Réf. : Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-10.250, Mme Chérifa Mezid, épouse Guillane, FS-P+B (N° Lexbase : A4485DQ8)
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N2581AL8
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le 07 Octobre 2010
Dans une première approche, la solution peut ne pas réellement surprendre et sembler, somme toute, assez classique. La Haute juridiction a, en effet, déjà jugé que la présence d'un piéton sur le passage à niveau jouxtant une gare, malgré la fermeture des demi-barrières, n'était pas imprévisible (1) ou encore, plus proche de l'espèce aujourd'hui commentée, que n'est pas imprévisible pour la SNCF le fait, pour la victime, d'être descendue d'un train en marche, dès lors que le système de fonctionnement des portes rend cet acte possible, bien que dangereux (2). Rien, donc, apparemment, de quoi justifier un commentaire.
Pourtant, à l'analyse, l'appréciation faite par la Cour de cassation des caractères de la force majeure paraît assez difficile à saisir, particulièrement lorsque l'on compare la solution avec celle de l'un des arrêts de l'Assemblée plénière du 14 avril dernier (préc.). Dans le second des deux arrêts d'Assemblée plénière d'avril, en effet, il s'agissait de savoir si le fait, pour une victime, de se jeter volontairement sous une rame pouvait caractériser un cas de force majeure permettant l'exonération du gardien au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, en l'occurrence en l'espèce la régie autonome des transports parisiens (RATP) -étant entendu que la faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure. Or, tout à fait classiquement, la Haute juridiction énonçait, sous la forme d'un attendu de principe, que "si la faute de la victime n'exonère totalement le gardien qu'à la condition de présenter les caractères d'un événement de force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l'accident, un caractère imprévisible et irrésistible". Et de considérer, finalement, que le comportement volontaire de la victime n'était pas prévisible dans la mesure où aucun des préposés de la RATP ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame, et qu'il n'avait été constaté aucun manquement aux règles de sécurité imposées à l'exploitant d'un réseau, si bien que l'accident était, pour le gardien, irrésistible. La rigueur de l'arrêt du 13 juillet dernier parait assez mal s'accorder avec l'arrêt de l'Assemblée plénière : si, en effet, l'Assemblée plénière a jugé que le fait de se jeter volontairement sous une rame n'était pas imprévisible, c'est bien parce qu'elle a considéré qu'il n'était pas possible pour le transporteur de surveiller toutes les voies et donc de pouvoir empêcher ce type de comportement. Or, tel était, plus ou moins, l'argumentation de la SNCF dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté de juillet dernier. Par où il apparaît que, dans certains cas, le fait de ne pas pouvoir prévoir tous les comportements des usagers peut constituer un cas de force majeure, mais pas dans d'autres. A vrai dire, dans les deux cas selon nous, le comportement de la victime n'était pas imprévisible : tout le monde sait bien que certains voyageurs, animés d'une intention suicidaire, se jettent parfois volontairement sous une rame, pas plus que l'on ignore que d'autres, sans aucune conscience du danger existant et bravant toute forme d'interdit, actionnent le dispositif de sécurité de fermeture des portes et tombent du convoi. En réalité, de tels comportements, à défaut d'être sérieusement imprévisibles, sont, sans doute, irrésistibles pour le transporteur qui, effectivement, ne peut pas systématiquement les empêcher. Mais, à supposer que cette analyse soit la bonne, il faudrait alors se demander si l'affirmation de l'Assemblée plénière il y quelques mois selon laquelle le constat de l'irrésistibilité de l'événement ne serait pas suffisant pour permettre de caractériser la force majeure est, au-delà des formules utilisées, aussi assurée qu'on pouvait le croire. Tout cela appellerait sans doute un effort de clarification.
David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 00-14.980, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Christian Sellas, FS-P+B (N° Lexbase : A7401A4U), Bull. civ. II, n° 18, RTDCiv. 2003, p. 301, obs. P. Jourdain.
(2) Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 00-15.597, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Philippe Pernuit, FS-P+B (N° Lexbase : A7403A4X), Bull. civ. II, n° 17, RTDCiv. 2003, p. 301, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 27 février 2003, n° 01-00.659, Mme Monique Desseau, épouse Giuliano c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), FS-P+B (N° Lexbase : A3049A73), Bull. civ. II, n° 45, Dr. et patr. juin 2003, p. 90, obs. F. Chabas ; adde, dans le même sens pour un accident d'ascenseur : Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 02-19.454, M. Amidane Yajbar c/ Agence Tortel - agence Vaucluse voyages, FS-P+B (N° Lexbase : A6237DBM), Bull. civ. II, n° 139.
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