Réf. : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP)
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le 07 Octobre 2010
Dans les huit affaires soumises à la cour d'appel de Versailles, les faits étaient relativement similaires. Des jeunes femmes, ayant été exposées au Distilbène in utero -le médicament ayant été prescrit à leurs mères durant la grossesse-, avaient développé ultérieurement différents symptômes (tumeurs cancéreuses, infertilité, malformations) dont elles tenaient pour responsable le laboratoire UCB Pharma qui commercialisait la molécule en cause.
Le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi des dossiers, avait retenu, le 10 juin 2005, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma sur le fondement des articles 1165 (N° Lexbase : L1267ABK), 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil. En effet, pour le tribunal, aux termes de ces articles, un tiers à un contrat est fondé à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autres preuves.
Le laboratoire a fait appel de sa condamnation, arguant que le lien de causalité entre l'exposition in utero au Distilbène et la survenance de malformations ou séquelles n'était pas établi.
Dans ses huit décisions, la cour d'appel de Versailles va confirmer la responsabilité du laboratoire UCB Pharma, y compris pour les jeunes femmes victimes d'anomalies morphologiques et de séquelles d'infertilité ou de stérilité.
La cour rappelle que "malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du Distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB Pharma n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients".
L'apport de ces arrêts est conséquent. En effet, jusqu'alors, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma n'avait été retenue, dans le cadre d'une exposition au Distilbène, que pour les développements de cancers. En effet, en mars 2006, la Haute juridiction avait retenu que le laboratoire avait manqué à son obligation de vigilance en commercialisant le Distilbène jusqu'en 1977, alors qu'existaient avant 1971, et dès les années 1953-1954, des doutes portant sur l'innocuité du médicament. La Cour de cassation notait, également, que la littérature expérimentale faisait état de la survenance de cancers très divers et qu'à partir de 1971, de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques contre-indiquaient l'utilisation du Distilbène. Elle en concluait que devant ces risques connus et identifiés sur le plan scientifique, le laboratoire n'avait pris aucune mesure, et avait, de ce fait, manqué à son obligation de vigilance (Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-16.180, FS-P+B N° Lexbase : A4988DN3 et n° 04-16.179, FS-P+B N° Lexbase : A4987DNZ).
L'avancée est aujourd'hui importante puisque la responsabilité du laboratoire est retenue pour les cas d'infertilité liés à une malformation utérine.
Le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. Ce concept a été mis en place à la suite de l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du sida. En effet, dans ce cas précis, le préjudice spécifique de contamination inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination mais, également, les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique, moral ou d'agrément.
Ce préjudice tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasi programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime, ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun, laquelle suppose un dommage avéré et un état de consolidation. La question s'est ensuite posée de savoir si ce concept pouvait s'appliquer à d'autres virus que celui du sida. Ainsi, en 2003, la Cour de cassation a reconnu ce préjudice pour le développement d'une hépatite C, consécutive à des transfusions sanguines (Cass. civ. 1, 1er avril 2003, n° 01-00.575, Etablissement français du sang (EFS) c/ Mme Fumichon de Loynes, F-P N° Lexbase : A6575A7N).
Dans les arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles, seul l'un d'eux a retenu l'existence de ce préjudice. En effet, dans cet affaire, la victime était décédée des suites de son cancer du col de l'utérus (RG n° 05/04144). Les juges ont retenu que "Catherine P., décédée des suites de l'adénocarcinome à cellules claires, dont l'évolution défavorable a repris en 2003 après une rémission de trois ans suivant la première intervention sans qu'aucune consolidation ne puisse être retenue, a subi un préjudice spécifique d'exposition au DES qui regroupe tous les préjudices personnels et physiologiques subis".
Le montant de l'indemnisation de ce préjudice a été évalué à 310 000 euros, les juges prenant en compte, entre autres, le fait que la victime, en raison de sa maladie, avait été privée de tout organe gynécologique dès l'âge de 29 ans.
Néanmoins, la reconnaissance de ce préjudice n'a pas été retenue dans les sept autres affaires. Et selon la présidente du réseau Des-France, la cour d'appel semble considérer que seule la mort justifie l'application aux victimes du Distilbène du préjudice spécifique de contamination.
Dans deux arrêts (RG n° 05/06691 et RG n° 05/06698), la cour d'appel a ordonné que soit menées des expertises sur les enfants de deux femmes ayant été exposées au Distilbène in utero. En effet, les grossesses de celles que l'on appelle les "Filles DES" se passent souvent difficilement et la prématurité de l'enfant à naître est quasi inévitable. Dans la première affaire, l'enfant était atteint d'hypospadias (malformation congénitale masculine, qui se manifeste par l'ouverture de l'urètre dans la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité). Or selon une étude néerlandaise, ce type de malformations est plus présent chez les garçons dont la mère a été explosée in utero. D'autres auteurs s'interrogeant également sur l'existence d'éventuelles séquelles de l'exposition au Distilbène pour la troisième génération, la cour d'appel de Versailles a fait droit à la demande d'expertise médicale. Dans la seconde affaire, l'enfant souffrait d'une rétinopathie liée à la prématurité et là encore les experts ont évoqué un possible lien avec l'exposition au Distilbène.
Il convient donc d'attendre le résultat de ces expertises et l'avis de la cour d'appel pour voir si le préjudice de la troisième génération Distilbène sera reconnu.
Anne-Laure Blouet Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse
(1) Huit arrêts ont été rendus ce jour là : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP), n° 05/04144 (N° Lexbase : A4087DTK), n° 05/06689 (N° Lexbase : A4089DTM), n° 05/06691 (N° Lexbase : A4090DTN), n° 05/06693 (N° Lexbase : A4092DTQ), n° 05/06694 (N° Lexbase : A4096DTU), n° 05/06697 (N° Lexbase : A4093DTR) et n° 05/06698 (N° Lexbase : A4094DTS).
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