La lettre juridique n°210 du 13 avril 2006 : Égalité des chances

[Textes] Un meilleur statut pour les stagiaires

Réf. : Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances, art. 9 et 10 (N° Lexbase : L9534HHL)

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le 07 Octobre 2010

Jusqu'à présent, seuls deux types de stages étaient pris en compte par le Code du travail. Il s'agissait, tout d'abord, des stages de l'article 211-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5820ACK), concernant les stages d'initiation, d'application ou des périodes de formation en milieu professionnel des élèves suivant un enseignement alterné ou professionnel. Ensuite, il existait toute une série de mesures contenues dans le livre IX du même Code, concernant les stages dans le cadre de la formation professionnelle continue. La loi sur l'égalité des chances, spécialement ses articles 9 et 10, prend en compte une autre catégorie de stages, celle des stages non obligatoires, qui concernent essentiellement les stages des étudiants ou des jeunes diplômés, typologie de plus en plus couramment utilisée comme "mode d'entrée" dans le monde du travail. La loi instaure une obligation de conclure une convention de stage (1), une gratification du stagiaire à certaines conditions (2) ainsi qu'une protection de ce type de stagiaires contre les accidents du travail (3). 1. La convention de stage

Jusqu'à présent, pour les stagiaires de l'article L. 211-1 du Code du travail, il était expressément prévu qu'une convention soit passée entre l'établissement d'enseignement dont relèvent l'élève et l'entreprise, sans guère plus de précision quant au contenu de ce contrat. Au contraire, concernant la formation continue, il ne semble pas qu'existait une telle obligation.

En effet, si l'article L. 920-5-3 (N° Lexbase : L9259G9S) prévoit l'obligation de remettre au stagiaire un document relatif, notamment, au règlement intérieur applicable au stage, au programme du stage ou, encore, à ses horaires, il ne s'agit pas d'une convention de stage. De même, si l'article L. 920-13 (N° Lexbase : L9251G9I) prévoit bien la conclusion d'un contrat, celui-ci est conclu entre l'organisme formateur et le salarié suivant la formation ; il ne concerne donc pas spécifiquement les stages.

Outre l'absence d'obligation de conclure une convention de stage, ces deux types de stages laissent de côté une autre catégorie de stage, particulièrement fréquente, que l'on appelle les stages "non obligatoires". Il s'agit, le plus souvent, de stages utilisés comme des tremplins vers l'entreprise par les jeunes à la recherche d'un complément de formation, permettant, ainsi, de s'aguerrir au monde de l'entreprise. Aussi utiles et formateurs que puissent être ces stages, ils peuvent également correspondre à une réalité beaucoup plus douloureuse, certains employeurs peu délicats faisant fonctionner l'entreprise en partie grâce à un "pool" de stagiaires en perpétuel renouvellement.

C'est donc pour lutter contre ce phénomène que l'article 9 de la loi sur l'égalité des chances, qui ne sera pas codifié, introduit l'obligation de conclure une convention de stage pour ces jeunes. Il s'agit d'une convention tripartite conclue entre le stagiaire, l'entreprise d'accueil et l'établissement d'enseignement. Les modalités de ce type de conventions devraient être définies par décret et, si l'on en croit le Gouvernement, ce texte devrait intervenir très rapidement (1). Depuis longtemps déjà, la Cour de cassation exclut pour les conventions de stage la qualification de contrat de travail (Cass. soc., 5 décembre 1991, n° 89-17.153, Urssaf de Meurthe-et-Moselle c/ M. Scheer, publié N° Lexbase : A4634ABA) et il ne fait aucun doute que le décret d'application fera clairement cette distinction.

Une autre innovation de taille, toujours à l'exclusion des stages des élèves et des stages de formation continue, réside dans la limitation de la durée du stage à 6 mois, et ce de manière absolue. La durée totale du stage, initiale ou après renouvellement, ne pourra, désormais, plus excéder cette durée. Qu'il s'agisse d'obtenir un complément à la formation initiale reçue par le stagiaire ou, tout simplement, de découvrir le monde du travail pour un étudiant fraîchement diplômé, ce délai paraît amplement suffisant. Reste que l'on peut regretter l'absence de précision sur les formes du renouvellement, le contournement de cette durée maximale s'avérant relativement aisé.

On ne peut s'empêcher de faire le parallèle entre ce délai de 6 mois, suffisant pour former le salarié, et la période de 2 ans prévue dans le cadre de l'article 8 -on le sait retiré- pour le contrat première embauche, nécessaire pour que les portes de l'entreprise s'ouvrent aux jeunes salariés insuffisamment formés. Une telle différence de durées pour des objectifs, somme toute, assez proches, est-elle justifiée ?

Dans une vision optimiste, cette différence de durées se justifierait par l'existence d'une relation de travail dans le cadre du CPE puisqu'il s'agit d'un contrat de travail, alors que dans le cadre du stage, il ne s'agirait que d'une relation de formation... Il y aurait, ainsi, d'autres éléments à évaluer que la seule capacité du jeune à se former dans le cadre du CPE. Dans une vision plus pessimiste, on peut se demander si, au-delà de l'idée de donner une chance aux jeunes peu diplômés ou sans expérience professionnelle, le CPE n'est pas l'aveu, au corps défendant de ses promoteurs, d'une recherche délibérée de flexibilité offerte à l'entreprise.

Une dernière réserve doit être émise, car il subsiste une catégorie de stagiaires qui ne sera pas couverte par le dispositif mis en place. Il s'agit des stages effectués hors de tout cursus de formation. Dans ce cas, il n'existera pas d'"établissement d'enseignement" au sens de l'article 9, aucune convention ne pourra être signée, la durée du stage ne sera pas limitée, la gratification prévue par le second alinéa de l'article ne lui sera pas applicable. N'aurait-il pas été envisageable de prendre en compte ces situations, quitte à ne prévoir qu'une convention de stage bipartite entre l'employeur et le stagiaire ? C'est certainement la trop grande ressemblance d'une telle situation avec une relation de travail qui a mené à l'exclusion d'un tel procédé, la présence comme partie à la convention de stage de l'établissement d'enseignement s'avérant être le garant qu'il ne s'agit pas d'un contrat de travail déguisé. Néanmoins, la Cour de cassation aurait été gardienne de la qualification de stage, comme elle l'a déjà montré en requalifiant des stages en contrats de travail (Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-40.986, Société Top Info Technologies c/ M. Hubert, publié N° Lexbase : A7588AHI).

Au-delà des protections, principalement procédurales, que peuvent permettre d'obtenir la conclusion d'une convention de stage, la question de la gratification du stagiaire est, elle aussi, envisagée.

2. La gratification du stagiaire

Le second alinéa de l'article 9 et le I de l'article 10 (codifié à l'article L. 242-4-1 du Code de la Sécurité sociale) concernent la gratification versée au stagiaire à certaines conditions.

Pour les stages d'une durée excédant 3 mois consécutifs, l'entreprise d'accueil aura l'obligation de verser une gratification au stagiaire. Cela exclut donc les stages très courts, de moins de 3 mois, mais cela exclut, également, les stages interrompus, ce qui n'est pas sans reposer la question des formalités du renouvellement, tant il serait facile de contourner cette obligation de gratification en "offrant" une semaine de "vacances" au stagiaire au bout de 2 mois et 4 semaines !

La fixation du montant de cette gratification est déléguée aux partenaires sociaux qui devront procéder par voie d'accords de branche ou d'accords professionnels étendus. Si les partenaires s'avéraient être défaillants, un filet de protection serait dressé par le pouvoir réglementaire par la voie d'un décret qui devrait paraître en même temps que celui précisant les modalités de la convention de stage.

On remarquera que le législateur écarte soigneusement la qualification de rémunération ou de salaire pour lui préférer celle de gratification qui, étymologiquement, se rapproche davantage de l'idée de remerciement que de celle de rétribution. Cette conception est d'ailleurs précisée de façon plus concrète par l'article 9 : la gratification "n'a pas le caractère d'un salaire au sens de l'article L. 140-2" du Code du travail (N° Lexbase : L5726AC3).

Cette nouvelle définition semble remettre en cause la distinction entre salaire et gratification qui avait pu être élaborée par la jurisprudence (v., Cass. soc., 20 octobre 1982, n° 80-41.143, SA Aciérie et Fonderie de la Haute-Sambre c/ Dumont, Legrand, Salhi, Beauboucher, Dame Coutinho, Labar N° Lexbase : A7490AGI), et selon laquelle il convenait de rechercher la source à l'origine du versement de la prime ou de la gratification : si l'entreprise avait l'obligation de verser cette somme, il s'agissait d'un salaire ; si, au contraire, elle le faisait sans y avoir été contrainte, il s'agissait d'une gratification.

A y regarder de plus près, le rejet de la qualification de salaire tient plus à l'absence de lien -au moins théorique- avec un travail. La rémunération, ou de façon plus stricte le salaire, est la contrepartie d'un travail fourni par le salarié, tandis que la gratification n'est qu'une prime, un remerciement offert au stagiaire.

Il fallait, également, régler la question des cotisations sociales relatives à cette gratification. Jusqu'ici, s'agissant des gratifications facultatives, un arrêté de 1978 (arr. min. du 11 janvier 1978 relatif à l'assiette des cotisations de sécurité sociale dues au titre des travailleurs non rémunérés en espèces N° Lexbase : L8419AIN) exonérait de cotisations patronales les gratifications inférieures à 25 % du Smic en cas de stage facultatif, à 30 % du Smic s'il s'agissait d'un stage ayant un caractère obligatoire au sein d'une formation. Pour le stagiaire, la situation était moins claire, puisque l'arrêté de 1978 ne concernait que les cotisations patronales. Outre l'effet désincitatif de cette limitation à un pourcentage du Smic côté entreprise, il paraissait nécessaire d'apporter des précisions sur ces cotisations, côté stagiaire.

C'est désormais chose faite, puisque le nouvel article L. 242-4-1 du Code de la Sécurité sociale, instauré par l'article 10 de la loi sur l'égalité des chances, exclut clairement une partie de la gratification du statut de la rémunération, tel que défini par l'article L. 242-1 du même Code (N° Lexbase : L7979G7N). Le régime des cotisations patronales et salariales sera identique sans aucune équivoque. Mais les frontières (25 % ou 30 % du Smic) posées par l'arrêté de 1978 sont déplacées.

Il faudra, désormais, pour les stagiaires mentionnés aux a, b et f du 2° de l'article L. 412-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7551HBB), opérer un calcul savant entre un pourcentage du plafond horaire de l'assurance vieillesse prévu par l'article L. 241-3, alinéa 1er, du même Code (N° Lexbase : L1354HBR), mais fixé par décret, pourcentage lui aussi déterminé par un décret à paraître, et qu'il faudra multiplier par le nombre d'heures de stage. Au-delà du fait que le texte se réfère à des catégories utilisées pour déterminer les bénéficiaires de la législation sur les accidents du travail (CSS, art. L. 412-8 N° Lexbase : L7551HBB) ou, encore, qu'il invoque un plafond de cotisations à l'assurance vieillesse (CSS, art. L. 241-3 N° Lexbase : L1354HBR) -ce qui, convenons-en, est tout de même un comble lorsque l'on traite de jeunes stagiaires-, on est tenté de regretter la simplicité des deux plafonds précédents de 25 % ou 30 % du Smic.

Il reste difficile d'apporter une appréciation sur la nouvelle frontière posée par le texte, puisque celle-ci reste dans l'attente de sa détermination précise par décret. La logique voudrait que celle-ci s'accorde avec le montant supplétif de la gratification fixée par décret. Si elle s'avérait être plus basse, cela pourrait avoir pour conséquence d'inciter les employeurs à ne plus prendre de jeunes stagiaires, ce qui serait une solution bien trop radicale.

La loi complète le dispositif en prévoyant la protection de ces stagiaires contres les accidents du travail.

3. L'application de la législation sur les accidents du travail

L'article 10 de la loi prévoit deux modifications de l'article 412-8 du Code de la Sécurité sociale relatif aux personnes protégées par la loi sur les accidents du travail. Il ajoute, tout d'abord, un f) au 2° de l'article permettant de couvrir les personnes effectuant "un stage d'initiation, de formation ou de complément de formation professionnelle" mais non mentionnées aux a) et b) du même numéro. Il s'agit, en réalité, d'un alinéa "balai", qui permet de prendre en compte tous les stages, à l'exception de ceux effectués dans le cadre de la formation professionnelle continue.

Le plus surprenant, c'est que cette catégorie ne se recoupe pas avec celle envisagée par l'alinéa 1er de l'article 9 de la loi. Les catégories de stagiaires ne se recoupent donc pas totalement entre droit du travail et droit de la Sécurité sociale, l'occasion d'harmoniser les deux régimes n'ayant pas été saisie.

Enfin, de façon tout à fait logique, le texte étend l'exclusion de l'article 434-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5263ADB), concernant le versement d'un capital au salarié invalide à la suite d'un accident du travail, à cette nouvelle catégorie de stagiaires au sens du droit de la Sécurité sociale, tout comme les élèves et étudiants stagiaires du a) et b) du 2° de l'article L. 412-8 étaient déjà exclus du mécanisme.

Dans l'ensemble, et même s'il faut attendre les précisions des décrets d'application, la prise en compte de ce phénomène sociologique du stage non obligatoire en entreprise était nécessaire. Cependant, une question reste toujours en suspens. Un stagiaire n'est pas un salarié, il ne perçoit pas de rémunération. Pourtant, la "gratification" aujourd'hui devenue obligatoire à partir de 3 mois de stage peut être soumise à cotisations patronales et salariales au-dessus d'un certain seuil. Selon la même idée, ce stagiaire est protégé par la législation sur les accidents du travail. Le stagiaire est-il en formation ou bien fournit-il un travail ? La nouvelle loi est loin d'éclairer ces ambiguïtés.

Sébastien Tournaux
Allocataire-Moniteur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) V. Le monde, 6 avril 2006, Le gouvernement veut mieux encadrer les stages.

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