La lettre juridique n°214 du 11 mai 2006 : Social général

[Jurisprudence] Compétence territoriale de l'AGS : le critère unique du lieu d'exécution de la prestation de travail

Réf. : Cass. soc., 26 avril 2006, n° 03-47.334, AGS de Paris c/ Mme Kiyomi Aoki, F-P+B (N° Lexbase : A2050DPM)

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Lorsque le législateur français a créé l'assurance de garantie des salaires (AGS), afin de garantir les salaires en cas d'insolvabilité de l'employeur mis en cessation de paiement, il n'avait probablement envisagé que l'hypothèse d'une procédure collective engagée en France (v. J.-P. Laborde, Le salarié d'un établissement français d'une société soumise à procédure collective à l'étranger peut revendiquer le bénéfice de l'AGS, Lexbase Hebdo n° 77 du 27 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : X6020ABL ; l'auteur évoque le "territorialisme profond de l'AGS, qui n'est pas sans rappeler celui de la Sécurité sociale elle-même"). Si le législateur incluait explicitement, dans le giron de l'AGS, les salariés expatriés ou détachés victimes d'une procédure collective décidée en France, il n'envisageait pas le sort des salariés travaillant en France et victimes d'une procédure collective engagée à l'étranger. Sous l'influence du droit communautaire, la Cour de cassation a, d'abord, décidé que les créances de salaire devaient être garanties lorsque la société étrangère disposait d'un établissement en France (1), avant de poser en principe, dans l'arrêt commenté, que les créances garanties étaient celles des salariés exerçant leur prestation de travail en France (2).
Solution inédite

L'AGS est tenue de garantir les créances de salaires des travailleurs d'une société étrangère lorsqu'ils exercent leur prestation de travail en France et ce, quelle que soit la nature juridique de l'établissement qui les emploie.


Décision

Cass. soc., 26 avril 2006, n° 03-47.334, AGS de Paris c/ Mme Kiyomi Aoki, F-P+B (N° Lexbase : A2050DPM)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. E, 19 septembre 2003

Mots-clefs : compétence de l'AGS ; travailleurs d'une société étrangère exerçant leur activité en France ; indifférence de la nature juridique de l'établissement.

Textes visés : article 3 de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 (N° Lexbase : L9435AUY), C. trav., art. L. 143-11-1 (N° Lexbase : L7703HBW)

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Faits

1. Mme Aoki a été engagée, le 10 février 1992, en qualité de directrice du service client, par la société Voyages Jet France. Son contrat de travail a été transféré à la société anglaise Jetour Europe limited, dont la liquidation judiciaire a été prononcée, selon la loi anglaise, le 10 février 1998. La salariée a été licenciée pour motif économique, le 5 janvier 1998. Elle a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir l'inscription au passif de la société Jetour Europe de sa créance, au titre de la rupture de son contrat de travail et d'un rappel de salaire, ainsi que la garantie de l'AGS.

2. Dans un arrêt du 19 septembre 2003, la cour d'appel de Paris a décidé que l'AGS et l'Unedic devaient garantir les créances fixées au passif de la société anglaise.


Solution

1. Rejet.

2. "Lorsqu'une entreprise est mise en liquidation dans un Etat membre et dispose d'un établissement dans un autre Etat membre, les créances des salariés qui y exercent leur activité sont garanties, en cas d'insolvabilité de leur employeur, par les institutions du lieu de cette activité".

"La cour d'appel qui a constaté que la société de droit anglais avait été mise en liquidation en Grande Bretagne et que Mme Aoki exerçait son activité salariée en France où son employeur était établi, quelle que soit la nature juridique de cet établissement, a décidé à bon droit que l'AGS devait garantir les créances résultant du contrat de travail, par application de l'article L. 143-11-1 du Code du travail qui a valeur de transposition en droit français de la Directive précitée".


Commentaire

1. La garantie de la créance du salarié d'un établissement français d'une société étrangère

Selon l'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7703HBW) "tout commerçant, toute personne inscrite au répertoire des métiers, tout agriculteur, toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante et toute personne morale de droit privé, employant un ou plusieurs salariés, doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés mentionnés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires".

Si le législateur fait référence aux salariés travaillant à l'étranger pour des sociétés françaises, il semble ne pas avoir envisagé la situation des salariés employés en France par des sociétés étrangères. Pendant longtemps, les "procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation" mentionnées par l'article L. 143-11-1 du Code du travail étaient regardées comme étant nécessairement celles de la loi française du 25 juillet 1985 sur les procédures collectives (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L7852AGW) (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 93-43.577, Assedic de Poitou-Charentes et autre c/ M. Perchais et autre N° Lexbase : A1137AAD).

Cette solution ancienne n'entrait, d'ailleurs, pas en opposition avec le droit communautaire lui-même, puisque la Cour de justice des Communautés européennes affirmait, alors, que "lorsque l'employeur est établi dans un autre Etat membre que celui où le travailleur réside et exerce son activité, l'institution de garantie compétente est celle de l'Etat dans lequel a lieu l'ouverture de la procédure ou de la fermeture de l'entreprise" (CJCE, 17 septembre 1997, aff. C-117/96, Danmarks Aktive Handelsrejsende, agissant pour Carina Mosbæk c/ Lønmodtagernes Garantifond N° Lexbase : A0370AWM).

Mais, dans un important arrêt "Everton et Barrass" du 16 décembre 1999, la CJCE a décidé d'infléchir sa jurisprudence en affirmant que "lorsque les travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur exercent leur activité salariée dans un Etat membre pour le compte de la succursale d'une société constituée selon le droit d'un autre Etat membre, dans lequel cette société a son siège social et y est mise en liquidation, l'institution compétente, au regard de l'article 3 de la Directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980 (N° Lexbase : L9435AUY), pour le paiement des créances de ces travailleurs est celle de l'Etat sur le territoire duquel ils exerçaient leur activité salariée" (CJCE, 16 décembre 1999, aff. C-198/98, G. Everson et T.J. Barrass c/ Secretary of State for Trade and Industry et Bell Lines Ltd N° Lexbase : A0610AWI).

Dans un arrêt rendu le 2 juillet 2002 (Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 99-46.140, FS-P+B+R, N° Lexbase : A0626AZ9), la Cour de cassation s'est adaptée à cette jurisprudence de la CJCE. Elle a, en effet, posé en principe que l'AGS est compétente pour garantir les créances des salariés "exerçant leur activité dans un établissement situé sur le territoire français", et ce même si l'entreprise a été mise en faillite dans un autre Etat de l'Union européenne. Cette solution, confirmée par deux arrêts en date du 3 juin 2003 (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-41.697, AGS c/ M. André Schatz, FP -P+B N° Lexbase : A9377C7G ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 00-45.948, FP-P+B+I N° Lexbase : A6992CK8), était cependant d'une portée très incertaine.

Il semble, en effet, que la Cour de cassation ne faisait, alors, obligation à l'AGS de garantir les créances salariales que lorsque la société étrangère employant le salarié disposait bien d'un établissement, au sens juridique du terme, sur le territoire français (v. J.-P Laborde, article précité). C'est cette solution qui est remise en cause par l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 26 avril 2006.

2. La garantie de la créance du salarié d'une entreprise étrangère exerçant son activité salariée en France

Dans l'arrêt commenté du 26 avril 2006, la Cour de cassation commence par rappeler le traditionnel principe selon lequel "lorsqu'une entreprise est mise en liquidation dans un Etat membre et dispose d'un établissement dans un autre Etat membre, les créances des salariés qui y exercent leur activité sont garanties, en cas d'insolvabilité de leur employeur, par les institutions du lieu de cette activité".

La nouveauté réside dans l'interprétation de la notion d'établissement par la Cour de cassation. Cette dernière affirme, en effet, que "la cour d'appel qui a constaté que la société de droit anglais avait été mise en liquidation en Grande Bretagne et que Mme Aoki exerçait son activité salariée en France où son employeur était établi, quelle que soit la nature juridique de cet établissement, a décidé à bon droit que l'AGS devait garantir les créances résultant du contrat de travail, par application de l'article L. 143-11-1 du Code du travail qui a valeur de transposition en droit français de la Directive précitée".

Selon cet arrêt, l'AGS est tenue de garantir les créances de salaires des travailleurs exerçant leur activité en France quelle que soit la nature juridique de l'établissement de la société étrangère qui les emploie. La compétence territoriale de l'institution résulte, en définitive, d'un critère unique : celui du lieu d'exécution de la prestation de travail.

L'arrêt commenté lève l'ambiguïté que les arrêts précités de la Cour de cassation des 2 juillet 2002 et 3 juin 2003 avaient pu faire naître. Cette ambiguïté était, d'ailleurs, née de l'arrêt "fondateur" de la CJCE lui-même (celui, précité, du 16 décembre 1999), qui avait appliqué la solution à la seule "succursale" d'une société étrangère.

Cette interprétation procédait, certainement, de l'idée selon laquelle il n'était possible de prendre en considération le lieu d'exécution du travail que si la société procédait à une immatriculation dans ce lieu et versait une contribution au financement de l'institution garantissant les salaires. Mais, cette interprétation était, elle-même, discutable, au regard de l'article 5 de la Directive du 20 octobre 1980 (précitée). Celui-ci déconnecte, en effet, l'obligation de garantir les salaires de l'effectivité de la cotisation des entreprises, en disposant que "l'obligation de paiement des institutions existe indépendamment de l'exécution des obligations de contribuer au financement".

Surtout, la Directive du 23 septembre 2002 (Directive (CE) 2002/74 du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9629A4E) a inséré, dans la Directive de 1980, un article 8 bis selon lequel "lorsqu'une entreprise ayant des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres se trouve en état d'insolvabilité [...] l'institution compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs est celle de l'Etat membre sur le territoire duquel ils exercent ou exerçaient habituellement leur travail".

Tirant toutes les conséquences de la nécessité, déjà mise en lumière par l'arrêt précité du 16 décembre 1999, de prendre en compte "la finalité sociale de la Directive", l'Union européenne a décidé de faire du lieu d'exécution du travail le critère exclusif de la compétence de l'institution garantissant les créances de salaire.

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