La lettre juridique n°246 du 1 février 2007 : Santé

[Jurisprudence] Affaire du "Distilbène" : la justice reconnaît les victimes de la troisième génération mais limite l'indemnisation de leur préjudice

Réf. : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP)

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le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène. A cet égard, il convient de revenir sur une récente série d'arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles le 21 décembre dernier (1), et qui apporte des précisions intéressantes tant sur la notion de "préjudice spécifique de contamination", que sur la reconnaissance de possibles victimes de la troisième génération. Pour mémoire, le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de Distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus.
  • Les faits en cause

Dans les huit affaires soumises à la cour d'appel de Versailles, les faits étaient relativement similaires. Des jeunes femmes, ayant été exposées au Distilbène in utero -le médicament ayant été prescrit à leurs mères durant la grossesse-, avaient développé ultérieurement différents symptômes (tumeurs cancéreuses, infertilité, malformations) dont elles tenaient pour responsable le laboratoire UCB Pharma qui commercialisait la molécule en cause.

Le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi des dossiers, avait retenu, le 10 juin 2005, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma sur le fondement des articles 1165 (N° Lexbase : L1267ABK), 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil. En effet, pour le tribunal, aux termes de ces articles, un tiers à un contrat est fondé à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autres preuves.

Le laboratoire a fait appel de sa condamnation, arguant que le lien de causalité entre l'exposition in utero au Distilbène et la survenance de malformations ou séquelles n'était pas établi.

  • L'étendue de la responsabilité

Dans ses huit décisions, la cour d'appel de Versailles va confirmer la responsabilité du laboratoire UCB Pharma, y compris pour les jeunes femmes victimes d'anomalies morphologiques et de séquelles d'infertilité ou de stérilité.

La cour rappelle que "malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du Distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB Pharma n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients".

L'apport de ces arrêts est conséquent. En effet, jusqu'alors, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma n'avait été retenue, dans le cadre d'une exposition au Distilbène, que pour les développements de cancers. En effet, en mars 2006, la Haute juridiction avait retenu que le laboratoire avait manqué à son obligation de vigilance en commercialisant le Distilbène jusqu'en 1977, alors qu'existaient avant 1971, et dès les années 1953-1954, des doutes portant sur l'innocuité du médicament. La Cour de cassation notait, également, que la littérature expérimentale faisait état de la survenance de cancers très divers et qu'à partir de 1971, de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques contre-indiquaient l'utilisation du Distilbène. Elle en concluait que devant ces risques connus et identifiés sur le plan scientifique, le laboratoire n'avait pris aucune mesure, et avait, de ce fait, manqué à son obligation de vigilance (Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-16.180, FS-P+B N° Lexbase : A4988DN3 et n° 04-16.179, FS-P+B N° Lexbase : A4987DNZ).

L'avancée est aujourd'hui importante puisque la responsabilité du laboratoire est retenue pour les cas d'infertilité liés à une malformation utérine.

  • Le préjudice spécifique de contamination

Le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. Ce concept a été mis en place à la suite de l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du sida. En effet, dans ce cas précis, le préjudice spécifique de contamination inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination mais, également, les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique, moral ou d'agrément.

Ce préjudice tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasi programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime, ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun, laquelle suppose un dommage avéré et un état de consolidation. La question s'est ensuite posée de savoir si ce concept pouvait s'appliquer à d'autres virus que celui du sida. Ainsi, en 2003, la Cour de cassation a reconnu ce préjudice pour le développement d'une hépatite C, consécutive à des transfusions sanguines (Cass. civ. 1, 1er avril 2003, n° 01-00.575, Etablissement français du sang (EFS) c/ Mme Fumichon de Loynes, F-P N° Lexbase : A6575A7N).

Dans les arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles, seul l'un d'eux a retenu l'existence de ce préjudice. En effet, dans cet affaire, la victime était décédée des suites de son cancer du col de l'utérus (RG n° 05/04144). Les juges ont retenu que "Catherine P., décédée des suites de l'adénocarcinome à cellules claires, dont l'évolution défavorable a repris en 2003 après une rémission de trois ans suivant la première intervention sans qu'aucune consolidation ne puisse être retenue, a subi un préjudice spécifique d'exposition au DES qui regroupe tous les préjudices personnels et physiologiques subis".

Le montant de l'indemnisation de ce préjudice a été évalué à 310 000 euros, les juges prenant en compte, entre autres, le fait que la victime, en raison de sa maladie, avait été privée de tout organe gynécologique dès l'âge de 29 ans.

Néanmoins, la reconnaissance de ce préjudice n'a pas été retenue dans les sept autres affaires. Et selon la présidente du réseau Des-France, la cour d'appel semble considérer que seule la mort justifie l'application aux victimes du Distilbène du préjudice spécifique de contamination.

  • Vers la reconnaissance d'un préjudice de troisième génération ?

Dans deux arrêts (RG n° 05/06691 et RG n° 05/06698), la cour d'appel a ordonné que soit menées des expertises sur les enfants de deux femmes ayant été exposées au Distilbène in utero. En effet, les grossesses de celles que l'on appelle les "Filles DES" se passent souvent difficilement et la prématurité de l'enfant à naître est quasi inévitable. Dans la première affaire, l'enfant était atteint d'hypospadias (malformation congénitale masculine, qui se manifeste par l'ouverture de l'urètre dans la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité). Or selon une étude néerlandaise, ce type de malformations est plus présent chez les garçons dont la mère a été explosée in utero. D'autres auteurs s'interrogeant également sur l'existence d'éventuelles séquelles de l'exposition au Distilbène pour la troisième génération, la cour d'appel de Versailles a fait droit à la demande d'expertise médicale. Dans la seconde affaire, l'enfant souffrait d'une rétinopathie liée à la prématurité et là encore les experts ont évoqué un possible lien avec l'exposition au Distilbène.

Il convient donc d'attendre le résultat de ces expertises et l'avis de la cour d'appel pour voir si le préjudice de la troisième génération Distilbène sera reconnu.

Anne-Laure Blouet Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse


(1) Huit arrêts ont été rendus ce jour là : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP), n° 05/04144 (N° Lexbase : A4087DTK), n° 05/06689 (N° Lexbase : A4089DTM), n° 05/06691 (N° Lexbase : A4090DTN), n° 05/06693 (N° Lexbase : A4092DTQ), n° 05/06694 (N° Lexbase : A4096DTU), n° 05/06697 (N° Lexbase : A4093DTR) et n° 05/06698 (N° Lexbase : A4094DTS).

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