Réf. : Cass. com., 28 juin 2005, n° 02-19.864, Société civile immobilière (SCI) Well'e c/ Crédit lyonnais, F-D (N° Lexbase : A8412DIE)
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N8368AIR
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le 07 Octobre 2010
Un large débat s'est instauré en ce qui concerne l'opposabilité de l'exception de compensation survenue postérieurement à la cession par bordereau de créances professionnelles mais antérieurement à sa notification au débiteur.
Initialement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le débiteur cédé pouvait opposer au cessionnaire l'exception de compensation dès lors que la cession n'avait pas été régulièrement notifiée et que les conditions de la compensation avaient été réalisées antérieurement à la cession (1). II ne semble pas possible d'interpréter cet arrêt a contrario, pour en déduire que seule la notification régulière de la cession aurait pour effet de rendre inopposable au cessionnaire l'exception de compensation.
A la différence de la cession de créance du Code civil, la cession par bordereau "prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau" (2). Il serait donc rationnel de déclarer l'exception de compensation inopposable au cessionnaire par bordereau dès le jour correspondant à la date inscrite sur celui-ci (3).
Ce n'est cependant pas dans cette voie que s'est orientée la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Une société avait cédé à une banque une créance d'un prix de transport qu'elle détenait sur une autre société. La banque avait notifié la cession. Le cédé invoquait en défense à l'action en payement de la banque des retards dans l'exécution du transport et se prévalait de la compensation résultant de la créance née de l'inexécution. La cour d'appel rejetait cette prétention, au motif que le débiteur ne peut pas opposer à la banque une exception de compensation puisque la créance invoquée par elle à l'encontre du cédant est née postérieurement à la notification de la cession, à la date de laquelle la créance est sortie du patrimoine de la société cédante pour entrer dans celui de la banque (4).
La Chambre commerciale retenait "qu'en statuant ainsi, alors que la notification de la cession de créance, dès lors que cette cession n'a pas été acceptée par le débiteur, ne met pas obstacle à l'exercice ultérieur par lui des exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le cédant, en particulier sur la compensation entre créances connexes dont ils seraient réciproquement titulaires, la cour d'appel a violé l'article 6" (5).
Elle a confirmé son analyse, le 9 novembre 1993, en jugeant "qu'en cas de cession de créance, en la forme prévue par la loi du 2 janvier 1981, non acceptée par le débiteur, celui-ci peut invoquer contre la banque cessionnaire l'exception d'inexécution de ses obligations par le cédant, même si elle est apparue postérieurement à la notification de la cession" (6).
C'est d'ailleurs en ce sens que s'est encore prononcée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt commenté du 28 juin 2005. Il semble que, dans l'arrêt rapporté, la créance du débiteur cédé contre le cédant était née après la cession, la cour d'appel visant d'ailleurs la notification de la cession. Il pourrait, alors, en être déduit que la date à prendre en considération pour déterminer l'opposabilité de l'exception de compensation n'est pas celle figurant sur le bordereau, mais celle de l'acceptation qui n'est pourtant nullement obligatoire pour le débiteur cédé. Cette interprétation serait, cependant, directement contraire à la lettre du texte, et la notion de "connexité" ne paraît pas la justifier car la créance invoquée pour fonder la compensation serait née après la prise d'effet de la cession, tant dans les rapports entre les parties qu'à l'égard des tiers.
Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation a atténué la rigueur qui serait résulté pour le débiteur d'une application littérale de la loi "Dailly".
II - La portée de ce moyen de défense
II semble donc que la notion de "connexité", entendue de façon particulièrement large, permette de s'écarter de la lettre de la loi. En revanche, en l'absence de connexité, la date à prendre en considération devrait être logiquement celle portée sur le bordereau. La date dont il faut tenir compte pour déterminer l'opposabilité de l'exception de compensation est donc, en l'absence de connexité, la notification au débiteur cédé (7), ce qui revient à exiger la connaissance personnelle de ce dernier.
D'après le droit commun de la cession de créance (8), le débiteur cédé qui n'a pas accepté peut opposer la compensation, lorsque sa créance contre le cédant a été acquise avec les conditions requises pour que prenne effet la compensation avant la notification de l'opération. La compensation légale peut donc se réaliser si les conditions (créances certaines, liquides et exigibles) en sont réunies avant la notification. Dans cette hypothèse, il faut admettre le jeu de la compensation légale que si les créances réciproques sont devenues liquides, exigibles et certaines avant la date portée sur le bordereau. En effet, à compter de cette date, la créance du cédant est sortie de son patrimoine, ce qui constitue un obstacle au jeu de la compensation : il n'y a plus de créances réciproques ; la compensation est impossible. En vertu de la solution retenue par la Cour de cassation (9), la compensation est possible si les créances sont devenues certaines, liquides et exigibles (10) antérieurement à la notification de la cession.
La solution est plus radicale lorsque les créances réciproques sont connexes ; la compensation peut fonctionner même si elles ne sont pas toutes les deux liquides et exigibles au moment de la cession (11). La connexité rend opposable l'exception de compensation quelle que soit la date de la notification. C'est que confirme l'arrêt commenté du 28 juin 2005 de la Cour de cassation, dans les termes suivants : "attendu que la notification de la cession de créance, dès lors que cette cession n'a pas été acceptée par le débiteur, ne met pas obstacle à l'exercice ultérieur par lui des exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le cédant, en particulier sur la compensation entre créances connexes dont ils seraient réciproquement titulaires".
La connexité opère, ainsi, rétroactivement. L'exception de compensation pour dettes connexes est très proche de l'exception d'inexécution ou de mauvaise exécution ; elle "se présente comme une exception inhérente à la créance cédée et l'on sait que la cession n'opère pas purge des exceptions" (12).
Un courant d'affaires entre le cédant et le débiteur ne suffit pas à caractériser la connexité, mais celle-ci peut résulter de la convention des parties. La connexité d'une créance avec une autre, qui peut servir de fondement à une compensation judiciaire, doit être entendue au sens large. II ne s'agit pas seulement d'un lien entre deux créances nées d'un même contrat. Le concept a été élargi : à défaut d'obligations réciproques dérivant du même contrat, le lien de connexité peut exister "entre des créances et dettes nées de ventes et achats conclus en exécution d'une convention ayant défini entre deux sociétés le cadre du développement de leurs relations d'affaires ou constituant les éléments d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations" (13).
Alexandre Le Gars
Docteur en droit,
Chargé d'enseignement à l'Université des sciences sociales de Toulouse I
Chargé d'enseignement à l'IUT de Paul Sabatier Toulouse III
(1) Cass. com., 18 juillet 1989, n° 88-14.301, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Loire c/ Société Davy Mac Kee (N° Lexbase : A0071ABA).
(2) V. C. mon. fin., art. L. 313-27 (N° Lexbase : L6399DIT).
(3) CA Paris 16ème ch., sect. A, 13 mai 1986, D. 1987 somm. p. 143 obs. Vasseur.
(4) Sous le visa de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 correspondant à l 'article L. 313-29 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9262DYP).
(5) Cass. com., 15 juin 1993, n° 91-19.677, Société Limburger c/ Société Logistique du commerce extérieur et autres (N° Lexbase : A6547AB4).
(6) Cass. com., 9 novembre 1993, n° 91-18.116, Société M. Bricolage Kitbois c / Banque générale de commerce (N° Lexbase : A6500ABD).
(7) Cass. com., 6 octobre 1998, n° 95-21.350, Caisse régionale de Crédit agricole mutuelle Deux-Sèvres c/ Société Pierre Robert, publié (N° Lexbase : A5340ACR), Bull. civ . IV, n° 225.
(8) V. C. civ., art. 1295, al. 2 (N° Lexbase : L1405ABN).
(9) Cass. com., 6 octobre 1998, précité.
(10) Cass. com., 13 décembre 1994, n° 92-16.550, Société Calberson international c/ Société nancéienne Varin-Bernier (N° Lexbase : A7108ABU), Bull. civ. IV, n° 373.
(11) Cass. civ. 3, 30 mars 1989, n° 87-12.470, SCI Gambetta-Park c/ Banque niçoise de crédit et autres (N° Lexbase : A2780AHG), RTD Com. 1990, p. 77 obs. M. Cabrillac et Teyssie.
(12) Cass. com., 15 juin 1993, n° 91-19.677, Société Limburger c/ Société Logistique du commerce extérieur et autres, publié (N° Lexbase : A6547AB4), Bull. civ. IV, n° 242.
(13) Cass. com., 17 mai 1989, n° 87-18.103, Société des produits alimentaires de la Thiérache et autre c/ Société Ménart, publié (N° Lexbase : A3185AHG), Bull. civ. IV n° 153.
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