Réf. : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727, Directeur général des impôts c/ Mme Jacqueline Contant, épouse Daurelle, P+B+R+I (N° Lexbase : A5473DWM)
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 07 Octobre 2010
1. La vraie nature juridique de la clause de réversion d'usufruit
Il était déjà admis que la clause de réversibilité d'usufruit au profit du survivant, insérée dans une donation de biens communs ou de biens propres, ne constituait pas une donation de biens à venir, mais une donation à terme de biens présents, le terme étant constitué par le décès du donateur, usufruitier en titre. C'est dans un arrêt du 21 octobre 1997 (Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19.759, Mme Bonnaud c/ Mme Sebire et autres N° Lexbase : A0717ACK) que la Cour avait opéré ce revirement, puisque, auparavant, elle qualifiait une telle stipulation de donation de biens à venir. Ce revirement, déjà confirmé en 2002 (Cass. civ. 3, 6 novembre 2002, n° 01-00.681, FS-P+B N° Lexbase : A6745A39) était pleinement justifié au motif que le bénéficiaire ne recueillait pas son droit dans la succession du disposant ; argument qui s'avère déterminant en cas de renonciation à la succession comme dans l'affaire qui était soumise à la Chambre mixte. Le droit d'usufruit du bénéficiaire, en général le conjoint du donateur, lui est définitivement acquis au jour de l'acte dans lequel le donateur se dépouille de la nue-propriété, dans la plupart des cas, au profit de ses enfants. Seul l'exercice de ce droit se trouve différé au jour du décès du donateur, qui constitue, selon la Chambre commerciale de la Cour de cassation, à la fois un terme incertain et suspensif. Ce qui implique le régime fiscal spécifique qui est actuellement retenu par l'administration et le juge statuant sur les litiges en matière fiscale.
2. Régime fiscal de l'usufruit réversible
2.1.Régime fiscal actuel
Même si le droit de l'usufruitier successif s'ouvre au décès du donateur, son bénéficiaire ne le reçoit pas dans le cadre de la succession de celui-ci. Les droits dus sont des droits de donation. En effet, dans la mesure où, en cas d'usufruit successif, la mutation réalisée est bien celle d'un droit définitivement acquis au jour de la donation au bénéficiaire de cet usufruit successif, dont l'exercice se trouve différé au jour du décès de premier usufruitier, il est permis de considérer que le deuxième usufruit est soumis à la condition suspensive de survie de son bénéficiaire. Par suite, les valeurs imposables doivent être déterminées, selon l'article 676 du CGI (N° Lexbase : L7748HLK), non au jour de la donation de l'usufruit successif, mais au jour de la réalisation de la condition suspensive, c'est-à-dire au jour du décès du premier usufruitier, lorsque le second, l'usufruitier successif, est encore en vie (Cass. com., 2 décembre 1997, n° 96-10.072, Mme Sereys de Rothschild N° Lexbase : A2161ACZ). En effet, dès lors qu'il y a condition suspensive, les dispositions de l'article 676 du CGI, selon lesquelles le régime applicable et les valeurs imposables sont déterminés en se plaçant à la date de la réalisation de la condition, s'appliquent. Autrement dit, les droits dus au jour du décès de l'usufruitier en titre, qui avait donné un usufruit successif à son conjoint, sont calculés en retenant la valeur du bien, sur lequel porte l'usufruit, au jour du décès, et l'âge de l'usufruitier dont les droits s'ouvrent est apprécié à cette même date.
En matière de publicité foncière, il en est de même que pour les droits de mutation à titre gratuit. En effet, l'administration admet, lorsque l'usufruit successif porte sur des droits immobiliers, que la publication de la clause de réversibilité de l'usufruit au fichier immobilier est exclusive de toute perception de taxe de publicité foncière (instruction du 17 novembre 2005, BOI 10 D-3-05 N° Lexbase : X4403ADG). Ainsi, le droit étant définitivement acquis au bénéficiaire de l'usufruit successif, le fichier immobilier doit être annoté lors de la publication de l'acte de donation contenant la clause de réversibilité et il n'est pas nécessaire d'exiger la publication d'une attestation notariée au jour du décès du donateur pour constater l'effectivité de la clause. En revanche, s'agissant des salaires du Conservateur, ceux-ci sont perçus immédiatement sur l'évaluation de l'usufruit successif au jour de l'acte de donation en fonction de l'âge du donataire.
2.2.Vers une remise en cause de ce régime ?
La question se pose de savoir si cette analyse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation sera maintenue. En effet, en principe, un arrêt de Chambre mixte tend à résoudre un conflit horizontal, c'est-à-dire un conflit entre différentes chambres. Or, s'agissant d'usufruit successif, la chambre civile l'analysait, déjà, comme une donation à terme et la Chambre commerciale, qui, on le sait, statue en matière fiscale, comme une donation sous condition. On attendra donc avec intérêt la réaction de cette dernière puisqu'une donation à terme est, en principe, immédiatement taxable.
On remarquera que le principe de taxation ne devrait pas être remis en cause par le projet de loi portant sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat qui prévoit, notamment, la suppression des droits de succession au profit du conjoint survivant. En effet, même si les droits dus par le conjoint survivant au titre de l'usufruit successif qui s'ouvre à son profit au jour du décès de son époux sont liquidés dans le cadre de la déclaration de succession, ces droits restent, en principe, des droits de donation. Cependant, le conjoint survivant devrait être autorisé à utiliser alors l'abattement de 76 000 euros, prévu en cas de donation.
3. Absence d'influence de l'ouverture de l'usufruit successif sur une renonciation à succession
Le droit d'usufruit étant définitivement acquis au bénéficiaire de l'usufruit successif dès le jour de l'acte, l'exercice de ce droit, différé au jour du décès du donateur, ne constitue donc pas la manifestation de son bénéficiaire d'accepter la succession. En effet, le litige soumis à la cour portait sur la remise en cause d'une renonciation à succession. L'administration considérait que la veuve, en exerçant l'usufruit successif qui lui avait été précédemment donné, avait ainsi accepté la succession, ce qui remettait en cause sa renonciation antérieure et rendait exigibles des droits de succession.
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