Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-45.585, Société Easydis, FS-P+B (N° Lexbase : A6756DTE)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu'il tient de la loi pour la période antérieure à la signature de l'accord. Dès lors que l'accord d'entreprise ne contenait pas de définition du travail de nuit, c'est la définition légale issue de l'article L. 213-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8850G7W), plus favorable que celle retenue par l'accord d'entreprise du 11 septembre 2001, qui devait s'appliquer jusqu'au lendemain de la date de dépôt dudit accord. |
Décision
Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-45.585, Société Easydis, FS-P+B (N° Lexbase : A6756DTE) Cassation partielle sans renvoi (CA Toulouse, 4ème chambre, section 2, chambre sociale, 19 mai 2004) Textes visés : C. civ., art. 2 (N° Lexbase : L2227AB4) ; C. trav., art. L. 132-10 (N° Lexbase : L4697DZY) ; C. trav., art. L. 213-1-1 (N° Lexbase : L8850G7W) ; C. trav., art. L. 213-4 (N° Lexbase : L8851G7X). Mots-clefs : conventions collectives ; application dans le temps ; principe de non-rétroactivité ; travail de nuit ; définition légale ; absence de définition conventionnelle. Lien bases : |
Faits
1. La société Easydis, filiale du groupe Casino, exploite divers établissements sur le territoire national, dont un à Fenouillet (31), régis par la convention collective nationale des entrepôts d'alimentation du 29 mai 1969 et les accords d'entreprise successifs du groupe. Par ordonnance de référé du 24 août 2001, confirmée en appel le 13 décembre 2001, la société a été condamnée à payer à certains salariés des sommes provisionnelles à titre de rappel de salaires pour des heures de travail de nuit effectuées entre 21 heures et 22 heures et entre 5 heures et 6 heures, pour la période du 10 mai au 30 juin 2001, par application immédiate de la loi du 9 mai 2001 sur le travail de nuit. Le pourvoi formé contre l'arrêt du 13 décembre 2001 a été rejeté le 1er octobre 2003. 2. Le 28 février 2002, la société a saisi la juridiction prud'homale statuant au fond en vue d'obtenir la restitution des sommes versées en exécution de l'ordonnance de référé. |
Solution
1. "Si la définition du travail de nuit prévue par l'article L. 213-1-1 du Code du travail tel qu'il résulte de la loi du 9 mai 2001, n'a, en principe, pas pour effet de modifier les conditions d'attribution de la compensation salariale fixées par une convention collective pour le travail de nuit, c'est à la condition que ladite convention fixe la plage horaire couverte par le travail de nuit" ; "la cour d'appel, qui a relevé que l'accord d'entreprise Casino du 19 décembre 1996 ne définissait pas la plage horaire à laquelle s'appliquait la majoration salariale pour travail de nuit, en a exactement déduit qu'il convenait de retenir la définition légale en vigueur". 2. "Vu l'article 2 du Code civil et l'article L. 132-10 du Code du travail" ;
- "Une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu'il tient de la loi pour la période antérieure à la signature de l'accord". - "Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que MM. Herlant, Benet, Debot, Adolphe et Mouly n'avaient pas droit à la majoration pour travail de nuit des heures effectuées de 21 heures à 22 heures et de 5 heures à 6 heures pour la période postérieure au 1er juin 2001 et les a condamnés à rembourser à la SNC Easydis des sommes à ce titre, l'arrêt rendu le 19 mai 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 1er juillet 2003 ; condamne la société Easydis aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), condamne la société Easydis à payer MM. Herlant, Benet, Debot, Adolphe et Mouly la somme globale de 2 500 euros". |
Commentaire
1. Le principe de la non-rétroactivité des conventions collectives
Il n'existe pas, à proprement parler, de dispositions spécifiques régissant les conflits temporels entre normes en droit du travail ; il convient, par conséquent, d'appliquer les règles du droit commun et, notamment, le principe de la non-rétroactivité qui figure à l'article 2 du Code civil (1). La loi nouvelle ne dispose donc que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif. On sait, toutefois, que ce principe n'a de valeur constitutionnelle qu'en matière pénale, et non en matière civile, et qu'une loi peut donc y déroger dès lors qu'elle repose sur un motif d'intérêt général suffisant.
Certaines dispositions du Code du travail pourraient laisser supposer qu'une telle dérogation existerait au bénéfice des partenaires sociaux. Ainsi, l'article L. 132-10, alinéa 4, du Code du travail, relatif à l'application des accords collectifs, dispose que "les textes sont applicables, sauf stipulations contraires, à partir du jour qui suit leur dépôt auprès du service compétent". S'il est évident que les partenaires sociaux peuvent différer l'entrée en vigueur du texte, peuvent-ils, par des "stipulations contraires", anticiper son application, c'est-à-dire lui donner une portée rétroactive ? La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de répondre négativement à la question en 1999, à propos des accords de protection sociale complémentaire (2), puis, d'une manière plus générale, en 2000 (3), marquant ainsi un revirement dans sa jurisprudence traditionnelle (4). C'est ce que confirme ce nouvel arrêt en date du 24 janvier 2007.
Cette interprétation restrictive de l'article L. 132-10, alinéa 4, du Code du travail doit être pleinement approuvée. Même s'il est traditionnellement admis qu'il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas, il apparaît peu probable que le législateur ait souhaité déléguer purement et simplement aux partenaires sociaux ses propres compétences et leur conférer le pouvoir d'édicter des normes rétroactives, compte tenu des menaces que la rétroactivité fait peser sur les droits des salariés. Une convention collective peut donc prévoir les conditions d'une entrée en vigueur différée, ce qui laisse aux destinataires de la norme plus de temps encore pour préparer l'application des dispositions nouvelles et va, ainsi, dans le sens d'un renforcement du principe de sécurité juridique, mais elle ne peut certainement pas s'autoproclamer d'application rétroactive. 2. Les incidences du principe sur les accords relatifs au travail de nuit
La loi du 9 mai 2001 a profondément modifié le régime juridique du travail de nuit, notamment, en mettant un terme à la prohibition qui frappait les femmes. La loi a, également, introduit une définition plus large du travail de nuit, la plage passant de 7 heures à 9 heures consécutives, et imposé un repos compensateur et, "le cas échéant", une compensation salariale (C. trav., art. L. 213-4, al. 1er). La mise en oeuvre de ces accords a fait difficulté dans la mesure où ils retenaient la définition antérieure du travail de nuit, n'accordant aux salariés de majoration salariale que pour la plage légale définie à l'article L. 231-2 ancien (22 heures/5 heures), alors que la loi du 9 mai 2001 couvre, sauf disposition conventionnelle dérogatoire, la période allant de 21 heures à 6 heures du matin. Fallait-il, alors, reconnaître aux salariés un droit à majoration sur deux heures supplémentaires (21/22 heures et 5/6 heures) ?
La Cour de cassation avait choisi, dans un premier temps, d'imposer à l'entreprise d'étendre l'application des accords pour tenir compte de la nouvelle définition légale du travail de nuit, singulièrement dans cette même affaire (5), avant de faire machine arrière et de considérer que l'entrée en vigueur d'une nouvelle définition du travail de nuit était sans incidence sur les conditions d'attribution des compensations salariales prévues par la convention collective, et ce "alors même qu'elles ne prendraient pas en compte la totalité des heures entre 21 heures et 6 heures" (6). Seules devaient être appliquées, de manière immédiate et selon la nouvelle définition, les dispositions de la loi nouvelle lorsqu'est en cause le repos compensateur, compte tenu de l'impératif de la loi, qui est de protéger la santé et la sécurité des salariés (en ce sens, le communiqué accompagnant les arrêts du 21 juin 2006, préc.). Cette lecture, fondée sur les objectifs premiers de la loi, pouvait d'ailleurs se justifier au regard des termes mêmes de l'article L. 213-4 (N° Lexbase : L8851G7X), qui impose, en effet, le principe du repos de manière indiscutable et ne prévoit l'existence de contreparties pécuniaires que de manière éventuelle, "le cas échéant", selon les propres termes du législateur.
Cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation constitue donc une surprise dans la mesure où il conduit à faire application, ici, des dispositions de la loi nouvelle du 9 mai 2001, comme d'ailleurs cela résultait du premier arrêt de cassation en date du 1er octobre 2003 (préc.), et ce, alors que la jurisprudence de la Cour avait pourtant changé en juin 2006 (préc.). Tout en confirmant le principe selon lequel "la définition du travail de nuit prévue par l'article L. 213-1-1 du Code du travail tel qu'il résulte de la loi du 9 mai 2001, n'a, en principe, pas pour effet de modifier les conditions d'attribution de la compensation salariale fixées par une convention collective pour le travail de nuit", la Cour précise, en effet, que "c'est à la condition que ladite convention fixe la plage horaire couverte par le travail de nuit". Dans l'hypothèse inverse, les juges doivent appliquer de manière immédiate la définition légale du travail de nuit, les dispositions de la loi du 9 mai 2001 étant d'ordre public et devant donc s'appliquer immédiatement : "la cour d'appel, qui a relevé que l'accord d'entreprise Casino du 19 décembre 1996 ne définissait pas la plage horaire à laquelle s'appliquait la majoration salariale pour travail de nuit, en a exactement déduit qu'il convenait de retenir la définition légale en vigueur". La Cour de cassation infléchit incontestablement le revirement de 2006, sans toutefois revenir à la solution dégagée à partir de 2003, le sort réservé aux salariés dépendant de l'existence ou non d'une définition conventionnelle du travail de nuit et des avantages en cause puisque, rappelons-le, le revirement de juin 2006 ne concernait que l'attribution des compensations salariales et non le droit au repos compensateur.
La précision apportée par cette décision doit être pleinement approuvée. Le refus de faire une application immédiate de la nouvelle définition du travail de nuit, s'agissant du régime des compensations salariales, s'explique par la volonté de préserver l'autonomie des partenaires sociaux et le principe selon lequel la loi applicable aux actes juridiques est celle en vigueur à la date de conclusion de l'accord. Dès lors, si une définition conventionnelle de la période de nuit a été arrêtée, il convient de la respecter ; mais, en l'absence d'une telle compensation, alors, l'application immédiate de la définition légale ne porte pas atteinte aux prévisions des partenaires sociaux, ceux-ci pouvant raisonnablement être considérés comme s'étant implicitement, mais nécessairement, référés à la définition légale en vigueur. Il est alors normal que la définition légale changeant, le bénéfice de la compensation change avec elle.
Christophe Radé
(1) L. Favoreu, Une convention collective peut-elle comporter des dispositions à caractère rétroactif ?, D. 1995, chron. p. 82 ; N. Colin, Conventions et accords collectifs de droit social à l'épreuve du temps, L'Harmatan, préf. F. Favennec-Héry, 2000. |
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