La lettre juridique n°214 du 11 mai 2006 :

[Evénement] Réforme du droit des sûretés : le gage de meubles corporels

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par Compte-rendu réalisé par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

le 07 Octobre 2010

L'ordonnance du 23 mars dernier (ordonnance du 23 mars 2006, n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH) permet de rendre plus lisible le droit des sûretés, simplifie le mode de réalisation des sûretés et contribue à une modernisation de l'hypothèque. Afin d'examiner la portée pratique des ces changements, une Rencontre-Lamy, présidée par Daniel Tricot, président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et animée par Gaëlle Marraud des Grottes, a eu lieu, le 5 mai dernier, avec pour thème "La réforme du droit des sûretés. Incidences pratiques". Sont intervenus, au cours de cette journée, Laurent Aynès, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne, Paris I, Annie Bac, Directeur des affaires juridiques, Fédération bancaire française, Pierre Crocq, Professeur à l'Université Panthéon-Assas, Paris II, Philippe Dupichot, Professeur à l'Université du Maine, Avocat au Barreau de Paris, Eliane Frémeaux, Notaire à Paris, et Michel Grimaldi, Professeur à l'Université Panthéon-Assas, Paris II, Président de l'Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française. Daniel Tricot, à cette occasion, a souligné le côté apaisant du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 23 mars 2006, puisqu'il a pour objectif de "moderniser les sûretés afin de les rendre lisibles et efficaces tant pour les acteurs économiques que pour les citoyens tout en préservant l'équilibre des intérêts en présence". Et d'ajouter que cette réforme apporte des règles innovantes qui facilitent la constitution des sûretés, en élargissent les assiettes, et se soucient de la protection de ceux qui recourent au crédit. Nous nous consacrerons, ici, à l'intervention de Laurent Aynès, portant sur le gage de meubles corporels. L'ordonnance du 23 mars 2006 introduit une réforme profonde des sûretés réelles en droit français, et notamment, des sûretés portant sur les meubles corporels. Il s'agit de la première réforme générale en la matière depuis 1804. En effet, le législateur intervenait, auparavant, de manière ponctuelle, et ces interventions ponctuelles avaient deux caractéristiques : d'une part, elles touchaient au domaine de la vie commerciale et, d'autre part, elles consistaient à organiser un gage sans dépossession, celle-ci étant remplacée par une publicité.
Cette ordonnance réforme donc les sûretés mobilières de droit commun, tout en laissant subsister les régimes spéciaux. Un autre point est à souligner : ce sont les sûretés conventionnelles qui se trouvent réformées par l'ordonnance, phénomène qui s'inscrit dans un mouvement général d'un recul des sûretés légales face aux sûretés conventionnelles.

I - Etat du droit français des sûretés mobilières avant la réforme

Le droit français des sûretés, avant la réforme, était d'une faible efficacité et emprunt de rigidité, comme en témoignent quatre points.

1. Le gage était un contrat réel et impliquait donc la dépossession du constituant, que le gage soit civil ou commercial. L'article L. 521-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6744AIM), qui énonce que, "dans tous les cas, le privilège ne subsiste sur le gage qu'autant que ce gage a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers convenu entre les parties", témoigne de l'exigence centrale de la dépossession.

2. Par ailleurs, les gages sans dépossession étaient tous spéciaux, en ce sens qu'ils nécessitaient un texte spécial (cf. le nantissement de matériel et outillage, les warrants, le gage automobile). Par conséquent, en l'absence de texte spécial, le gage sans dépossession était impossible.

3. De plus, la nécessité de la dépossession rendait impossible le gage d'un meuble futur, ou difficile le gage d'un stock.

4. Enfin, le gage de droit commun présentait un avantage considérable, spécialement en cas de procédure collective du constituant : le droit de rétention.

II - Les voies possibles de la réforme

Certains praticiens et auteurs souhaitaient que la matière des sûretés mobilières fût repensée. Deux voies étaient alors envisageables.

1. La première voie envisageable reposait sur le modèle nord-américain, qui consiste en l'adoption d'une sûreté mobilière unique : le security interest. Il s'agit d'une sûreté dont la constitution est extrêmement simple : elle nécessite une publicité, et le système de publicité est très accessible car nominatif. Mais il existe un inconvénient grave à ce système, cette simplicité de constitution ayant pour contrepartie une difficulté extraordinaire dans l'établissement des rangs ; il existe donc de nombreux conflits sur l'ordre des privilèges, et les créanciers sont découragés à plaider jusqu'au bout.

2. La seconde voie se présentant était le système germanique, reposant sur la réserve de propriété.

III - La solution retenue par l'ordonnance du 23 mars 2006

Les rédacteurs se sont inspirés du guide législatif de la CNUDCI, dans lequel figurent cinq principes directeurs qui vont, plus ou moins, se retrouver dans la législation française.
La réforme n'est cependant pas allée jusqu'au bout de l'unification.
De plus, cette avancée parallèle du droit des sûretés et du droit des procédures collectives est regrettable, bien que le droit des sûretés ait un domaine d'application beaucoup plus large que résister aux procédures d'insolvabilité.

Trois principes se dégagent, finalement, de la solution retenue par l'ordonnance :
1. maintenir une pluralité de sûretés mobilières ;
2. généraliser le gage sans dépossession ;
3. créer une sûreté mobilière propre aux établissements de crédit.

IV - Le contenu de la réforme

Laurent Aynès analyse le contenu de la réforme en huit points.

1. L'abandon du caractère réel du gage

Désormais, la dépossession, comme l'inscription, est une mesure de publicité, c'est-à-dire que c'est une règle d'opposabilité.
Il s'agit ici du point majeur de la réforme. Cela rend possible le gage d'un ensemble de biens, et notamment, le gage de meubles futurs. Ainsi, l'article 2333 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1160HIS) définit le gage comme la "convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs" : cette disposition ne mentionne donc plus du tout la dépossession.
Les rédacteurs se sont, ici, conformés au guide législatif de la CNUDCI.

2. L'affirmation du caractère formaliste (solennel) du gage (mais cas particulier du gage commercial)

L'article 2336 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1163HIW) dispose que "le gage est parfait par l'établissement d'un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature". Le terme "parfait" signifie donc que le gage est constitué à partir du moment où l'écrit est établi, avec les mentions énoncées.
Reste, toutefois, une exception, qui est le gage commercial. En effet, l'article L. 521-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1394HIH) est maintenu.

3. Consécration de la jurisprudence en matière de cautionnement réel

L'ordonnance du 23 mars 2006 a procédé à la consécration de la jurisprudence unifiée de la Cour de cassation relative au cautionnement réel (lire N° Lexbase : E8955D33). Cette consécration ne se trouve que dans les textes portant sur le gage, ce qui témoigne de la condamnation de l'expression même de cautionnement réel.
L'article 2334 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1161HIT) énonce, ainsi, que "le gage peut être consenti par le débiteur ou par un tiers ; dans ce dernier cas, le créancier n'a d'action que sur le bien affecté en garantie".

4. La publicité du gage : option entre la dépossession et l'inscription

L'opposabilité du gage aux tiers vise à la fois le droit de préférence et le droit de suite. Elle est réalisée :
- soit par la dépossession (auquel cas il n'y a pas de publicité), l'avantage de ce système résidant dans le fait que la dépossession suppose le droit de rétention ;
- soit par l'inscription du gage sur un registre spécial.

L'article 2337 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1164HIX) énonce, en effet, que :
"Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite.
Il l'est également par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet.
Lorsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du constituant ne peuvent se prévaloir de l'article 2279
(N° Lexbase : L2567ABP)".
L'article 2338 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1165HIY) énonce, ensuite, que "le gage est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités sont réglées par décret en Conseil d'Etat". Ce décret est prévu pour la fin du mois de juin. A priori, la publicité sera effectuée au registre du commerce et des sociétés, même pour les non-commerçants. La Chancellerie devra mettre au point un système de décentralisation de la publicité au nom du constituant. C'est un point essentiel de la réforme, donnant lieu à l'unification et la transparence.

L'inscription a pour effet de rendre opposable le droit de préférence. Le rang est déterminé par la date d'inscription. L'inscription confère aussi le droit de suite. L'efficacité du droit de suite par l'inscription se perçoit à la lecture du dernier alinéa de l'article 2337 nouveau du Code civil précité, qui anéantit l'article 2279 du Code civil.

Aussi convient-il d'envisager l'hypothèse de deux gages successifs. L'article 2340, alinéa 2, nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1167HI3) prévoit que, "lorsqu'un bien donné en gage sans dépossession fait ultérieurement l'objet d'un gage avec dépossession, le droit de préférence du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier gagiste postérieur lorsqu'il est régulièrement publié nonobstant le droit de rétention de ce dernier". Ainsi, dans une telle hypothèse, le second gagiste est entré en possession mais ne pourra opposer son droit de rétention au premier gagiste inscrit.

Enfin, Laurent Aynès souligne que "le législateur est allé trop loin", en énonçant, à l'article 2335 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1162HIU), que "le gage de la chose d'autrui est nul. Il peut donner lieu à des dommages et intérêts lorsque le créancier a ignoré que la chose fût à autrui". Dans le système antérieur, le gage de la chose d'autrui n'était pas nul si le créancier gagiste était entré en possession de bonne foi. Il y a, de plus, un doute sur ce texte qui est "faussement clair" : quelle est cette nullité ? Pour Laurent Aynès, il s'agit d'une nullité de protection que seul le créancier gagiste peut invoquer et, s'il ne l'invoque pas, le conflit de loi sera tranché par l'article 2279 du Code civil.

5. L'objet du gage : chose future, chose fongible, ensemble de choses ; cas particulier du gage des stocks

Il ressort de la définition du gage donnée par l'article 2233 nouveau du Code civil que peuvent faire l'objet d'un gage, tant les meubles présents que les meubles futurs, ou encore un ensemble de meubles présents et futurs.

La question des choses fongibles conduit à poser deux hypothèses :
- soit il s'agit d'un gage avec dépossession, auquel cas l'article 2341, alinéa 1, nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1168HI4) prévoit que le créancier doit tenir les choses fongibles "séparées des choses de même nature qui lui appartiennent. A défaut, le constituant peut se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article 2344 (N° Lexbase : L1171HI9).
Si la convention dispense le créancier de cette obligation, il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes". Le Professeur Aynès retient, ici, l'attention sur le fait que, s'il est dit que le créancier acquiert la propriété des choses gagées, il acquiert, en fait, le droit d'en disposer ;
- soit il s'agit d'un gage sans dépossession, auquel cas le constituant peut aliéner ces choses, à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes.

Se pose, alors, la question de savoir pourquoi l'ordonnance prévoit un gage de stocks (C. com., art. L. 527-1 à L. 527-11 nouv. N° Lexbase : L1399HIN). La loi d'habilitation avait expressément prévu que le Gouvernement pouvait modifier les dispositions du Code de commerce sur le gage des stocks. Or ce gage était, de fait, déjà introduit dans le droit commun.
Ce gage est réservé aux établissements de crédit pour tout crédit consenti à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l'exercice de son activité professionnelle. Certaines mentions doivent figurer, le pacte commissoire est interdit, et le gage doit faire l'objet d'une inscription dans les quinze jours de sa constitution sous peine de nullité.
Peut-on, alors, choisir entre ce gage plus exigeant et le gage de droit commun ? Selon Laurent Aynès, rien ne permet de dire que le gage des stocks du Code de commerce est obligatoire.

6. Une créance présente ou future

L'ordonnance prévoyant la possibilité de gager un meuble corporel présent ou futur, il n'y a plus, aujourd'hui, les incertitudes, qui se posaient, notamment, en matière de comptes-courants, sur la possibilité de gager une chose future. Toutefois, la créance doit être déterminable.

7. La réalisation du gage : vente forcée, attribution judiciaire et pacte commissoire

L'article 2348 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1175HID) prévoit qu'"il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu'à défaut d'exécution de l'obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé.
La valeur du bien est déterminée au jour du transfert par un expert désigné à l'amiable ou judiciairement, à défaut de cotation officielle du bien sur un marché organisé au sens du code monétaire et financier. Toute clause contraire est réputée non écrite.
Lorsque cette valeur excède le montant de la dette garantie, la somme égale à la différence est versée au débiteur ou, s'il existe d'autres créanciers gagistes, est consignée".

Il est donc, désormais, possible d'avoir recours au pacte commissoire.

Ce pacte, cependant, est inefficace en cas de procédures collectives.
De plus, la rédaction du deuxième alinéa, selon lequel la valeur du bien est déterminée au jour du transfert, ne permet pas de déterminer la date à laquelle s'opère le transfert lui-même. Pour le Professeur Aynès, la convention de gage pourra régler cette question-là.

Dans la logique du système, le pacte commissoire est susceptible de jouer de manière automatique au moment de la défaillance du débiteur principal.
Ce pacte commissoire est possible dans le gage de meubles corporels. Désormais, un grand nombre de nantissements peuvent comprendre un pacte commissoire. Tel est le cas, notamment du nantissement d'instruments financiers ; mais on peut sûrement prévoir conventionnellement que le créancier bénéficiant d'un nantissement d'instruments financiers préférera utiliser les solutions proposées par le Code monétaire et financier, telle que l'attribution judiciaire.

8. Dispositions transitoires

Les dispositions transitoires expresses ont trait au gage automobile. Cette réforme nécessite un certain nombre d'aménagements par décret.

On trouve, par ailleurs, des dispositions transitoires tacites, implicites, à l'égard du gage de meubles incorporels, qui n'ont pas de régime particulier. Pour Laurent Aynès, le nouveau mécanisme du gage par inscription, ainsi que les modalités de l'inscription, ne sont pas prévues : par conséquent, l'on doit considérer que l'application est différée et que ce sont les anciennes dispositions qui continuent à s'appliquer (par exemple, pour le nantissement de valeurs mobilières).

En conclusion, Laurent Aynès estime que le législateur aurait pu faire mieux. Toutefois, compte tenu du fait qu'un pan du droit des sûretés dépende du droit des procédures collectives, et de l'histoire des sûretés elle-même, l'ordonnance a fait un pas très important vers l'unification et l'efficacité.

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