Réf. : CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208/05, ITC Innovative Technology Center GmbH c/ Bundesagentur für Arbeit (N° Lexbase : A4560DT3)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le versement par un Etat membre de la rémunération due à une agence de placement privée au titre d'un placement ne peut être conditionné à ce que le travail soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans cet Etat membre, emportant restriction au principe de libre circulation des travailleurs. |
Décision
CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208/05, ITC Innovative Technology Center GmbH c/ Bundesagentur für Arbeit (N° Lexbase : A4560DT3) Textes visés : art. 18 CE ; art. 39 CE (N° Lexbase : L5348BC3) ; art. 49 CE (N° Lexbase : L5359BCH) ; art. 87 CE ; articles 3 et 7 du Règlement (CE) n° 1612/68 du Conseil, 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L9271BHT). Lien bases : |
Faits
Le 27 août 2003, ITC a conclu un contrat de placement avec M. Halacz. A la suite de l'intervention d'ITC, M. Halacz a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec une société établie aux Pays-Bas. Cet employeur a confirmé qu'il s'agissait d'une relation d'emploi assujettie aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale et que la durée de travail était d'au moins 15 heures par semaine. En septembre 2003, ITC a sollicité auprès de la Bundesagentur le paiement de la première échéance, à savoir une somme de 1 000 euros, conformément au bon de placement. La Bundesagentur a rejeté cette demande en octobre 2003, au motif que M. Halacz n'avait pas été placé dans un emploi assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire allemand. En octobre 2003, ITC a formé une réclamation contre cette décision. La Bundesagentur a rejeté cette réclamation, au motif que la notion d'"assurance sociale obligatoire" était définie aux articles 1er à 3 du SGB IV, dispositions qui régiraient, également, le SGB III. Les dispositions relatives à l'assurance obligatoire s'appliqueraient ainsi à toute personne engagée dans une relation d'emploi sur le territoire d'application du SGB, à savoir le territoire allemand. En novembre 2003, ITC a introduit devant le tribunal du contentieux social de Berlin un recours visant à faire annuler la décision de la Bundesagentur. Le Sozialgericht Berlin constate que, en application du seul droit allemand, celui-ci s'applique uniquement aux emplois exercés sur le territoire d'application du SGB. Le Sozialgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles. |
Solution
La législation allemande est contraire à l'article 39 CE portant sur la libre circulation, dans la mesure où elle prévoit que le versement par l'Etat à une agence de placement privée de la rémunération due par un demandeur d'emploi au titre d'un placement est soumis à la condition que l'emploi trouvé par cet intermédiaire privé soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire de cet Etat membre. |
Observations
Dans ces conditions, le Sozialgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles auxquelles la CJCE répond par le présent arrêt. Il est demandé à la CJCE si l'article 39 CE ainsi que les articles 3 et 7 du Règlement n° 1612/68 (N° Lexbase : L9271BHT) s'opposent à ce que le droit allemand (art. 421g, § 1, du SGB III), prévoie que le versement par un Etat membre à une agence de placement privée de la rémunération due par un demandeur d'emploi à cette agence au titre du placement de ce dernier soit soumis à la condition que l'emploi trouvé par cet intermédiaire soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire allemand. 1. Domaine d'application de la liberté de circulation des travailleurs Le principe de libre circulation des travailleurs peut-il être invoqué par une personne morale ou physique autre qu'un travailleur ? Cette question, en l'espèce, se posait, dans la mesure où l'agence de placement privée entendait elle-même se prévaloir de l'article 39 CE et du règlement n° 1612/68, et non le demandeur d'emploi migrant. On peut, en effet, relever, à l'instar du gouvernement allemand, qu'agissant en tant qu'intermédiaire et non en tant que travailleur salarié, l'agence de placement privée ne relèverait pas du domaine d'application ratione personae de ces dispositions. La CJCE donne, au contraire, par l'arrêt rapporté, une définition large et extensive des bénéficiaires de la liberté de circulation des travailleurs. La CJCE relève à cet effet que l'article 39 § 1 CE énonce, en des termes généraux, que la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté européenne. Cette liberté comporte le droit de répondre à des emplois effectivement offerts, de se déplacer librement sur le territoire des Etats membres, d'y séjourner afin d'y exercer un emploi dans les mêmes conditions que les nationaux et d'y demeurer au terme de celui-ci (arrêt rapporté, point 21). Contrairement, donc, à l'analyse restrictive du domaine d'application ratione personae de la liberté de circulation des travailleurs soutenue par le gouvernement allemand, la CJCE relève que, s'il est établi que ces droits de libre circulation prévus à l'article 39 CE bénéficient aux travailleurs, y compris aux demandeurs d'emploi, rien dans la rédaction de cet article n'indique que ces droits ne peuvent être invoqués par autrui. En effet, pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d'être engagés et occupés sans discrimination doit nécessairement avoir comme complément le droit des employeurs de les engager dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs. En l'espèce, l'agence de placement privée s'occupe des activités de médiation et d'interposition entre les demandes et les offres d'emploi. Le contrat de placement conclu avec un demandeur d'emploi confère à cette agence un rôle d'intermédiaire, dans la mesure où elle représente le demandeur et cherche à lui procurer un emploi. Aussi, selon la CJCE, il ne peut être exclu qu'une agence de placement privée puisse, dans certaines circonstances, se prévaloir des droits directement reconnus aux travailleurs communautaires par l'article 39 CE. En effet, pour être efficace et utile, la CJCE souligne avec raison que le droit des travailleurs d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre sans discrimination doit, également, avoir comme complément le droit des intermédiaires, telle une agence privée de placement, de les aider à se procurer un emploi dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs. Cette interprétation de la CJCE de l'article 39 CE s'impose d'autant plus dans des circonstances de l'espèce lorsqu'une agence de placement privée a conclu un contrat de placement avec le demandeur d'emploi en vertu d'un bon de placement délivré à ce dernier (selon lequel le Bundesagentur s'engage à prendre en charge les frais de l'agence de placement privée si elle procure à ce demandeur d'emploi un contrat de travail répondant à certains critères). Il appartient donc bien à l'agence de placement privée, et non au demandeur d'emploi migrant, de réclamer à l'administration du travail allemande (Bundesagentur) la prise en charge de la rémunération due à cette agence. 2. Nature et justifications d'une entrave à la libre circulation des travailleurs 2.1. Eléments constitutifs de l'entrave à la libre circulation des travailleurs L'agence de placement privée estime avoir été défavorisée par le système de bons de placement : aussi, le demandeur d'emploi auquel elle a procuré un emploi a été (ou aurait pu être) également défavorisé, parce que cet emploi se situait dans un autre Etat membre. La réglementation allemande porte-t-elle atteinte au principe de la libre circulation des travailleurs ? Cette question doit, en effet, être examinée à la lumière du principe général de la libre-circulation des travailleurs. La CJCE rappelle opportunément, par l'arrêt rapporté (point 31), que l'ensemble des dispositions du Traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre. Les ressortissants des Etats membres disposent, en particulier, du droit de quitter leur Etat d'origine pour se rendre sur le territoire d'un autre Etat membre et y séjourner afin d'y exercer une activité économique. Il faut rappeler que des dispositions nationales qui empêchent ou dissuadent un travailleur ressortissant d'un Etat membre de quitter son Etat d'origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des entraves à cette liberté, même si elles s'appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés. En effet, il serait incompatible avec le droit de la libre circulation qu'un travailleur ou un demandeur d'emploi puisse se voir appliquer, dans l'Etat membre dont il est ressortissant, un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s'il n'avait pas fait usage des facilités ouvertes par le Traité en matière de circulation. En l'espèce, dans la mesure où la réglementation nationale allemande prévoit que l'Etat membre allemand ne s'acquitte de la rémunération due à une agence de placement privée que si l'emploi procuré par cette agence est assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans l'Etat allemand, un demandeur d'emploi, pour lequel l'agence d'emploi privée a procuré un emploi assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans un autre Etat membre, se trouve dans une situation plus défavorable que si l'agence en question avait procuré un emploi dans cet Etat allemand. Il aurait, en pareil cas, bénéficié de la prise en charge de la rémunération due à l'agence intermédiaire au titre du placement. La CJCE en conclut que cette réglementation allemande, qui crée une entrave pouvant dissuader les demandeurs d'emploi (notamment ceux dont les ressources financières sont limitées) et les agences de placement privées, de chercher un travail dans un autre Etat membre dès lors que la commission de placement ne sera pas acquittée par l'Etat membre d'origine des demandeurs, est, en principe, interdite par l'article 39 CE. 2.2. Rejet des faits justificatifs d'une entrave à la libre circulation des travailleurs La jurisprudence développée par la CJCE admet des entraves à la libre circulation des travailleurs, pour autant qu'elles soient justifiées. Mais, un dispositif (fiscal, politique de l'emploi...) qui entrave la libre circulation des travailleurs ne peut être admis que s'il poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général. Mais, encore faut-il que l'application de ce dispositif soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
En l'espèce, il convient donc d'examiner si le système de bons de placement allemand peut être justifié :
Il incombe aux Etats membres de choisir les mesures susceptibles de réaliser les objectifs qu'ils poursuivent en matière d'emploi. La CJCE a reconnu que les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation dans l'exercice de cette compétence. En outre, il ne saurait être contesté que la promotion de l'embauche constitue un objectif légitime de politique sociale. Toutefois, la marge d'appréciation dont les Etats membres disposent, en matière de politique sociale, ne saurait justifier qu'il soit porté atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions du Traité consacrant leurs libertés fondamentales. Or, de simples affirmations générales concernant l'aptitude du système de bons de placement à améliorer le placement des travailleurs ainsi qu'à diminuer le chômage en Allemagne ne sauraient suffire à démontrer que l'objectif de ce système justifie que l'exercice de l'une des libertés fondamentales du droit communautaire soit restreinte, ni à fournir des éléments permettant raisonnablement d'estimer que les moyens choisis sont (ou pourraient) être aptes à la réalisation de cet objectif.
La CJCE n'est pas plus convaincue par la deuxième justification tirée de la protection du système de Sécurité sociale allemand. En effet, l'existence d'un lien de causalité entre la perte de cotisations sociales en Allemagne et le placement d'un demandeur d'emploi dans un autre Etat membre n'a pas été établie. Compte tenu du taux de chômage élevé en Allemagne, il n'est pas avéré qu'un emploi vacant dans cet Etat le reste plus longtemps au motif qu'un demandeur d'emploi a été placé dans un autre Etat membre. S'il est vrai qu'un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier d'un système de Sécurité sociale peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général, un tel risque n'a pas été démontré en l'espèce, selon la CJCE. Les pertes de cotisations du régime de Sécurité sociale allemand peuvent être modérées. Si le demandeur d'emploi placé dans un autre Etat membre n'est plus tenu de payer des cotisations sociales dans son Etat membre d'origine, ce dernier n'est plus tenu de lui verser des indemnités de chômage. De plus, la nature même de la libre circulation des travailleurs établie par le Traité implique que le départ d'un travailleur vers un autre Etat membre soit susceptible d'être compensé par l'arrivée d'un travailleur venant d'un autre Etat membre.
Enfin, à supposer même que l'organisation du marché du travail, y compris la prévention de la perte de main-d'oeuvre qualifiée, puisse justifier des restrictions à la libre circulation des travailleurs, il convient de relever que la législation allemande va au-delà de ce qui apparaît nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Ces objectifs ne peuvent justifier que soit refusé de manière systématique le bénéfice des bons de placement aux demandeurs d'emploi placés dans d'autres Etats membres. En effet, une telle mesure équivaut à la négation même de la libre circulation des travailleurs, qui vise à garantir aux travailleurs et aux demandeurs d'emploi communautaires le droit d'accéder à une activité salariée de leur choix et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre. |
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