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le 07 Octobre 2010
Nous voudrions cependant, dans les quelques lignes qui vont suivre, faire état d'un mouvement législatif qui a récemment pris une certaine ampleur et qui suscite d'importantes questions au regard, très précisément, de l'indisponibilité de la qualification de contrat de travail. On se réfère ici à la création, par des lois très récentes, de contrats propres au travail indépendant mais qui, par leur objet ou leur nature, se situent aux frontières du salariat. Ce qui, immanquablement, posera de délicats problèmes de requalification.
1. La création de nouveaux contrats propres au travail indépendant
Ainsi que le relèvent certains auteurs, les contrats propres au travail indépendant "sont divers et il ne s'agit pas seulement de contrats nommés. Il importe surtout de relever que, dans le cadre de ces contrats, l'appréciation du degré nécessaire de sujétion pour qu'il y ait éventuelle requalification en contrat de travail s'avère souvent fort délicate" (J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 137). Et les auteurs en question de citer les cas des contrats d'entreprise, de mandat et de société. Il faut aujourd'hui ajouter à ces derniers plusieurs contrats qui susciteront le même type de difficultés.
Il convient tout d'abord de citer le contrat de "gérance-mandat", mis en place par l'article 19 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (3). Selon l'article L. 146-1 nouveau du Code de commerce (N° Lexbase : L3990HBE), "les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires, sont qualifiées de "gérants-mandataires" lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d'un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité".
Il faut, ensuite, évoquer le contrat de collaborateur libéral qui est étendu par la loi du 2 août 2005 (art. 18) à la majorité des professions libérales (4). Ainsi que le précise la § II de l'article précité, "a la qualité de collaborateur libéral le membre non salarié d'une profession mentionnée au I qui, dans le cadre d'un contrat de collaboration libérale, exerce auprès d'un autre professionnel, personne physique ou personne morale, la même profession".
Là ne s'arrêtent pas les dispositions de la loi en faveur des petites et moyennes entreprises dont il doit être fait mention ici. En effet, il faut encore s'attacher aux précisions apportées par cette réforme au statut du conjoint de l'entrepreneur. A l'image du cas précédent, la loi en cause ne fait pas véritablement oeuvre créatrice en la matière, dans la mesure où, comme antérieurement, le conjoint du chef d'une entreprise artisanale, commerciale ou libérale se voit toujours offrir le choix d'y exercer son activité professionnelle en qualité de conjoint collaborateur, de conjoint associé ou de conjoint salarié. Mais, et c'est l'apport premier de la loi du 2 août 2005, ce choix n'est plus facultatif, il est désormais obligatoire (C. com., art. L. 121-4, modifié N° Lexbase : L3845HBZ). Par ailleurs, la loi s'efforce de préciser le statut social du conjoint collaborateur (5).
Enfin, et pour en terminer avec cette brève énumération des nouveaux contrats propres au travail indépendant, il faut citer le contrat d'appui au projet d'entreprise pour la création ou la reprise d'une activité économique mis en place par la loi du 1er août 2003 pour l'initiative économique (6). L'article L. 127-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6086DIA) définit ce contrat comme celui "par lequel une personne morale s'oblige à fournir, par les moyens dont elle dispose, une aide particulière et continue à une personne physique, non salariée à temps complet, qui s'engage à suivre un programme de préparation à la création ou à la reprise et à la gestion d'une activité économique" (7).
Il est évident que ces contrats n'ont pas tous le même objet. Ainsi, le contrat d'appui au projet d'entreprise vise à faciliter la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur. Les trois premiers ont, en revanche, en commun de développer des formes d'activités intermédiaires entre le salariat et le travail indépendant. Mais tous ne manqueront pas de poser de délicats problèmes de requalification.
2. La multiplication des hypothèses de requalification en contrat de travail
Si tous les contrats précités sont propres au travail indépendant, ils se situent, à n'en point douter, à la frontière de celui-ci et du travail salarié. Il convient, en effet, de relever que chacun de ces contrats comporte un certain degré de sujétion entre les parties qui pourrait fort bien dégénérer en lien de subordination. Tout est alors question de limites, de nuances et, bien entendu, d'appréciation des juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation.
Le législateur a eu conscience de ces problèmes de requalification, ce qui explique un certain nombre de précautions ou de dispositifs de "sécurisation juridique" qu'il a tenté de mettre en place. Ainsi, on ne doit pas être surpris qu'à l'occasion de la création du contrat d'appui au projet d'entreprise, le législateur ait ressuscité la fameuse présomption de non-salariat (8).
Rappelons qu'il résulte de celle-ci que les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales, ainsi que les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés sont présumés ne pas être liés, avec le donneur d'ouvrage, par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à cette immatriculation (C. trav., art. L. 120-3, al. 1er N° Lexbase : L1422G9K).
Cette présomption vaudra pour les gérants-mandataires qui doivent être immatriculés au registre du commerce et des sociétés et, le cas échéant, au répertoire des métiers (C. com., art. L. 146-1, al. 1er N° Lexbase : L3990HBE). Il faut, en outre, rappeler que la loi précise bien, afin d'éviter tout risque de requalification, que le contrat de gérance-mandat doit se borner à fixer une "mission" au gérant-mandataire en lui laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer ses conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans son activité à ses frais et sous son entière responsabilité.
Autant de critères qui permettent de distinguer contrat de gérance-mandat et contrat de travail. S'agissant du conjoint collaborateur, le § V de l'article L. 121-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L3845HBZ) renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser, pour toutes les professions concernées, les critères concourant à la définition du conjoint collaborateur (9). Ces critères devront permettre de distinguer le statut de conjoint collaborateur de celui de salarié. Or, le décret en question ne pourra se contenter de faire référence à une quelconque subordination, la Cour de cassation considérant que l'existence d'un lien de subordination n'est pas une condition de l'application des dispositions de l'article L. 784-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5345ACX) relatif au conjoint salarié (Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-40.756, FP-P+B+R N° Lexbase : A0668AXZ, Dr. soc. 2002, p. 403, note F. Favennec-Héry) (10).
Pour ce qui est, enfin, du contrat de collaborateur libéral, l'article 18 de la loi en faveur des petites et moyennes entreprises précise, en son paragraphe II, alinéa 2, que "le collaborateur libéral exerce son activité professionnelle en toute indépendance, sans lien de subordination. Il peut compléter sa formation et peut se constituer une clientèle personnelle". Des dispositions qui relèvent plus de la pétition de principe que du dispositif de sécurisation juridique...
Au final, et sans même parler de l'intérêt des différents contrats évoqués précédemment, il y a tout lieu de constater que ceux-ci sont de nature à susciter bien des demandes en requalification que le juge sera amené à trancher. Souhaitons que ce dernier fasse alors preuve de pragmatisme et surtout de nuances. Car le risque est de voir nombre de ces demandes aboutir compte tenu du fait que, il faut le rappeler, tous ces contrats comportent par nature un certain degré de sujétion qui ne manque pas d'évoquer le fameux lien de subordination. Lien de subordination qui se trouve ainsi, encore et toujours, en question.
Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
(2) Pour plus de développements sur cette question, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22ème éd., 2004, pp. 172 et s.
(3) V., sur ce contrat et plus généralement sur le volet social de cette réforme, notre article, Les dispositions à caractère social de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, Bull. Joly Sociétés 2005, p. 1083, § 242.
(4) Ce contrat n'est pas une création de la loi en cause. On sait, en effet, qu'en application de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130, 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), la profession d'avocat pouvait déjà être exercée dans le cadre du statut de "collaborateur non salarié" d'un avocat ou d'une association ou société d'avocats.
(5) Sur ces dispositions, v. notre art. préc.
(6) Loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC)
(7) Le texte précise, en outre, que ce contrat peut aussi être conclu entre une personne morale et le dirigeant associé unique d'une personne morale.
(8) V. notre chron., La résurrection de la présomption de non salariat, Lexbase Hebdo n° 80 du 17 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8197AAT).
(9) Ce texte dispose très précisément que "la définition du conjoint collaborateur, les modalités selon lesquelles le choix de son statut est mentionné auprès des organismes visés au IV et les autres conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat".
(10) Ainsi que le décide la Cour de cassation dans cette décision, la participation effective à l'activité de l'entreprise de l'époux et la perception d'une rémunération horaire minimale égale au Smic sont les seules conditions de l'application des dispositions du Code du travail au conjoint du chef d'entreprise.
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