La lettre juridique n°246 du 1 février 2007 : Rel. individuelles de travail

[Evénement] Mobilité géographique des salariés : actualité de l'année 2006

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par Compte-rendu réalisé par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Le 22 janvier dernier, Elegia organisait la 9ème édition de son rendez-vous annuel, consacré à l'actualité sociale de l'année écoulée. Pierre Sargos, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, et Françoise Favennec-Héry, Professeur à la faculté de droit de Paris II, présidaient, notamment, les séances. Les éditions Lexbase, présentes à cet événement, vous proposent un compte-rendu des propos développés par Pierre Sargos et Françoise Favennec-Héry, s'agissant de la question de la mobilité des salariés, que celle-ci résulte de l'application d'une clause de mobilité ou non. Ainsi que l'ont énoncé l'ancien président de la Chambre sociale et Françoise Favennec-Héry, on retrouve très souvent, au visa des décisions de la Cour de cassation relatives au contenu du contrat de travail, le double visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL). La preuve que le contrat de travail est, avant tout, un contrat régi par les règles issues du droit commun !

1. La mutation géographique en dehors de l'application d'une clause de mobilité

Le lieu de travail mentionné au contrat est-il un élément du contrat ou a-t-il simplement une valeur informative ? Un arrêt du 15 mars 2006 montre que la Cour de cassation maintient le cap quant à la portée de la mention du lieu de travail dans le contrat (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, F-P+B N° Lexbase : A6000DNK). Dans cette affaire, la salariée soutenait que sa mutation de Poitiers à Fontenille constituait une modification de son contrat de travail, ce que son employeur contestait. La Cour de cassation tranche et rappelle une solution classique : dès lors que la mutation s'effectue dans un secteur géographique différent, la modification contractuelle est caractérisée ; à défaut, la modification du contrat n'est retenue que si le lieu de travail est mentionné comme étant un élément du contrat. Si le contrat ne précise rien de particulier, la mutation dans un même secteur géographique entraîne un simple changement des conditions de travail. Quant à la définition du secteur géographique, elle ressort du pouvoir souverain des juges du fond qui, au vu des moyens de transport, de communication, etc., en fixeront les contours.

Cette jurisprudence n'est pas novatrice et remonte à 2003. D'importants arrêts avaient, en effet, jeté les bases des règles aujourd'hui applicables : la simple mention du lieu de travail ne vaut pas contractualisation (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX).

Mais, ajoute Pierre Sargos, la Cour de cassation apporte un certain nombre de correctifs à l'application de ces règles. Le changement de lieu de travail effectué en dehors du jeu d'une clause de mobilité doit répondre aux exigences de la bonne foi contractuelle. Autrement dit, l'employeur doit tenir compte des impératifs familiaux de ses salariés, de leurs impératifs de santé, etc.

Jusqu'à présent, relève Pierre Sargos, les arrêts de la Cour de cassation ont fait un "bloc" entre contrat de travail à durée indéterminée et contrat de travail à durée déterminée. Or, selon lui, il conviendrait de distinguer les deux types de contrats et d'adopter une approche différente du lieu de travail en matière de CDD. Il pourrait en être de même en matière de contrat de travail à temps partiel.

Dans un arrêt du 28 mars 2006, la Cour de cassation a décidé qu'une mutation géographique ne constitue pas, en elle-même, une atteinte aux libertés fondamentales quant au libre choix du domicile du salarié (Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-41.016, FS-P+B+I N° Lexbase : A8283DN4 ; lire les obs. de Ch. Radé, La distinction de la mobilité géographique et de ses incidences familiales, Lexbase Hebdo n° 211 du 20 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N7132AKD). Dans cette affaire, c'est le salarié qui demandait sa mutation géographique. L'employeur avait accepté cette demande mais, a posteriori, souhaitait intégrer au contrat une clause de retour dans le lieu de travail initial. Le salarié avait refusé et invoquait, alors, une atteinte à ses libertés individuelles. Or, selon la Cour de cassation, une mutation ne peut pas constituer, en soi, une atteinte à la liberté fondamentale du salarié quant au libre choix de son domicile. Le juge, ici, invoque la bonne foi contractuelle dans l'appréciation même de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Selon Pierre Sargos, l'intérêt de la personne humaine dépasse le contrat synallagmatique et les mises en oeuvre des prérogatives de l'employeur ne doivent pas être dévoyées.

Un autre arrêt de décembre 2005 concernant, cette fois-ci, la modification des horaires de travail, montre, encore, cette tendance de la Cour de cassation à pondérer les règles de droit applicables (Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-47.721, F-P N° Lexbase : A9911DLN). Dans cette affaire, une salariée, de retour de congé maternité, contestait la modification des horaires de travail applicable à tous les salariés de l'entreprise et imposant, notamment, de travailler le samedi. On sait que la Cour de cassation décide, de manière constante, que la modification des horaires de travail n'emporte pas modification du contrat de travail, dès lors, toutefois, qu'il ne s'agit pas de changements majeurs tels que le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit. Or, dans l'affaire ici rapportée, la Cour de cassation apporte une nouvelle pondération à sa jurisprudence, puisqu'elle exclut la faute grave de la salariée réfractaire à travailler le samedi, au motif que cette dernière "avait dix ans d'ancienneté et revenait d'un congé de maternité" et que "le refus d'une modification des horaires de travail d'une salariée à son retour de congé maternité qui invoque des obligations familiales impérieuses ne constitue pas une faute grave".

Une nouvelle preuve que la Cour de cassation refuse l'application de toute règle intangible et apporte, au cas par cas, des correctifs aux règles applicables.

2. La mutation en application d'une clause de mobilité

L'évolution des règles applicables aux clauses de mobilité pourrait faire croire à une évolution telle que celle qu'ont connu les clauses de non-concurrence. Même si, pour l'heure, on ne peut pas encore soutenir que la clause de mobilité doit répondre aux mêmes exigences que la clause de non-concurrence et, notamment, être justifiée par les nécessités de l'entreprise, une évolution dans ce sens n'est pas à exclure.

Les clauses de mobilité doivent être, aujourd'hui, analysées au regard de deux impératifs.

D'abord, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité doit respecter les libertés fondamentales du salarié. La Cour de cassation, en 1999, avait déjà estimé, au visa de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), que "toute personne a droit au respect de son domicile [et] que le libre choix du domicile personnel et familial est l'un des attributs de ce droit". Par suite, "une restriction à cette liberté par l'employeur n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché" (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7).

Dans un arrêt rendu en février 2006, la Cour statue sur la validité d'une clause de domiciliation insérée dans le contrat de travail d'un avocat salarié, pour "sa bonne intégration dans l'environnement local" (Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 05-12.113, F-P+B N° Lexbase : A8547DMI). Or, selon la Cour, la bonne intégration de l'avocat dans l'environnement local ne constitue pas un objectif susceptible de justifier l'atteinte portée à la liberté individuelle de l'avocat salarié de choisir son domicile.

Ensuite, les clauses de mobilité doivent être analysées au regard des dispositions contractuelles. Ainsi en a décidé la Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mai 2006 (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7230DPH ; lire les obs. de Ch. Radé, L'organisation contractuelle du travail ne peut être modifiée sans l'accord du salarié, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9530AK8).

Dans cette affaire, la Cour décide que, lorsque les parties ont convenu que le salarié effectuerait sa prestation de travail à domicile, l'employeur ne peut modifier cette organisation sans l'accord du salarié. En l'espèce, l'employeur, pour revenir sur l'organisation du travail de l'une de ses salariées qui effectuait une partie de sa prestation de travail depuis son domicile, utilise la clause de mobilité insérée dans le contrat de la salariée. A tort, lui répond la Haute juridiction : le télétravail fait l'objet d'une clause spécifique du contrat de travail, qui doit être bien distinguée de la clause de mobilité. Le travail à domicile est une forme d'organisation du travail et l'employeur ne peut revenir dessus sans modifier le contrat.

Par ailleurs, les juges de la Cour de cassation ont considéré, par un arrêt du 12 juillet 2006, que la clause de mobilité, pour être valable, doit définir sa zone d'application (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, F-P+B N° Lexbase : A4407DQB ; lire les obs. de S. Tourneaux, La précision de la zone géographique de la clause de mobilité : principe et sanction, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2633AL4). Cela étant, la zone géographique ainsi délimitée peut être plus ou moins large, dès lors qu'elle reste claire et précise. Ainsi, selon Pierre Sargos, serait valable la clause insérée dans le contrat d'un cadre et prévoyant une mobilité dans toute l'Union européenne ou dans tout le territoire national, par exemple.

Toutefois, une clause prévoyant une mobilité géographique dans les établissements à venir d'une société serait illicite. Seuls les établissements existant au moment de la signature de la clause de mobilité entrent dans son champ d'application.

Ainsi que le souligne l'ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, la clause de mobilité connaît, aujourd'hui, des évolutions similaires à celles qu'ont connu les contrats d'assurance en leur temps, les juges ayant, pour ces derniers contrats, imposé des exigences de précision et de clarté. Cela témoigne, une nouvelle fois, de l'application du droit des contrats de manière générale au droit du travail.

En outre, une décision récente de la Cour de cassation interdit qu'une clause de mobilité conduise un salarié à travailler sur deux sites différents (Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, FS-P+B N° Lexbase : A1103DTZ ; lire les obs. de S. Tourneaux, La clause de mobilité limitée à la modification du lieu de travail N° Lexbase : N7199A9I). Ainsi, le salarié ne peut partager son temps de travail entre deux lieux différents ; il s'agirait alors d'une modification plus importante que la simple mise en oeuvre de la clause de mobilité, et cela même si l'employeur reste le même.

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