Réf. : Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 06-81.273, Jean-Nicolas S., FS-P+F (N° Lexbase : A2276DUT) ; Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 05-87.096, Commune d'Auriol, FS-P+F (N° Lexbase : A2205DU9)
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le 07 Octobre 2010
La question centrale concernait la prescription du délit de concussion. En effet, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pour constater la prescription des faits antérieurs au 22 novembre 1998 et dire n'y avoir lieu à poursuivre, énonçait que "le délit de concussion étant caractérisé par la perception de sommes qu'une personne chargée d'une mission de service public sait ne pas être dues, seules peuvent être poursuivies les perceptions intervenues dans le délai de trois ans précédant le premier acte interruptif de prescription". Dans la mesure où la plainte avec constitution de partie civile de la mairie d'Auriol était intervenue le 22 novembre 2001, les faits antérieurs de plus de trois ans devaient donc être couverts par la prescription. C'est sur ce point qu'intervient la cassation. Selon la Cour de cassation, la chambre de l'instruction, en se prononçant ainsi, a méconnu les articles 8 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2877HIE) et 432-10 du Code pénal, et le principe selon lequel "la prescription en matière de concussion ne commence à courir qu'à compter de la dernière des perceptions de sommes indues lorsque ces perceptions résultent d'opérations indivisibles".
C'est ce même principe qu'elle réaffirme dans le second arrêt (pourvoi n° 06-81.273). Dans cette seconde affaire, les faits étaient assez différents. Le maire de la commune de l'Hôpital était poursuivi pour avoir octroyé gratuitement la jouissance d'un logement de la commune sans délibération du conseil municipal à une personne chargée d'entraîner le club de football local alors que le conseil municipal avait, par une délibération antérieure, fixé, pour ce logement, un loyer mensuel de 1 800 francs (environ 274 euros). La concussion résidait, en l'espèce, dans l'exonération de droits consentis par le maire. On se situait par conséquent sur le terrain de l'alinéa 2 de l'article 432-10 dont l'application est nettement moins fréquente (cf. cependant : Cass. crim., 19 mai 1999, n° 98-82607, Paul V. N° Lexbase : A1417CIC, Bull. crim. 1999, n° 110). Condamné par la cour d'appel de Metz à 3 000 euros d'amende et à 26 068,78 euros de dommages et intérêts, le prévenu arguait pour sa défense, d'une part, que l'exonération de droits n'avait pas été accordée "en violation des textes légaux et réglementaires" puisqu'il ne résulte d'aucun texte qu'un employé communal ne peut se voir concéder, en contrepartie de ses services (entraînement du club de football et surveillance du bureau de police situé sous l'appartement), la jouissance gratuite d'un logement communal . Il invoquait, d'autre part, la prescription des faits antérieurs à juillet 1998 puisque la commune n'avait porté plainte avec constitution de partie civile que le 11 juillet 2001. Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle énonce, dans un premier temps, que, "contrairement à ce qui était soutenu au moyen, les faits commis plus de trois ans avant la plainte avec constitution de partie civile n'étaient pas prescrits, la prescription ne commençant à courir, lorsque la concussion résulte d'opérations indivisibles, qu'à compter de la dernière des exonérations accordées indûment" ; et que, d'autre part, "le caractère illégal de l'exonération de droits résulte de ce que cette exonération n'a pas été autorisée par une délibération du conseil municipal prise conformément aux prescriptions des articles L. 2121-29 (N° Lexbase : L8543AAN) et L. 2122-21 (N° Lexbase : L9560DNE) du Code général des collectivités territoriales". On notera, au passage, la sévérité de la décision à l'égard du maire qui n'avait tiré aucun profit personnel de l'opération.
Jusqu'à ces deux arrêts, la Cour de cassation ne s'était jamais, à notre connaissance, aussi nettement prononcée sur la question de la prescription du délit de concussion. Ce délit est traditionnellement présenté comme une infraction instantanée, entièrement consommée au moment où le fonctionnaire exige, perçoit ou ordonne de percevoir, d'une façon indue des sommes à titre de droits ou d'impôt. C'est donc à ce moment que l'on fixe habituellement le point de départ de la prescription de l'action publique. Comment, dès lors, analyser les arrêts susvisés lorsqu'ils situent le point de départ de la prescription "à compter de la dernière perception indue" (1er arrêt) ou encore "à compter de la dernière exonération abusive" (2ème arrêt). La solution retenue fait indéniablement penser au principe appliqué pour la computation du délai de prescription des infractions continues. Il est, en effet, de principe, pour les infractions de cette nature, de fixer comme point de départ à la prescription le jour où l'acte délictueux a pris fin. Faut-il, dès lors, considérer que lorsque la concussion est le résultat, non pas d'un acte unique et instantané, mais d'une série d'actes successifs qui se sont répétés périodiquement sur une certaine durée, les modalités d'exécution particulières de l'infraction lui font perdre sa nature d'infraction instantanée ?
Tel ne paraît pas être le sens qu'il convient de donner au principe retenu par la Cour de cassation. Car, même dans ce type de situation, l'infraction ne change pas de nature. Elle demeure instantanée, car consommée dès la première perception indue ou encore dès la première exonération abusive. Seulement, la répétition sur une certaine durée des actes constitutifs de l'infraction ne peut rester sans incidence. On se retrouve face à ce que la doctrine appelle, parfois, une infraction continuée ou répétée (G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal général, n° 219), encore appelée "délit collectif par unité de but" (Donnedieu de Vabres, Traité de droit criminel et de législation comparée, 3ème édition, 1947, n° 188), une infraction qui demeure instantanée par nature, mais soumise en raison de la répétition d'actes successifs aux règles de l'infraction continue (G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal général, n° 219).
Dans la mesure où l'infraction est constituée à chaque fois qu'il y a perception ou exonération, on pourrait songer à les traiter comme des infractions distinctes en concours réel ; ce qui a parfois été retenu par la jurisprudence pour le vol d'électricité (Cass. crim., 19 décembre 1956, JCP,1957, II,9923, note Delpech ; Rev. Sc. crim. 1957, p. 630, obs. Legal : abonné qui bloquait périodiquement le fonctionnement de son compteur).
C'est sans doute le raisonnement qu'avait suivi la cour d'appel d'Aix-en-Provence et qui l'avait conduite à affirmer que les faits antérieurs de plus de trois ans précédents le premier acte interruptif de prescription étaient prescrits. Mais, cette voie, résolument favorable au prévenu, n'a pas été suivie par la Cour de cassation. Cette dernière a préféré voir dans les divers agissements de l'agent, des modalités d'exécution d'une entreprise délictuelle d'ensemble dont la consommation cesse avec le dernier acte, solution parfois avancée en doctrine : R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, t. 1 : Sirey, p. 252 ; Roux, Cours de droit criminel français, 2ème éd., 1927, t. I, p. 124), et que la Cour de cassation a déjà appliqué, notamment, au délit de prise illégale d'intérêt (Cass. crim., 4 octobre 2000, n° 99-85.404, X et autre N° Lexbase : A3281AU3, D. 2001, J. p. 1654, note M. Segonds).
Au-delà de son incidence sur la répression, la solution adoptée par la Cour de cassation, dans ses deux arrêts du 31 janvier 2007, aura surtout un impact au niveau de la réparation du préjudice subi du fait de l'infraction. En tout état de cause, en cas d'actes de concussion répétés, l'action publique n'aurait, de toutes les façons, pas été éteinte pour les derniers faits en date. Et rien ne permet d'affirmer qu'en pratique, le fait de considérer que la concussion résulte d'opérations indivisibles aura nécessairement un effet sur le quantum de la peine. En revanche, elle évitera que l'auteur de l'infraction puisse ainsi échapper à la réparation d'une partie du préjudice causé par ses agissements aux deniers publics. C'est pourquoi la solution adoptée doit être entièrement approuvée.
Dorothée Bourgault-Coudevylle
Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois
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