9 min
N9574BB9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Le projet de loi entend concerner tous les types d'heures supplémentaires, qu'il s'agisse des heures supplémentaires à proprement parler, mais aussi des heures dites "complémentaires", concernant les contrats de travail à temps partiel, des heures ou des jours de travail effectuées en sus du volume convenu pour les salariés soumis à une convention de forfait ou, encore, des heures supplémentaires effectuées par les agents, titulaires ou non, de la fonction publique.
S'agissant des heures supplémentaires classiques, c'est-à-dire celles qui concernent les contrats de travail à temps plein, sont, tout d'abord, prises en compte les heures excédant la durée légale hebdomadaire de travail fixée à l'article L. 212-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5835AC4), mais, également, les heures de travail effectuées au-delà de la durée annuelle de travail lorsque l'annualisation du temps de travail a fait l'objet d'un accord collectif, en application de l'article L. 212-8 du même code (N° Lexbase : L9574GQN). Grâce au renvoi au premier alinéa de l'article L. 212-5 du Code du travail (N° Lexbase : L9589GQ9), les entreprises soumises à un horaire d'équivalence n'ont pas été oubliées, et les heures de travail effectuées au-delà de cette durée seront, elles aussi, concernées par le texte. Il en va de même pour les entreprises dont la durée hebdomadaire a été fixée par voie collective dans le cadre de la réduction du temps de travail, mais aussi des entreprises qui, en application de l'article L. 212-7-1 (N° Lexbase : L7947AI8), connaissent une répartition de la durée du travail par cycle. Ainsi, le projet prévoit de s'appliquer aux heures effectuées au-delà de ces durées conventionnelles prévues par l'article L. 212-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9575GQP).
Le texte concerne, ensuite, les heures supplémentaires dites "choisies". Il s'agit d'heures de travail effectuées au-delà du contingent d'heures supplémentaires prévu par l'article L. 212-6 du Code du travail (N° Lexbase : L4616DZY) par le salarié qui le souhaite, en accord avec son employeur, et à la condition qu'un accord collectif en prévoie la possibilité.
Il faut relever, également, que le projet de loi n'omet pas les nombreuses dispositions relatives aux heures supplémentaires des salariés agricoles contenues dans le Code rural qui sont, elles aussi, prises en compte.
Le projet s'étend, également, aux heures effectuées par ces salariés qui sont parfois considérés comme "ne comptant pas leurs heures". En effet, les heures effectuées au-delà des prévisions des conventions de forfait, auxquelles sont souvent soumis les cadres en application de l'article L. 212-15-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7755HBT), bénéficieront des exonérations fiscale et sociale. Pour les cadres sous convention de forfait en heures, le simple dépassement du nombre d'heures fixé par la convention suffira à rendre applicables les exonérations. En revanche, pour les cadres soumis à une convention de forfait en jours, l'exonération s'appliquera non pas en fonction d'heures effectuées en sus de la prévision initiale, ce qui n'aurait que peu de sens, mais en fonction des jours de repos auxquels le cadre aura éventuellement renoncés en application du III de l'article L. 212-15-3 du Code du travail. L'idée selon laquelle la renonciation à des jours de repos peut s'analyser comme des heures supplémentaires est d'ailleurs corroborée par le projet lorsqu'il applique les exonérations aux salaires versés aux salariés des entreprises de moins de 20 salariés renonçant à des journées ou des demi-journées de repos en application de l'article 4 de la loi du 31 mars 2005 (loi n° 2005-296, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise N° Lexbase : L1144G8U).
Le projet s'applique encore aux heures complémentaires. Les heures complémentaires, à la différence des heures supplémentaires, concernent les salariés ayant conclu avec leur employeur un contrat de travail à temps partiel. La distinction traditionnellement entretenue entre les deux catégories d'heures excédant la durée du travail initialement prévue semble donc reculer, ce dont il faut se féliciter. D'un point de vue théorique, il ne semble pas y avoir de différence fondamentale entre ces deux types d'heures puisqu'elles excèdent, toutes les deux, la durée à laquelle le salarié pensait être astreint dès le départ de sa relation de travail. En outre, les taux de rémunération supplémentaire et le formalisme différents de ces deux types d'heures instaurent une inégalité entre salariés à temps partiel et salariés à temps complet. En outre, la limitation et le formalisme induits par le régime des heures complémentaires cadre assez mal avec l'objectif des promoteurs de la loi de voir se développer le nombre d'heures au-delà de la durée prévue par les parties ou par la loi.
Le projet s'applique, bien entendu, aux heures supplémentaires effectuées par les assistantes maternelles et par celles effectuées par les salariés de particuliers employeurs.
Enfin, et même si l'application de cette mesure reste suspendue à la parution d'un décret en fixant les modalités, les heures supplémentaires réalisées par les agents des fonctions publiques, titulaires ou non, entreront dans le champ d'application des exonérations.
Le texte prévoit, par un article balai, que "les salaires versés aux autres salariés dont la durée du travail ne relève pas" des dispositions du Code du travail ou du Code rural relatives à la durée du travail feront aussi l'objet d'exonérations. Cette disposition est bienvenue, même si elle met le doigt sur le véritable point faible de la rédaction du projet. Elle est bienvenue puisque, comme il fallait s'y attendre, toutes les heures supplémentaires de tous les salariés ne pouvaient être prises en compte par une liste limitative. Ainsi, par exemple, les dispositions relatives aux heures supplémentaires des marins prévues à l'article 26-1 du Code du travail maritime (N° Lexbase : L7104AC4) ont-elles été omises par le projet. Cependant, on comprend alors mal pourquoi ne pas avoir très nettement simplifié le projet en estimant que le champ d'application de la réforme s'appliquait à tout type d'heures supplémentaires ou complémentaires, de quelque type de salarié que ce soit et dans n'importe quel type d'entreprise ou d'établissement public. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
2. Défiscalisation et exonération de cotisations sociales
S'agissant, tout d'abord, de la défiscalisation, l'article 81 quater inséré, par le projet, au Code général des impôts précise qu'elle concerne toute rémunération versée au titre des différentes heures supplémentaires présentées. Ainsi, elle s'appliquera tant à la rémunération de base de ces heures de travail qu'à leur majoration. Le II de l'article 81 quater prévoit, néanmoins, de limiter les exonérations aux taux de rémunération des heures supplémentaires ou complémentaires prévus par les conventions collectives ou, à défaut, par le Code du travail. Tout supplément de rémunération versé au-delà de ces taux, unilatéralement à l'initiative de l'employeur ou contractuellement, ne serait donc pas concerné par la défiscalisation et l'exonération de cotisations. Il est, cependant, probable qu'une telle précision ne concerne que très peu de salariés, sauf peut-être pour les heures choisies qui peuvent, mieux que d'autres, donner lieu à négociations entre l'employeur et le salarié.
De la même manière, les exonérations "sont applicables sous réserve du respect par l'employeur des dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée du travail". Cette disposition semble sous-entendre que les heures supplémentaires effectuées au mépris des durées maximales quotidiennes ou hebdomadaires de travail n'ouvriraient pas droit à défiscalisation. Pourtant, on peut être étonné d'une telle mesure. En effet, on pénaliserait le salarié en lui supprimant les effets de défiscalisation et d'exonération alors que le responsable de la violation des limites de durée de travail est considéré, par le texte même, comme étant l'employeur. Voilà un bien curieux droit qui sanctionne un autre que celui auteur de la violation de la loi...
Le texte prévoit, encore, comme limite à l'exonération fiscale, l'hypothèse d'heures complémentaires effectuées de manière régulière au sens de l'article L. 212-4-3, alinéa 7 (N° Lexbase : L7888HBR), mais qui n'auraient pas été intégrées définitivement à l'horaire contractuel. On sait, en effet, que cet article permet la modification automatique du contrat de travail à temps partiel lorsque le salarié effectue, en moyenne, sur un cycle de 12 semaines, plus de 2 heures complémentaires par semaine. La durée de travail du contrat se trouve alors automatiquement modifiée, sauf opposition du salarié. C'est contre cette opposition du salarié à la modification de son contrat que le projet entend agir. Le salarié qui refuserait de travailler plus de manière définitive ne devrait pas pouvoir bénéficier des exonérations prévues par le texte. Cela cadre parfaitement avec l'esprit du texte qui souhaite voir les salariés travailler plus.
Le projet se prémunit, enfin, contre toute réduction ultérieure du temps de travail dans les entreprises, ce qui correspond, également, parfaitement bien à l'esprit du texte. Toute heure supplémentaire qui n'aurait pas reçu cette qualification sans un abaissement de la durée de travail après le dépôt du projet de loi ne bénéficiera d'aucune exonération. Il s'agit là, à notre sens, plus de freiner d'éventuelles futures revendications de réduction du temps de travail de la part des syndicats que de se prémunir contre une hypothétique fraude au dispositif prévu.
Le IV de l'article 1er du projet insère deux nouveaux articles L. 241-17 et L. 241-18 au Code de la Sécurité sociale.
Le premier de ces textes reprend, tout d'abord, le champ d'application prévu pour la défiscalisation des heures supplémentaires. Ce seront donc exactement les mêmes heures qui bénéficieront de l'exonération de cotisations sociales salariales. Pour être plus exact, il faudrait parler de réduction de cotisations sociales et non d'exonération. En effet, l'article L. 241-17 nouveau prévoit une simple réduction selon un taux qui sera ultérieurement déterminé par décret.
Afin d'éviter d'aboutir à un montant de cotisations sociales salariales négatif, le texte prévoit encore que la réduction de cotisations "est imputée sur le montant des cotisations salariales de sécurité sociale dues pour chaque salarié concerné au titre de l'ensemble de sa rémunération versée au moment du paiement de cette durée de travail supplémentaire et ne peut dépasser ce montant" et réglemente l'éventuel cumul avec d'autres réductions ou exonérations de cotisations sociales patronales.
Le second texte met en place des exonérations de cotisations sociales patronales d'assurance chômage pour les heures supplémentaires effectuées par le salarié, à l'exception des heures complémentaires qui conservent donc, ici, une spécificité. Le montant de cette exonération sera ultérieurement fixé par décret. Cette exonération s'applique, également, aux heures supplémentaires versées aux salariés soumis à une convention de forfait en jours. Ces réductions de cotisations patronales sont soumises aux mêmes limites que les cotisations salariales afin d'éviter un montant de cotisations sociales négatif.
Dans l'ensemble donc, ce sont surtout les cotisations salariales qui connaîtront les exonérations envisagées, dans l'optique présentée de favoriser le pouvoir d'achat.
3. Dispositions diverses
Par l'effet d'un amendement modifiant le projet initial, l'Assemblée nationale a ajouté un paragraphe VI bis à l'article 1er du projet de loi. Cet article prévoit que le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sont informés par l'employeur de l'utilisation du volume d'heures supplémentaires effectuées par les salariés de l'entreprise ou de l'établissement. Un bilan annuel portant sur l'utilisation du contingent annuel d'heures supplémentaires et de son évolution est transmis à cet effet.
Il s'agit donc là d'un renforcement de l'information des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise à l'égard de l'utilisation des heures supplémentaires dans l'entreprise. En effet, l'article L. 212-6 du Code du travail prévoyait déjà que le comité d'entreprise soit informé du contingent d'heures supplémentaires utilisable dans l'entreprise. Cela devrait être destiné à permettre aux représentants des salariés de veiller sur la bonne utilisation et, surtout, la juste rémunération des heures supplémentaires dans l'entreprise. On sait, en effet, que le paiement des heures supplémentaires est source d'une grande conflictualité devant la juridiction prud'homale.
Il aurait été judicieux, de la part du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale, de réfléchir à un dispositif permettant de lutter efficacement contre la non rémunération des heures supplémentaires dans certaines entreprises. Car, cela paraît logique, pour que la défiscalisation et la réduction des cotisations salariales permettent à ceux qui travaillent plus de gagner plus, encore faut-il, au préalable, que ces heures soient effectivement comptabilisées et payées. L'information accrue des institutions représentatives du personnel constitue, certes, un bon début. L'avenir permettra de savoir si cela s'avère suffisant.
Le projet prévoit que le dispositif entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2007. Il aura donc fallu moins de 6 mois pour passer des promesses électorales au droit positif, ce qui constitue un véritable exploit. Mais, rapidité ne rimant pas forcément avec qualité, le projet prévoit que le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur l'évaluation de l'application du dispositif avant le 31 décembre 2008, soit un peu plus d'un an après son entrée en application. Le rapport aura pour objet de constater l'évolution du nombre d'heures supplémentaires effectuées au niveau national et au niveau des branches, de l'impact du dispositif sur l'économie nationale mais aussi de l'évolution des salaires des salariés concernés. Enfin, le rapport évaluera les conséquences de la réforme pour les employeurs publics.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:289574