La lettre juridique n°181 du 15 septembre 2005 : Marchés publics

[Jurisprudence] Arrêt du 1er juin 2005 "Département de la Loire" : le Conseil d'Etat détermine les éléments financiers obligatoires dans les publicités

Réf. : CE 2° et 7° s-s., 1er juin 2005, n° 274053, Département de la Loire N° Lexbase : A5004DI8

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[Jurisprudence] Arrêt du 1er juin 2005 "Département de la Loire" : le Conseil d'Etat détermine les éléments financiers obligatoires dans les publicités. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207560-jurisprudence-arret-du-1er-juin-2005-departement-de-la-loire-le-conseil-detat-determine-les-elements
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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

le 07 Octobre 2010

Par une décision des 7ème et 2ème sous-sections réunies du 1er juin dernier, le Conseil d'Etat a apporté deux précisions relatives aux informations à faire figurer dans les publicités des marchés publics (CE 2° et 7° s-s., 1er juin 2005, n° 274053, Département de la Loire N° Lexbase : A5004DI8).
  • Le juge a tout d'abord affirmé très clairement le caractère non obligatoire du montant prévisionnel du marché dans l'avis d'appel public à la concurrence.

En l'espèce, le département de la Loire avait lancé un appel d'offres ouvert pour la restauration extérieure du chevet de l'église du couvent de Saint-Nizier-sous-Charlieu. La société Desmars, rejetée dans le cadre de la consultation, a saisi le tribunal administratif de Lyon d'un référé précontractuel en invoquant un manquement aux obligations de mise en concurrence et de publicité. Par une première ordonnance, du 8 octobre 2004, le juge des référés a ordonné à la collectivité publique de surseoir à la signature du marché et par une deuxième ordonnance, du 22 octobre 2004, il a annulé la procédure en raison de l'absence, dans l'avis d'appel public à la concurrence [publié dans le bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), le Moniteur et une revue locale], du montant prévisionnel du marché. Saisi par le département de la Loire, le Conseil d'Etat a annulé l'ordonnance du tribunal administratif de Lyon du 22 octobre, pour erreur de droit, et affirmé "qu'aucune disposition du code des marchés publics ni aucune autre règle ne met à la charge de la personne responsable du marché une obligation de publicité quant au montant prévisionnel du marché".

Cette décision ne semble pas surprenante. Elle met pourtant fin, au moins partiellement, à une controverse existant au sein des juridictions administratives. En effet, récemment et à plusieurs reprises, des tribunaux administratifs avaient annulé, dans le cadre de référés pré-contractuels, des procédures en raison de l'absence dans la publicité d'indication du montant prévisionnel du marché (notamment TA Montpellier, 12 juillet 2004, n° 043464, sté Mares SA N° Lexbase : A4046DK3). Le juge s'était d'ailleurs, dans cette espèce, prononcé en termes très durs à l'égard de la collectivité, qualifiant l'absence de cette indication de "vice substantiel de la publicité des appels à candidatures et [de] manquement grave aux obligations de mise en concurrence égalitaire des candidats potentiels qui doivent être correctement informés des caractéristiques du marché pour pouvoir décider de concourir ou non". La gravité du reproche pouvait surprendre, en l'absence de disposition réglementaire imposant cette information.

Le magistrat avait fondé sa décision sur le respect de l'égalité de traitement des candidats, l'idée étant que les candidats locaux peuvent, grâce à leur proximité géographique, avoir plus facilement connaissance du montant prévisionnel du marché que leurs concurrents plus éloignés. L'indication de ce montant dans la publicité permettrait, alors, d'assurer le même niveau d'information à tous. Il semble, cependant, que cette démarche répondait à un risque quelque peu théorique et que son fondement juridique était incertain.

D'une part, en effet, elle suppose que les candidats locaux aient pour pratique de rechercher le montant prévisionnel du marché préalablement à leur participation aux consultations, en assistant par exemple aux conseils municipaux ou en recherchant une délibération préalable de la collectivité sur cette question. Ceci n'est pas établi. De plus, cette délibération de la collectivité n'est pas nécessairement préalable à la consultation, l'ordonnance n° 2005-645 du 6 juin dernier (N° Lexbase : L8432G8S), prévoyant son intervention à tout moment. Par ailleurs, ce type d'information peut être obtenu très facilement par toute personne intéressée, candidat local, national, ou européen, dans le cadre du droit d'accès aux documents administratifs, très largement entendu par le juge et la commission d'accès aux documents administratifs. Enfin, que dire et comment traiter la situation du titulaire en place d'une prestation à renouveler ? Celui-ci connaît nécessairement très bien le besoin, son évolution, les éventuelles nouvelles attentes de la collectivité puisqu'il les traite. Il est nécessairement plus informé que les autres candidats sur la réalité de l'exécution de la prestation. Est-ce pour autant à l'avis d'appel public à la concurrence de remédier à ce déséquilibre en multipliant les informations qu'il contient ?

D'autre part, une obligation de ce type ne semblait pas disposer de fondement juridique, le Conseil d'Etat ayant ainsi pris soin d'indiquer qu'"aucune disposition du code des marchés publics, ni aucune autre règle" n'impose la mention du montant prévisionnel du marché dans la publicité. Ces autres règles relèvent vraisemblablement du droit communautaire, ce qui, ajouté à la généralité des termes de l'arrêt, permet de penser que cette indication n'est pas non plus obligatoire pour les marchés de seuil européen. Sur ce point, seule une décision future du Conseil d'Etat permettra d'éteindre définitivement le débat. Dans cette attente, on observe cependant que les formulaires de publicité, JOUE N° Lexbase : X3795ADW ou BOAMP N° Lexbase : X3794ADU, obligatoires, ne comportent pas de rubrique relative à cette mention, à la différence par exemple de l'avis de pré-information, qui prévoit, très clairement, les rubriques "Nature et quantité ou valeur des fournitures et services" et "Coût estimatif des travaux hors TVA". De même, aucune de leurs rubriques ne peuvent être interprétées dans ce sens : les éléments relatifs à l'étendue du marché visent "les quantités", "l'étendue" ou "la nature" du marché (JOUE : II.2, BOAMP : bloc n° 4), et les rubriques à portée directement financière concernent les modalités de "financement" et de "paiement" du marché (JOUE : III.1.2 ; BOAMP : bloc n° 7).

Ainsi, sur le plan national au moins, le débat est tranché : entre indiquer le montant prévisionnel du marché dans la publicité pour assurer l'égalité d'information des candidats ou ne pas l'indiquer pour permettre au jeu de la concurrence de s'exprimer librement, le juge a choisi la seconde alternative. L'absence d'obligation relative à ce montant permettra, ainsi, aux candidats de formuler leur proposition en fonction de leurs propres paramètres et non au vu du prix que la personne publique semble susceptible d'accepter, sans bloquer ou réduire leurs efforts de compétitivité par la fixation d'un prix moyen acceptable.

  • Par cet arrêt du 1er juin 2005, le Conseil d'Etat a aussi précisé que, concernant les marchés dont le montant est inférieur aux seuils communautaires, la rubrique "Modalités de financement et de paiement" du formulaire BOAMP "n'est pas au nombre de celles que l'arrêté [du 30 janvier 2004] fait obligation à la collectivité publique de remplir".

La rubrique du formulaire n'est en effet pas identifiée comme une "zone obligatoire". Pourtant depuis l'année 2001, le Conseil d'Etat a sanctionné plusieurs procédures lorsque ces renseignements n'étaient pas fournis, donnant lieu à de nombreux commentaires déplorant l'inflation jurisprudentielle relative aux mentions des publicités. Ces décisions étaient, il est vrai, relatives à des marchés de seuil communautaire, le juge relevant que "l'absence dans [l'avis] de renseignements [...] sur les modalités de financement et de paiement [...] n'a pas permis d'assurer une publicité compatible avec les objectifs de la directive n°92/50/CEE modifiée du 18 juin 1992" (CE, 27 juillet 2001, n° 229566, Compagnie Générale des Eaux N° Lexbase : A1248AW7).

Cette position peut cependant surprendre. L'objectif de cette information est, en effet, de permettre aux candidats qui consultent la publicité de disposer de quelques éléments suffisamment précis pour évaluer l'intérêt de demander un cahier des charges et éventuellement de répondre à la consultation. Cet objectif trouve aussi naturellement à s'appliquer dans le cadre de marchés de seuils nationaux. Quoiqu'il en soit, cette précision, apportée aujourd'hui par le juge, assouplit la rigueur des règles relatives à la rédaction des avis d'appel publics à la concurrence et le risque important d'annulation de procédures qui y est désormais associé, ce dont ne se plaindront pas bon nombre d'acheteurs publics.

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