La lettre juridique n°221 du 29 juin 2006 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux : les dés sont-ils jetés lors de la délivrance du congé ?

Réf. : Cass. civ. 3, 30 mai 2006, n° 05-15.590, M. Joseph Frejus c/ Mme Manuela Crossman, F-D (N° Lexbase : A7631DPC)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Le bailleur ne peut dénier à son locataire le bénéfice du statut des baux commerciaux, après avoir offert le renouvellement, sauf survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu du bailleur lorsqu'il a donné son accord sur le renouvellement. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 mai 2006 qui semble constituer un revirement de jurisprudence. En l'espèce, par acte du 9 novembre 1998, les propriétaires de locaux à usage artisanal et d'habitation avaient donné congé à leur locataire avec offre de renouvellement moyennant un certain loyer. Aucun accord sur le prix du bail renouvelé n'ayant pu être trouvé entre les propriétaires et les locataires, le juge des loyers commerciaux avait été saisi. En cause d'appel, les bailleurs avaient rétracté leur offre de renouvellement et demandé qu'il soit constaté que les locataires ne pouvaient bénéficier du statut des baux commerciaux en raison de l'absence d'immatriculation de l'un des deux preneurs au répertoire des métiers au moment de la délivrance du congé. Cette demande ayant été accueillie par les juges du fond, les locataires se sont pourvus en cassation.

La Haute cour a ainsi été invitée à se prononcer sur la possibilité, pour le bailleur, de rétracter une offre initiale de renouvellement

I - L'immatriculation du preneur, condition du droit au renouvellement

Aux termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ), les dispositions du statut des baux commerciaux "s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce [...]".

Bien que ce texte semble ériger la condition de l'immatriculation du preneur en condition d'application du statut des baux commerciaux dans son ensemble, la Cour de cassation a précisé que l'immatriculation n'était qu'une condition du droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842, Syndicat mixte pour l'aménagement touristique de la montagne c/ Epoux Mathot N° Lexbase : A1903ACH et Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381 N° Lexbase : A6682C9D).

Cette condition doit être respectée tant à la date de la délivrance du congé du bailleur (Cass. civ. 3, 10 juillet 2002, n° 00-20.909, FS-P+B N° Lexbase : A1037AZG) ou de la demande de renouvellement du locataire (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 99-10.455, Société Continent Hypermarchés c/ Société Lenault N° Lexbase : A9131AGB) qu'à celle de l'expiration du bail (Cass. civ. 3, 2 juin 1999, n° 97-19.324, Epoux Simon c/ Epoux Toutain N° Lexbase : A4870AUW). Il n'est pas nécessaire, en revanche, que cette condition soit remplie pendant toute la procédure de renouvellement ou de fixation de l'indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, M. Philippe Degrugillier c/ Société civile immobilière (SCI) La Rotonde de Béthune, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9), la Cour de cassation ayant pendant un temps jugé le contraire (Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-21.685, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3892AYS).

En présence d'une pluralité de preneurs, chacun d'eux doit être immatriculé (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-12.879, M. Boileau-Beyrie c/ M. Mazaud et autres N° Lexbase : A8903AAY, Cass. civ. 3, 17 octobre 1990, n° 89-12.824, M. Boutemy c/ Consorts Des Roys d'Eschandelys et autre N° Lexbase : A4501ACP), sauf si les copreneurs sont des époux communs en biens ou héritiers indivis (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984, M. Azoug c/ Société civile immobilière du Goulet et autre N° Lexbase : A8962AA8, Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884, Société Tesmer Immo et autre c/ M. Beloucif et autre N° Lexbase : A4740ACK et Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472, M. Akli Amrioui et autres c/ M. David Skornik N° Lexbase : A0026AUI). A défaut d'immatriculation d'un seul des copreneurs, aucun ne pourra prétendre bénéficier d'un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472, précité).

Dans l'arrêt commenté, au moment de la délivrance du congé délivré par les bailleurs, seul l'un des locataires était immatriculé au répertoire des métiers, l'autre preneur ayant été radié de ce répertoire antérieurement à cette date.

En conséquence, en application des jurisprudences constantes précitées, les locataires ne pouvaient se reconnaître un droit au renouvellement de leur bail.

Néanmoins, les propriétaires avaient délivré un congé avec offre de renouvellement, ignorant à cette époque, semble-t-il, l'absence d'immatriculation de l'un de leurs locataires.

Ce n'est donc que postérieurement, plus précisément en cause d'appel dans le cadre de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé, que les bailleurs ont rétracté leur offre de renouvellement.

La question a donc été posée à la Cour de cassation de la possibilité pour les bailleurs de dénier à leurs preneurs tout droit au renouvellement pour défaut d'immatriculation alors qu'ils avaient initialement reconnu ce droit en délivrant un congé avec offre de renouvellement.

II - La possibilité d'invoquer de nouveaux motifs de refus de renouvellement sans indemnité d'éviction

Aux termes de l'article L. 145-9, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5737AIC), le congé doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné. De manière symétrique, l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5738AID) impose au bailleur de préciser également, dans sa réponse à une demande de renouvellement du locataire, les motifs de son refus éventuel.

La jurisprudence en a conclu que, compte tenu de cette exigence de la motivation du congé ou de la réponse du bailleur, il ne saurait être substitué au motif initial un motif différent au cours de l'instance (Cass. com., 16 mars 1960, n° 58-12.807, Borre de Loisy c/ Ville d'Avignon N° Lexbase : A5557AUD).

Il a été apporté un tempérament à cette interdiction qui ne concerne, en effet, que les motifs connus du bailleur lors de la délivrance du congé ou de la demande de renouvellement (Cass. com., 20 janvier 1965, n° 60-11.584, Epoux Hublet c/ Epoux Janvier de Stephano N° Lexbase : A9609AGY, Cass. civ. 3, 17 novembre 1981, n° 80-12.242, Ponthieu c/ Dame Ouspensky N° Lexbase : A7479AG4, Cass. civ. 3, 4 mai 1982, n° 80-16.305, Chergui c/ Société civile Didot N° Lexbase : A7514AGE et Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-16.105, M. Jean Passicos et autres c/ M. Bernard Vargues et autres N° Lexbase : A9946ATK) : les manquements postérieurs à cette délivrance ou inconnus du bailleur à cette date pourront valablement fonder un refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.

En outre, la Cour de cassation avait également institué un régime particulier pour l'acte portant dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux. Cette hypothèse est à distinguer du refus de renouvellement pour motif grave et légitime. Dans ce dernier cas, en effet, le bailleur considère que, d'une part, le statut des baux commerciaux s'applique au bail qu'il a consenti et, d'autre part, que le locataire remplit les conditions du droit au renouvellement. Il refuse, cependant, de régler une indemnité d'éviction en raison d'un motif grave et légitime. Dans l'hypothèse de la dénégation, le bailleur considère que le statut des baux commerciaux ne s'applique pas, un des critères objectifs de son champ d'application faisant défaut, ou l'une des conditions du droit au renouvellement, par exemple, l'immatriculation, n'étant pas remplie.

Puisque, par définition, les dispositions du statut ne s'appliquent pas et que l'interdiction faite au bailleur de substituer un motif de refus de renouvellement au motif initial repose sur les articles L. 145-9 et L. 145-10 du Code de commerce, il n'y avait pas de raison d'interdire au bailleur de dénier au locataire le bénéfice de l'application du statut ou du droit au renouvellement, même lorsqu'il avait eu connaissance, lors de la délivrance du congé ou de la réponse à la demande de renouvellement, de la défaillance d'une condition d'application du statut ou du droit au renouvellement.

C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation (Cass. com., 12 octobre 1960, n° 59-10.476, Société anonyme des Autos Transports du Chablais et Faucigny c/ Demoiselle Detraz N° Lexbase : A9639AG4, Cass. com., 4 avril 1962, Balech c/ Melix N° Lexbase : A1716AZL).

Ainsi, la Haute cour a affirmé que le "bailleur peut, après le congé, refuser le renouvellement du bail sans indemnité, s'il établit que les conditions du droit au renouvellement ne sont pas établies" dans une espèce proche de celle de l'arrêt rapporté, puisque les parties avaient convenu d'un accord sur le principe même du renouvellement et qu'en cours d'instance en fixation du loyer du bail renouvelé, le bailleur avait dénié au locataire tout droit au renouvellement pour défaut d'immatriculation lors de la délivrance du congé alors que, vraisemblablement, il avait, dès cette époque, connaissance de cette absence d'immatriculation (Cass. civ. 3, 23 février 1994, n° 92-15.473, Mme Thibon de Courtry c/ Société Compagnie Fives Lille et autres N° Lexbase : A9712ATU).

Dans une décision plus récente, la Cour de cassation avait également clairement affirmé que "le bailleur [peut], même s'il avait eu, lors de la délivrance du congé, connaissance de la non-inscription du preneur au registre du commerce, rétracter l'offre de paiement d'une indemnité d'éviction, s'il établit que cette condition n'était pas remplie" (Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 96-19.528, F-D N° Lexbase : A0572AXH).

L'arrêt commenté consacre une solution contraire. En effet, c'était bien une dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux (en réalité, du droit au renouvellement puisque la condition de l'immatriculation n'est qu'une condition du droit au renouvellement selon la jurisprudence, voir ci-avant), qu'opposaient les bailleurs à leurs locataires pour défaut d'immatriculation.

Ils auraient donc dû, en application de la jurisprudence précitée, pouvoir rétracter une offre antérieure de renouvellement sans qu'il soit nécessaire que le manquement justifiant la dénégation soit survenu postérieurement au congé ou ait été inconnu des bailleurs de la délivrance de leur congé.

Cependant, l'arrêt du 30 mai 2006 censure les juges du fond au motif qu'ils ne pouvaient dire que le preneur ne pouvait bénéficier du statut des baux commerciaux sans constater la survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu des bailleurs lorsque ces derniers ont donné leur accord sur le renouvellement.

Le texte visé, étrangement, est l'article L. 145-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L5745AIM) qui est relatif au motif grave et légitime, notion qui n'était pas en cause en l'espèce puisque aucune infraction n'était reprochée aux locataires.

En outre, le texte même de l'article L. 145-17 du Code de commerce ne permet pas de justifier la solution selon laquelle seuls les motifs invoqués dans le congé ou la réponse à la demande de renouvellement peuvent être pris en compte.

Cette décision, qui n'aura pas les honneurs du bulletin, laisse donc dubitatif. Revirement de jurisprudence ou arrêt isolé ? Elle ne manquera pas, à tout le moins, de susciter un débat.

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