Réf. : Projet de loi modifié par le sénat devenu Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L8800G9S)
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le 07 Octobre 2010
Deux amendements au projet de loi de confiance et de modernisation de l'économie ont ainsi été déposés. Le premier l'a été par le sénateur Philippe Marini ; il concerne, pour l'essentiel, le statut de la société européenne. Le second a été déposé par le sénateur Jean-Jacques Hyest ; il tend à la transposition de la directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 (N° Lexbase : L5882A4M) complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs. Ce projet de loi devrait, selon nos sources, être adopté prochainement.
La société européenne est régie, au premier chef, par le Règlement n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 (N° Lexbase : L1040AWG) relatif au statut de la société européenne ; au second chef, par le droit interne des sociétés européennes de chacun des Etats membres -aménagé par le projet de loi ici commenté-, au troisième chef, par le droit interne des sociétés anonymes ; et au quatrième chef, par la liberté contractuelle.
Sans s'engager plus avant dans la partie relative à la transposition de la directive qui relève essentiellement du droit du travail, on procèdera à une présentation rapide de ce que devrait être le statut et le régime de la société européenne (SE) à la française.
I - Le statut de la société européenne
A - La société européenne en elle-même
La SE est une forme sociale à part entière. Il ne s'agit pas d'une variété de société anonyme. Elle doit être immatriculée pour bénéficier de la personnalité morale. Son capital, supérieur ou égal à 120 000 euros, est divisé en actions. Ses actionnaires voient leur responsabilité limitée au montant de leurs apports.
Son siège statutaire et son administration centrale (à savoir son siège réel) ne peuvent être dissociés (C. com., art. L. 229-1). Le législateur a, ainsi, choisi l'option la plus contraignante de l'article 7 du Règlement n° 2157/2001. D'une part, comme le dispose la première phrase de cet article, le siège statutaire et l'administration centrale doivent être situés "à l'intérieur de la communauté dans le même Etat membre", la dissociation sera envisagée, ultérieurement, par la Commission (Règlement n° 2157/2001, art. 69, a). D'autre part, la France a pris le parti d'"imposer aux SE immatriculées sur son territoire l'obligation d'avoir leur administration centrale et leur siège statutaire au même endroit". C'est, ainsi, une conception contraignante de la théorie de la réalité adoptée. Il ne sera, par exemple, pas possible d'envisager un siège statutaire à Paris et une administration centrale en province. La SE pouvant, comme les sociétés anonymes, utiliser la visioconférence pour tenir ses conseils d'administration, et d'une façon générale l'ensemble des réunions des organes sociaux, le lieu de l'administration centrale pourra s'avérer difficile à déterminer. Exit, de façon interne dans un premier temps, la théorie de l'incorporation et au moins dans un avenir proche, une ouverture pour les SE constituées en France vers la dissociation intracommunautaire du siège statutaire et de l'administration centrale.
Pour l'instant, le droit français écarte, ainsi, un effet de cette théorie qui aurait été bien apprécié des investisseurs souhaitant bénéficier d'une implantation française et intracommunautaire souple et favorable à la mise en oeuvre de l'arrêt Überseering. Cet arrêt permet, en effet, le déplacement intracommunautaire de l'administration centrale d'une société constituée dans un Etat de l'Union européenne dont la lex societatis ne s'oppose pas à la dissociation du siège statutaire et de l'administration centrale (CJCE, 5 novembre 2002, aff. C-208/00, Überseering BV c/ Nordic Construction Company Baumanagement GmbH NCC N° Lexbase : A6860A3H : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 452, § 91, note M. Luby ; JCP, éd. E., 2003, n° 448, note M. Menjucq ; Rev. sociétés, 2003, p. 315, note J.-Ph. Dom ; Rev. crit. DIP, 2003, p. 508, note P. Lagarde).
La sanction du défaut de respect des dispositions précédentes peut être lourde, car le défaut de régularisation dans les délais peut entraîner la liquidation de la SE (C. com., art. L. 229-9).
La SE peut être unipersonnelle, mais de façon très exceptionnelle. Il n'y a, en effet, que la SE filiale à 100 % d'une SE qui pourra bénéficier de ce que d'aucun voyait déjà comme le moyen de généraliser la société anonyme à associé unique (C. com., art. L. 229-6). On appliquera à cette société les règles de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ce qui peut surprendre et méritera, probablement, quelques approfondissements.
B - La société européenne par ses organes
L'assemblée de la SE obéit au droit des sociétés anonymes tant que les dispositions des articles L. 225-96 et suivants (N° Lexbase : L5967AIT) sont compatibles avec le Règlement n° 2157/2001 (C. com., art. L. 229-8).
La direction et l'administration de la SE sont, également, soumis au droit des sociétés anonymes (C. com., art. L. 229-7), à quelques aménagements près :
- que la SE soit constituée avec une direction de type moniste (à conseil d'administration) ou dualiste (à directoire et conseil de surveillance) :
- Pour les SE à directoire :
C - La société européenne par ses actionnaires : l'intuitu personae
Un des points importants du projet est de permettre à la SE, lorsqu'elle ne fait pas appel public à l'épargne, de bénéficier à l'unanimité des actionnaires (C. com., art. L. 229-15), d'une souplesse concernant les rapports entre les actionnaires qui ne va pas sans rappeler la liberté contractuelle que connaît la société par actions simplifiée.
La SE ne faisant pas appel public à l'épargne peut, ainsi, être un contrat intuitu personae.
- Les transferts d'actions peuvent être soumis à des restrictions à la libre négociabilité sans que celles-ci ne puissent avoir pour effet de rendre les actions inaliénables pour une durée excédant dix ans. Ces restrictions sont dotées d'une force remarquable, car toute cession réalisée en violation de ces clauses statutaires est nulle. Cette nullité est opposable au cessionnaire ou à ses ayants droit. Elle peut être régularisée par une décision prise à l'unanimité des actionnaires non parties au contrat ou à l'opération visant à transférer les actions (C. com., art. L. 229-11).
- Sous certaines conditions, un actionnaire peut être exclu de la société en étant tenu de céder ses actions. S'il n'accepte pas de mettre en oeuvre cette cession, ses droits non pécuniaires peuvent être suspendus jusqu'à ce qu'il obtempère (C. com., art. L. 229-12).
- En cas de modification de contrôle d'une société actionnaire de la SE, une notification peut être exigée par les statuts. Dans certaines conditions (notamment en cas de prise de contrôle par un concurrent de la SE), la société actionnaire dont le contrôle a été modifié peut voir ses droits non pécuniaires (dont le droit de vote) suspendus ou être exclue de la SE. Ces dispositions sont applicables en cas de fusion, de scission ou de dissolution (C. com., art. L. 229-13).
En outre, des dispositions prévoient les modalités de fixation du prix de cession en cas de rachat ou de cession forcée à raison des clauses précédentes (C. com., art. L. 229-14).
II - Le régime de la société européenne
A - La constitution
Le Règlement n° 2157/2001 prévoyait quatre modalités de constitution de la SE. Dans la nouvelle loi, rien n'est prévu concernant la constitution d'une SE filiale.
1. Les principales dispositions concernent la création d'une SE par voie de fusion intracommunautaire (C. com., art. L. 229-3).
Les fusions de SE impliquant une SE française risquent d'être lourdes. En effet, ces opérations seront soumises à un double contrôle. Un contrôle de la légalité de la fusion pour la partie de la procédure relative à chaque société qui fusionne sera effectué par le greffier du tribunal dans le ressort duquel est immatriculée la société. Un contrôle de la réalisation de la fusion et de la constitution de la SE sera effectué par un notaire. Ce dernier sera, notamment, chargé de contrôler le respect du volet social de la constitution de la SE. On peut être surpris de cette extension de compétence au profit de cet officier public.
Ce contrôle n'est pas anodin. En effet, les causes de nullité de la délibération de l'une des assemblées qui ont décidé de l'opération de fusion conformément au droit applicable à la société anonyme ou les manquements au contrôle de légalité, constituent une cause de dissolution de la société européenne. Une régularisation peut être envisagée et la prescription est assez brève (six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération) ; néanmoins, la dissolution de la société viciée à sa constitution entraîne sa liquidation. Le retour à l'état ayant précédé la fusion n'est donc pas envisagé. L'opération devra donc être suivie de façon très stricte.
2. En cas de constitution d'une SE holding (C. com., art. L. 229-5), un projet commun doit être établi et déposé au greffe du tribunal de chacune des sociétés.
Après quoi, un ou plusieurs commissaires à la constitution d'une société européenne holding, désignés par décision de justice, établissent sous leur responsabilité un rapport destiné aux actionnaires de chaque société ou de l'ensemble des sociétés.
3. Afin de permettre la transformation d'une société anonyme en SE, l'article L. 225-245-1 est inséré dans le Code de commerce.
Suivant ce nouveau texte qui évince l'article L. 225-244 du Code de commerce (N° Lexbase : L6115AIC), la société établit un projet de transformation de la société en société européenne. Ce projet est déposé au greffe du tribunal dans le ressort duquel la société est immatriculée et fait l'objet d'une publicité. Un ou plusieurs commissaires à la transformation désignés par décision de justice établissent sous leur responsabilité un rapport destiné aux actionnaires de la société se transformant, attestant que les capitaux propres sont au moins équivalents au capital social.
B - La mobilité
Toute l'originalité de la SE est de permettre la mobilité intracommunautaire. Celle-ci est donc bien en marche. La réglementation prévoit même que la marche puisse être forcée.
1. Les principes
Toute société européenne régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés peut transférer son siège dans un autre Etat membre (C. com., art . L. 229-2). Elle établit un projet de transfert. Ce projet est déposé au greffe du tribunal dans le ressort duquel la société est immatriculée et fait l'objet d'une publicité. La décision est prise par une assemblée générale extraordinaire (AGE) statuant dans les conditions d'AGE d'une société anonyme. Les assemblées spéciales d'actionnaires doivent ratifier le projet.
Ceux qui sont d'accord restent, ceux qui se sont opposés minoritairement peuvent obtenir le rachat de leurs actions. Les porteurs de certificats d'investissement et l'assemblée des obligataires connaissent des protections spéciales.
Les créanciers non obligataires de la société transférant son siège et dont la créance est antérieure au transfert du siège peuvent former opposition à ce transfert dans un délai qui sera fixé par décret en Conseil d'Etat. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne, soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société transférant son siège en offre et si elles sont jugées suffisantes. A défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées, le transfert de siège est inopposable à ce créancier. L'opposition formée par un créancier n'a pas pour effet d'interdire la poursuite des opérations de transfert.
Là encore, ce sera à un notaire de délivrer un certificat attestant de manière concluante l'accomplissement des actes et formalités préalables au transfert.
2. Les limites
Le procureur de la République est investi du pouvoir de s'opposer au transfert de siège social de la SE. En effet, dans cette hypothèse, celui-ci peut s'opposer au transfert du siège de la société européenne dans un autre Etat membre entraînant un changement du droit applicable.
Cette opposition doit être faite dans le délai de deux mois à compter de la publication du projet de transfert. Elle est recevable, non pas dans "l'intérêt public", ce que prévoyait le Règlement n° 2157/2001, mais, de façon plus précise, pour les motifs suivants :
a) lorsque la société européenne exerce son activité dans l'un ou plusieurs des domaines visés au I de l'article L. 151-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8851G39) ;
b) lorsqu'il a connaissance de la cessation des paiements avérée ou prévisible de la société ou d'une société contrôlée ou par laquelle elle est contrôlée au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6306AIE).
On pourrait se demander si, le législateur, en affinant le motif d'intérêt public, n'interprète pas le Règlement, ce qui serait contraire à l'esprit du droit communautaire.
En conclusion, ce projet de loi satisfera les praticiens en ce qu'il est accueillant. La SE ne faisant pas appel public à l'épargne pourra bénéficier des avantages de la liberté contractuelle, notamment, pour définir statutairement des pactes d'actionnaires. En revanche, certains aspects paraissent un handicap, comparés à ce que connaissent les SE constituées dans d'autres Etats membres. Il en va, ainsi, de l'obligation faite au constituant de maintenir l'administration centrale de la SE en France. Egalement, pourquoi avoir systématiquement recours à l'intervention d'un notaire là où la responsabilité du greffier, voire celle du ou des commissaires aux comptes pouvaient suffire ?
Il faut espérer que la méthode législative empirique par laquelle semble, aujourd'hui, procéder le législateur jouera en faveur de la SE à la française et permettra au parlement de se saisir, ultérieurement, de questions tendant à faire mûrir ce qui n'est que le fruit bien vert d'un amendement tardif.
Jean-Philippe Dom
Maître de conférences à l'Université de Caen
Lire, également, sur la société européenne :
J.-P. Dom, Modernisation du droit des sociétés et société européenne - Questions de méthode, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9592AAI).
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