Réf. : Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-45.717, Société Asstec, FS-P+B (N° Lexbase : A3008DRT)
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N3748ALE
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Les règles de conflit applicables au contrat de travail posées par l'article 19 du Règlement n° 44/2001, constituent des règles de compétence spéciales et non générales. Cette qualification a pour conséquence, que le juge français n'a pas dans cette matière, la possibilité de recourir aux règles internes de compétence territoriale posées par l'article R. 517-1 du Code du travail. |
Décision
Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-45.717, Société Asstec, FS-P+B (N° Lexbase : A3008DRT) Cassation (CA Colmar, ch. soc., sect. A, 27 mai 2004) Textes visés : Règlement communautaire n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (N° Lexbase : L7541A8S) ; C. trav., art. R. 517-1 (N° Lexbase : L0663ADW) Mots clés : conflits de juridiction, compétence territoriale, règles de compétence spéciales et générales, contrat de travail international Lien base : et |
Faits et procédure
Un salarié de nationalité italienne domicilié à Strasbourg est engagé en qualité de chef de chantier par une société de droit allemand dont le siège est situé en Allemagne. Il exerce sa prestation de travail exclusivement en France, sur des chantiers situés dans différentes villes, et en dernier lieu, à Limoges. Il conteste la validité de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée et saisit à cette fin, le conseil de Prud'hommes de Strasbourg. Ce dernier se déclare incompétent au profit du conseil de Prud'hommes de Limoges. Le salarié forme un contredit devant la cour d'appel de Colmar. Cette dernière infirme le jugement de première instance, et déclare que la juridiction territorialement compétente est le conseil de Prud'hommes de Strasbourg. L'arrêt est cassé par la Cour de cassation.
Le salarié faisait valoir que les juridictions françaises étaient compétentes par application du Règlement communautaire n°44/2001 du 22 décembre 2000 (article 19 2) a)). Ce texte désigne le tribunal du lieu de travail habituel du salarié. Puisque son lieu de travail habituel était situé en France, il en déduisait qu'il pouvait se référer au droit français, et sollicitait l'application de l'article R. 517-1, alinéa 2, du Code du travail. Conformément à ce texte, n'ayant pas de lieu de travail fixe, il invoquait la compétence du conseil de Prud'hommes dans le ressort duquel était situé son domicile. La société sollicitait, pour sa part, la désignation des juridictions allemandes par application du même règlement communautaire : elle demandait la désignation du tribunal dans le ressort duquel était situé le siège social de la société en application de l'article 19 1).
Elle rappelle, en premier lieu, que l'article 19 du Règlement communautaire relatif aux contrats de travail, ne désigne pas directement la juridiction territorialement compétente, mais seulement l'Etat membre dont les tribunaux seront compétents. Autrement dit, elle considère que l'article 19 du Règlement constitue une règle de compétence générale et non spéciale. Elle constate qu'en l'espèce, le salarié a travaillé en France ce qui justifie la désignation des tribunaux français par application de l'article 19 2) a) du Règlement. Elle applique, dans un second temps, les règles de compétence internes pour déterminer quelle sera précisément la juridiction compétente. Conformément à l'article R. 517-1, alinéa 2, du Code du travail, elle conclut que le conseil de Prud'hommes de Strasbourg est compétent. |
Problème juridique
Les règles de conflit communautaires applicables au contrat individuel de travail, issues de l'article 19 du Règlement du 22 décembre 2000, sont-elles des règles : |
Solution
"Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que l'article 19 paragraphe 2) sous a) du Règlement n° 44/2001 instaure des règles de compétence spéciales qui interdisent à l'Etat membre saisi par un salarié d'une demande dirigée contre un employeur domicilié dans un autre Etat membre, de se référer à ses propres règles de compétence pour déterminer quelle est la juridiction compétente, et, d'autre part, qu'il résulte des constatations des juges du fond que Monsieur Marziale a exécuté son travail sur différents chantiers tous situés en France, dont le denier était situé à Limoges, en sorte qu'elle ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article R. 517-1 du Code du travail pour dire que la juridiction compétente était celle de son domicile, la cour d'appel a violé le texte susvisé". |
Commentaire
I - Les règles de conflit de juridiction applicables aux contrats de travail communautaires, sont des règles de compétence spéciales qui privent le juge français de la faculté de recourir aux règles internes de compétence territoriale
La qualification des règles de conflit applicables aux contrats de travail au regard de cette distinction, constituait le point de désaccord entre la cour d'appel de Colmar et la Cour de cassation. Dans le premier cas, la règle de conflit désigne seulement l'Etat membre dont les juridictions seront compétentes pour juger du litige, sans préciser parmi les tribunaux de cet Etat, lequel devra être spécialement choisi. Ceci implique une seconde étape : à l'intérieur du système judiciaire ainsi désigné, le juge saisi applique ses propres règles de compétence pour désigner précisément, quelle sera la juridiction compétente au sein de cet Etat. Dans le second cas, la règle de conflit désigne non pas l'Etat dont les tribunaux seront compétents, mais directement la juridiction compétente territorialement, sans passer par l'application des règles de compétence internes.
Dans sa rédaction issue de la Convention de Bruxelles, l'identification des règles de compétence spéciale et générale ne créait pas d'importante difficulté. La section I s'intitulait "dispositions générales", et la section II, "compétences spéciales". Parmi ces dernières, figuraient celles relatives au contrat de travail international à l'article 5-1. Si le Règlement communautaire n'a pas modifié en profondeur la teneur des règles de conflit, il en a en revanche modifié la présentation. C'est précisément ce qui a conduit la cour d'appel de Colmar à un raisonnement jugé erroné, selon la Cour de cassation. La cour d'appel, rappelant la rédaction du Règlement communautaire, indique que seule la section 2 de ce texte s'intitule "compétences spéciales" et élimine donc le recours aux dispositions internes. Elle en déduit que la section 5 intitulée "compétence en matière de contrats individuels de travail", ne peut constituer une règle de compétence spéciale. Dans la mesure où il s'agit d'une règle de compétence générale, il faut donc se référer au droit interne de l'Etat désigné par cette disposition, pour déterminer la juridiction compétente.
Selon la Cour de cassation, l'article 19 du Règlement relatif aux règles de compétence en matière de contrat individuel de travail, relève bien des règles de compétence spéciale et non pas des règles de compétence générale. Le raisonnement suivi est le suivant : indépendamment de l'intitulé des sections du Règlement, c'est la formulation même des règles de conflit qui permet de déterminer si elles sont spéciales ou générales. En l'espèce, la lecture de l'article 19 du Règlement permet de constater que cette disposition conduit directement à désigner une juridiction précise, et non simplement un Etat "devant les tribunaux de l'Etat membre où il a son domicile [...] ; devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail [...] ; devant le tribunal du lieu où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur". Cette rédaction est différente de celle de l'article 2, règle de compétence générale qui se contente de déterminer seulement l'Etat membre dont les tribunaux seront compétents "devant les juridictions de cet Etat membre". Ces dernières ne concernent donc pas seulement celles visées à la section 2 du Règlement, mais peuvent également concerner d'autres règles énoncées dans les sections suivantes du règlement et propres à certaines matières (assurances, ...).
Elle emporte l'interdiction pour le juge saisi qui fait application de l'article 19 du Règlement, de se référer à ses propres règles de compétence pour désigner la juridiction compétente. Ainsi le juge français, dès lors qu'il est saisi d'une affaire relative à un contrat de travail présentant des éléments d'extranéité qui justifient l'application du règlement, ne peut invoquer l'article R. 517-1 du Code du travail ni les dispositions du Nouveau Code de procédure civile. Seules les règles communautaires doivent permettre de déterminer la juridiction territorialement compétente.
La Cour de cassation casse sans renvoi l'arrêt rendu par la cour d'appel de Colmar. Elle confirme que le conseil de Prud'hommes compétent est bien celui de Limoges, comme l'avait jugé le conseil de Prud'hommes de Strasbourg. Elle fonde cette décision sur l'application exclusive du Règlement communautaire, sans passer par le droit interne. II - En l'absence de lieu habituel de travail du salarié, il convient de retenir le tribunal dans le ressort duquel se situe le dernier lieu de travail Une seconde précision est apportée par cet arrêt, relative à la situation du salarié qui exécute sa prestation de travail hors de tout établissement, dans plusieurs lieux successifs situés dans un même Etat membre, et relevant du ressort de différents conseils de Prud'hommes.
Il s'agissait précisément du cas dans lequel le salarié exécutait sa prestation de travail hors de tout établissement (1). La Cour de cassation, constatant que les règles communautaires ne répondaient pas à cette situation, faisait application des règles internes du Code du travail. Elle autorisait la saisine du conseil de Prud'hommes dans le ressort duquel était situé le domicile du salarié en application de l'alinéa 2 de ce texte.
Depuis l'entrée en vigueur du Règlement, le juge français n'est donc plus autorisé à appliquer l'article R. 517-1 du Code du travail dans ce cas, et à se référer au lieu de son domicile pour désigner le conseil de Prud'hommes correspondant. III - Cette décision permet de rappeler quelle place les règles de compétence communautaires laissent aux règles de droit interne Il est désormais acquis que lorsque les critères d'application du Règlement sont réunis, le juge saisi est tenu de se référer à ce texte sans pouvoir se référer exclusivement au droit interne (2). Dans tous les cas, le juge d'un Etat membre saisi d'un litige international en matière civile ou commerciale, au sens du Règlement, doit commencer par mettre en oeuvre ce texte afin de vérifier s'il existe une base communautaire de compétence au profit d'un Etat membre. Les règles internes de compétence internationale n'interviennent, le cas échéant, que dans un second temps. Toutefois, ni la Convention de Bruxelles, ni le Règlement du 22 décembre 2000 ne se substituent purement et simplement aux règles de compétence internationales que chaque Etat membre avait élaborées avant l'uniformisation de ces règles dans l'espace communautaire.
Il en est de même lorsque les règles de compétence du Règlement ne localisent pas le litige dans l'ordre juridictionnel d'un Etat membre : l'application du règlement n'aboutit pas à l'aiguillage du litige vers la juridiction d'un Etat membre. L'Etat membre fait alors application de ses propres règles internes de compétence internationale. La Cour de cassation reconnaît dans ce cas, une extension à l'ordre international, des règles internes de compétence et notamment de l'article R. 517-1 du Code du travail (3). Les règles internes de compétence internationale sont alors des règles de compétence générale.
Les règles internes de compétence internationale constituent alors des règles de compétence spéciale lorsque le règlement ne prend position que sur la compétence internationale générale. Tel n'est toutefois pas le cas des règles de conflit relatives aux litiges liés à des contrats de travail.
Adeline Larvaron
(1) Cass. soc., 9 avril 1987, n° 84-42.669, Société anonyme Compagnie française d'assistance spécialisée (COFRAS) c/ M. Chabanne (N° Lexbase : A7420AA3) ; Cass. soc., 16 mars 2004, n° 02-40.388, Société Défense conseil international c/ M. Mohamed Al Abdeh, FS-P+B (N° Lexbase : A6064DB9). |
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