La lettre juridique n°255 du 5 avril 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'inapplicabilité de la convention collective au travailleur indépendant

Réf. : Cass. soc., 21 mars 2007, n° 05-13.341, M. Gérard Brunel, FS-P+B (N° Lexbase : A7385DU3)

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le 07 Octobre 2010


De manière régulière ressurgit chez les auteurs, pour des motivations souvent bien différentes, la volonté de voir s'opérer un véritable rapprochement entre travail salarié et travail indépendant. Après tout, qu'il soit subordonné ou non, il ne s'agit toujours que d'exercer une activité professionnelle, point commun qui devrait permettre la réunion de certains éléments leur étant applicables. Cela ne se fera pas par le biais de la convention collective ! C'est, en substance, ce que précise la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 21 mars 2007. Statuant ainsi sur la question de l'applicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant (1), les juges y apportent une justification qui paraît repousser la voie de la convention collective comme mode d'harmonisation des situations des différents travailleurs (2).


Résumé

Les conventions collectives ayant pour objet de régler les conditions générales de travail et les rapports entre employeurs et salariés, un travailleur indépendant n'employant aucun salarié ne peut y être assujetti.

Décision

Cass. soc., 21 mars 2007, n° 05-13.341, M. Gérard Brunel, FS-P+B (N° Lexbase : A7385DU3)

Cassation (tribunal d'instance de Blois, 15 décembre 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 131-1 (N° Lexbase : L4692DZS) ; C. trav., art. L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN).

Mots-clés : travailleur indépendant ; convention collective ; non-application.

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Faits

1. M. Brunel, expert en automobiles, refuse de verser à l'Apasea (Association paritaire des actions sociales et culturelles des experts en automobiles) une contribution au financement des actions sociales et culturelles et de gestion du paritarisme et des institutions de sa branche d'activité, cotisation rendue obligatoire par la convention collective nationale des cabinets d'experts en automobiles.

2. Enjoint par le tribunal d'instance de Blois de s'acquitter de cette cotisation, il forme opposition à l'ordonnance rendue par les juges qui confirme l'absence d'ambiguïté de la convention collective et l'indifférence quant au statut juridique sous lequel est exercée l'activité de M. Brunel.

M. Brunel se pourvoit alors en cassation.

Solution

1. Cassation sans renvoi.

2. "Que toute convention collective a pour objet de régler les conditions générales de travail et les rapports entre les employeurs et les salariés".

3. "Alors que M. Brunel, travailleur indépendant, n'employait pas de salarié, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. La question de l'applicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant

  • Domaine d'application des conventions collectives

La convention collective, contrat multipartite dont les effets s'étendent, par dérogation, au principe d'effet relatif du contrat au-delà de leurs signataires, n'est pas tout à fait spécifique au droit du travail. S'il s'agit bien de sa branche de prédilection, on la retrouve ici et là dans d'autres matières, sous des formes parfois un peu différentes, comme, par exemple, concernant les baux ruraux (C. rur., art. L. 411-11 N° Lexbase : L0849HP7). Il est donc tentant de considérer que la convention collective puisse être une source de droit dans toute branche.

Cet élargissement du domaine du contrat collectif amène, également, à s'interroger sur l'éventuelle extension du domaine d'application de la convention collective de travail. Peut-elle s'appliquer aux travailleurs non subordonnés ? Les articles L. 131-1 (N° Lexbase : L4692DZS) et L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN) du Code du travail, visés dans l'arrêt commenté, ferment apparemment assez clairement la porte à une telle hypothèse.

Le premier de ces textes, s'il traite du contenu des conventions collectives plus que de leur domaine d'application, fournit, tout de même, des indices précieux pour répondre à la question de l'applicabilité de la convention collective aux indépendants. Ainsi, les conventions régissent les relations entre employeurs et salariés. Par définition, le travailleur indépendant n'a pas la qualité d'employeur puisqu'il n'emploie aucun salarié. Les dispositions de la convention collective ne paraissent donc pas pouvoir lui être applicables.

Le second texte précise, quant à lui, l'articulation entre convention collective et contrat de travail : pour les employeurs assujettis à la convention, elle s'applique aux contrats de travail qu'ils ont conclus, sous réserve que les dispositions de ces contrats ne soient pas plus favorables aux salariés. Si la terminologie d'employeur est à nouveau reprise, il faut insister sur l'importance de l'existence d'un contrat de travail pour que la convention collective puisse s'appliquer. Or, là encore, le travailleur indépendant n'a conclu aucun contrat de travail, que ce soit comme salarié ou comme employeur.

  • Une question inédite

La réponse à la question de l'applicabilité semblant exclue, à rebours, par les textes du Code du travail, le problème ne s'était jamais véritablement posé devant la Cour de cassation. La convention collective des experts en automobiles prévoit une contribution pour les entreprises du secteur à l'Apasea, association elle-même présentée comme étant "destinée en priorité aux personnels, professionnels et membres des cabinets d'expertises en automobiles" (1). Cette contribution était-elle due par les seuls employeurs ou, comme l'ambiguïté des termes utilisés par l'Apasea le laisse penser, par tout cabinet même en l'absence de salarié ?

L'idée est, en elle-même, défendable. Les experts en automobiles, qu'ils travaillent seuls comme indépendants ou en cabinet avec un nombre plus ou moins élevé de salariés, appartiennent tous de facto à la même branche d'activité, à la même branche professionnelle. Or, on sait qu'il est très fréquent que les travailleurs indépendants adhèrent à la branche professionnelle de l'organisation patronale à laquelle leurs activités ressortissent. Si, par exemple, l'indépendant dans cette affaire était adhérent à la branche "expertise en automobiles" du Medef, la confusion quant aux règles applicables pourrait surgir.

Adhérant à une organisation patronale, ils ne sont finalement patrons que d'eux-mêmes. Pourtant, cette organisation patronale a pu être signataire ou adhérente à la convention collective du secteur. Doit-elle, alors, s'appliquer à ce travailleur indépendant puisque les dispositions s'appliquent à l'ensemble des entreprises du secteur ? Tout cela n'irait-il pas dans le sens, souvent réclamé, d'un rapprochement entre travail salarié et travail indépendant ?

  • L'inapplicabilité logique prononcée par la Cour de cassation

La Chambre sociale de la Cour de cassation refuse, fort logiquement, que la convention collective nationale des experts en automobile soit applicable aux experts indépendants, cassant donc le jugement rendu en première instance.

Cette solution nous paraît tout à fait logique. Il ne faut, à notre sens, pas confondre certains concepts. L'entreprise peut parfaitement ne pas comporter de salarié. Mais, pour autant, on ne doit pas assimiler employeurs et entrepreneurs individuels. Seul le premier emploie des salariés, seul celui-ci peut se voir appliquer les dispositions d'une convention collective qui sont, rappelons-le, destinées à encadrer les conditions de travail, d'emploi et de formation de ces travailleurs subordonnés. Il doit, pour cela, être lui-même signataire de la convention, être adhérent à l'organisation patronale l'ayant signée ou, enfin, il faut que la convention ait fait l'objet d'une extension par l'administration.

Le Conseil d'Etat avait précisé, il y a plus de 30 ans, que le droit de conclure des accords collectifs constituait un principe fondamental du droit du travail (CE Contentieux, 21 juillet 1970, n° 72780, Caisse primaire centrale de Sécurité sociale de la région parisienne N° Lexbase : A4559B8D). Cela corrobore l'idée que, pour être assujetti à l'application d'une convention collective de travail, il est nécessaire d'être, au préalable, soumis au droit du travail. L'entrepreneur individuel, sans salarié, n'est à aucun moment soumis au droit du travail, droit des relations de travail subordonné. Sans salarié, pas de droit du travail !

Cet arrêt permet donc de repréciser que la convention collective de travail ne peut se voir appliquer par un entrepreneur sans qu'il ait conclu un ou plusieurs contrats de travail. L'existence de contrats de travail constitue donc le critère principal de l'applicabilité de la convention collective.

2. La justification de l'inapplicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant

  • Le critère d'applicabilité et ses limites

Le critère sous-tendu tant par les visas de l'arrêt que par sa motivation invoquant les relations entre un employeur et ses salariés, est celui de l'existence d'un salariat sous la direction de l'entrepreneur. Autrement dit, la conclusion par l'employeur de contrats de travail est un critère préalable et nécessaire à l'éventuelle application d'une convention collective. Il faudra, bien entendu, être, en outre, adhérent d'une organisation patronale signataire de la convention collective de branche, à moins, bien sûr, que celle-ci ait fait l'objet d'une extension.

Ce critère de l'existence d'un contrat de travail, quoique fort logique, peut, pourtant, dans certaines hypothèses, s'avérer insuffisant. Il est, en effet, des situations dans lesquelles, sans avoir encore conclu de contrat de travail, des futurs employeurs se voient dans l'obligation d'appliquer les dispositions d'une convention collective régissant leur branche professionnelle. Ce sera le cas, par exemple, à chaque fois qu'une convention collective comportera des dispositions relatives à l'embauche des salariés. Ainsi, le texte prévoyant des restrictions à l'égard des méthodes d'embauchage ou celui mettant en place un régime spécifique des tests professionnels préalables à l'embauche devrait être appliqué au travailleur individuel s'apprêtant à conclure un contrat de travail. Bien qu'il n'y ait pas encore de relation entre employeur et salarié, le texte devrait entrer en application.

Ce pourrait être également le cas si une convention collective statuait sur le sort des stagiaires dans l'entreprise. Rien n'empêche un commerçant ou un artisan de faire effectuer un stage à une personne cherchant à acquérir une expérience professionnelle. Si la convention collective de branche prévoit des dispositions à l'égard des stagiaires, et à moins de considérer que la convention de stage soit un contrat de travail, ne faudrait-il pas que cette convention s'applique au travailleur indépendant ? Quoique peu de conventions collectives comportent actuellement de dispositions relatives au statut des stagiaires, il ne s'agit pas là d'un cas d'école puisque l'alinéa 2 de l'article 9 de la loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006, posant un nouvel encadrement des stagiaires (loi n° 2006-396, du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances N° Lexbase : L9534HHL ; et nos obs., Un meilleur statut pour les stagiaires, Lexbase Hebdo n° 210 du 13 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6899AKQ) prévoit expressément que le montant de la gratification impérativement offerte au stagiaire dont le stage excède une durée de 3 mois "peut être fixé par convention de branche ou par accord professionnel étendu". Si le maître de stage n'est pas employeur, s'il n'a pas d'autre "personnel" que le stagiaire, comment ces dispositions pourront-elles être conciliées avec l'arrêt commenté ?

  • Vers un champ élargi des dispositions de la convention collective ?

Reste une question difficile à évacuer : pourquoi, malgré la clarté des textes et la constance de la jurisprudence, le juge d'instance a-t-il tenté de rendre applicable une convention collective de branche à un travailleur indépendant ?

Une hypothèse peut être émise, selon laquelle le travailleur indépendant affilié à une organisation patronale du secteur de l'expertise automobile pourrait, en réalité, bénéficier des avantages de l'Apasea. Association gérant les oeuvres sociales et culturelles, elle propose aux salariés de la branche divers avantages que l'on peut comparer à ceux d'un comité d'entreprise. Mais, le bénéfice de ces avantages pourrait parfaitement découler de l'adhésion à l'organisation patronale et non seulement, au fait d'être salarié d'une entreprise de la branche.

Si l'entrepreneur indépendant peut bénéficier des avantages de cette association, il paraît de prime abord tout à fait normal qu'il y contribue, l'obligation de contribution fût-elle seulement prévue par la convention collective de branche

Mais l'erreur du juge d'instance était, nous semble-t-il, d'assimiler l'adhésion à la branche et l'applicabilité de la convention collective, condition nécessaire mais non suffisante pour être soumis aux dispositions du texte. Si les statuts de l'organisation patronale ne prévoient pas l'obligation de contribution de ses membres à l'Apasea, ils ne peuvent y être tenus par le jeu de la convention de branche puisque celle-ci est réservée aux employeurs.

Tout cela ravive, à n'en pas douter, les débats quant au rapprochement que l'on peut juger nécessaire quoique ambigu entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants. La volonté de faire bénéficier les experts automobiles d'avantages habituellement ouverts aux seuls salariés de la branche peut être légitime. Mais à condition qu'ils contribuent aux organismes délivrant ces avantages. Le message est bien reçu, cela ne pourra pas se faire par le biais de la convention collective !

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Voir le site internet de cette association.

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