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par Propos recueillis par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public
le 07 Octobre 2010
Me Guillou, Me Laffargue : Incontestablement, à la suite de l'annulation par le Conseil d'Etat de l'article 3-5° du Code des marchés publics (CE 2° et 7° s-s., 23 février 2005, n° 264712, ATMMP N° Lexbase : A7529DGX), le Gouvernement a souhaité, à travers la nouvelle rédaction de cet article par le décret n° 2005-601 du 27 mai 2005 (N° Lexbase : L7651G8U), réaffirmer le régime d'exonération de l'ensemble des services financiers.
L'article 29 du même code (N° Lexbase : L1074DYG), qui énumère les différents marchés de services soumis aux règles du Code des marchés publics, vise les services bancaires, "sous réserve des dispositions du 5° de l'article 3". Ce renvoi laisse apparaître une certaine contradiction, manifestant l'embarras du Gouvernement face à cette question. Mais, in fine, sa volonté est bien d'exclure les services financiers, dans leur ensemble, du champ d'application du Code des marchés publics.
Cette interprétation est, d'ailleurs, confirmée par une réponse ministérielle du 26 juillet dernier, indiquant que "la rédaction de ce nouvel article 3.5° permet d'exclure les emprunts du champ des marchés publics. Les marchés relatifs aux emprunts peuvent donc à nouveau être passés dans les conditions qui prévalaient avant l'arrêt du Conseil d'État du 23 février 2005" (QE n° 66824 de M. Mourrut Etienne, JOANQ 7 juin 2005 p. 5726, min. Éco., réponse publ. 26 juillet 2005 p. 7407 N° Lexbase : L8119HBC).
LEXBASE : Quelles sont, selon vous, les raisons qui poussent le Gouvernement à vouloir exonérer, absolument, l'ensemble des services financiers des dispositions du Code des Marchés publics ?
Me Guillou, Me Laffargue : Trois raisons légitimes peuvent expliquer une telle position.
1 - Tout d'abord, l'incontestable spécificité des services financiers.
Or, pour ces derniers, il semble que les règles du Code des marchés publics soient peu adaptées. Par exemple, les délais de mise en oeuvre d'un appel d'offres sont effectivement peu compatibles avec la fluctuation qui caractérise ces produits.
Il apparaît donc un risque de contradiction entre le cadre des marchés publics et la nécessaire souplesse des services financiers.
Mais cette analyse est un peu courte, car il faut différencier les produits de forte mobilité, des produits non négociables, pour lesquels la mise en concurrence est favorable.
2 - La deuxième raison est d'ordre politique.
La France s'appuie, en effet, sur un accord politique entre les 15 Etats membres, signé en juin 2003 (avant l'élargissement de l'Union européenne) : il s'agit d'un accord unanime dont l'objet a été d'exonérer de façon globale les services financiers des règles de la commande publique. La France peut-elle, alors, s'affranchir d'un Traité auquel elle a adhéré ?
Mais cet argument est contestable dans la mesure où un accord politique ne peut s'opposer aux directives communautaires. Il doit s'exprimer dans un texte de droit.
3 - Enfin, il existe une raison macro-économique, celle de la tradition du financement des collectivités publiques fondée sur la présence d'une institution publique chargée de les financer. L'Etat n'a aucun intérêt à risquer de déstabiliser un secteur économique qui fonctionne déjà plutôt bien.
Mais cet argument présente un certain anachronisme, face à l'actuelle mutation du financement public : la complexification des modes de financement des projets publics, avec notamment l'apparition des contrats de partenariat public-privé, entraîne la multiplication des acteurs et la communautarisation des financements.
LEXBASE : Les acheteurs publics sont dans une situation délicate : doivent-ils suivre à la lettre les dispositions du Code des marchés publics, ou adopter une démarche prudente, en décidant de soumettre les contrats d'emprunt aux règles des marchés publics ?
Me Guillou, Me Laffargue : La conformité du décret du 27 mai 2005 avec le droit communautaire est plus qu'incertaine. Une simple analyse sémantique permet de faire apparaître cette incertitude.
En effet, l'article 16-d de la directive n° 2004/18 CE du 31 mars 2004 (N° Lexbase : L1896DYU) exclut de son champ d'application les marchés de services "concernant des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers, en particulier les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs, et des services fournis par des banques centrales".
Ainsi, c'est parce que les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital correspondent à des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers qu'ils doivent être exclus du champ d'application de la directive.
Selon la directive, les marchés ayant pour objet des emprunts ou des engagements financiers ne seraient donc pas des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital et entreraient ainsi dans le champ d'application de la directive.
En revanche, le décret du 27 mai 2005 prévoit la non application du code "aux contrats qui ont pour objet des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers et à des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital, ou des services fournis par des banques". Cela laisse supposer que les contrats ayant pour objet des emprunts ou des engagements financiers sont des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital et qu'ils doivent ainsi échapper aux mesures de publicité et de mise en concurrence du Code des marchés publics.
Il y aurait donc une contradiction entre la Directive communautaire et le décret du 27 mai 2005.
La primauté du droit communautaire sur le droit national doit conduire les acheteurs publics à observer une certaine prudence par rapport à la nouvelle rédaction de l'article 3-5° du Code des marchés publics, si celle-ci a bien pour but d'exclure les contrats ayant pour objet des emprunts ou des engagements financiers du champ d'application du Code des marchés publics. Conformément à l'article 29 du code (N° Lexbase : L1074DYG), il convient, alors, de soumettre ces contrats aux règles de passation des marchés publics.
LEXBASE : Comment les acheteurs publics doivent-ils, alors, mettre en oeuvre les règles du Code des marchés publics, pour la passation des contrats ayant pour objet des emprunts ou des engagements financiers ?
Me Guillou, Me Laffargue : S'agissant de marchés de services, la question se pose de déterminer le régime applicable alors même que les dispositions du Code des marchés publics telles que modifiées par le décret du 27 mai 2005 nous paraissent non-conformes aux directives communautaires.
Dans cette hypothèse, il nous semble nécessaire et prudent de faire application du droit communautaire. Ceci veut dire, pour être précis, que nous conseillons aux collectivités publiques de ne pas faire application du Code des marchés publics, et de soumettre les marchés financiers notamment les emprunts, hormis les titrisations et autres produits dont le marché assure par lui-même une concurrence "naturelle", à une mise en concurrence.
Ce principe de soumission étant posé, il convient de définir le régime applicable. Dans la mesure où le Code des marchés publics dans son article 3.5° doit être exceptionnellement écarté, la personne publique ne dispose pas toujours de règles définies pour déterminer les conditions de passation de la procédure. Pour ce qui concerne les marchés financiers non exonérés dont le seuil est supérieur à 230 000 euros HT, il convient d'appliquer les règles définies par les directives communautaires. En revanche, pour les marchés inférieurs aux seuils communautaires, notre conseil consiste à créer ses propres procédures, mais en s'appuyant sur les dispositions du Code des marchés publics comme celles de l'article 40 par exemple (N° Lexbase : L8746GYL).
La première difficulté qui se pose, alors, réside dans l'évaluation du montant du marché à comparer aux seuils de déclenchement de la procédure d'appel d'offres (150 000 euros HT pour les marchés de l'Etat, et 230 000 euros HT pour les marchés des collectivités territoriales).
Faut-il prendre en compte le volume global de l'opération, ou la marge bancaire ? Il faut retenir la marge bancaire, c'est-à-dire la rémunération de l'établissement financier.
Ensuite, comment calculer alors cette marge bancaire ?
Pour conclure, les marchés financiers forment un réseau complexe d'obligations. Tout d'abord la personne publique doit qualifier la nature de son marché financier. La règle de partition entre les marchés financiers est présentée par Didier Casas dans ses conclusions sous l'arrêt du 23 février 2005 (ATMMP) précité. Cette partition par nature entraîne des conséquences importantes en ce qui concerne le régime applicable. Pour certains marchés financiers pour lesquels le marché "commercial" forme en lui-même une mise en concurrence préalable, la personne publique n'a pas à mettre en concurrence. Pour les autres, notre conviction contra legem, c'est que la personne publique doit les mettre en concurrence.
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