Réf. : CJCE, 5 juillet 2005, aff. C-376/03, D. c/ Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen (N° Lexbase : A9934DIR)
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
Ce dernier, sur la seconde question, après avoir relevé, en l'espèce, que la clause de la nation la plus favorisée revêtait un caractère subsidiaire, poursuivait (point 96) en observant que si cette clause "ne peut être automatiquement transposée [...]", en raison du fait (points 66 et 67 des conclusions) "que l'objet d'une convention bilatérale de double imposition est d'éviter que les revenus déjà imposés par l'un des Etats le soient à nouveau dans l'autre et non de garantir au contribuable le statut fiscal le plus favorable dans chaque cas donné", rien n'empêche (points 97) "que le droit communautaire apporte un correctif pour mettre fin à une situation d'inégalité lorsque l'application d'une norme conventionnelle par un Etat membre fait obstacle à la libre circulation des capitaux en appliquant de façon injustifiée un traitement différent aux personnes résidant dans d'autres Etats membres".
1. A la première question, qui a trait au point de savoir si la situation de la fortune détenue par un non-résident (Allemand) dans un Etat membre (Pays-Bas) peut être considérée comme une situation comparable aux fins de déterminer, pour l'imposition de la fortune qu'il possède dans cet Etat (Pays-Bas), s'il peut bénéficier de l'abattement prévu par la législation de ce dernier Etat (point 42), la Cour, contrairement aux conclusions de son Avocat général, a répondu par la négative.
En effet, elle considère (point 43) que "les articles 56 CE et 58 CE ne s'opposent pas à une réglementation selon laquelle un Etat membre refuse aux contribuables non-résidents, qui détiennent l'essentiel de leur fortune dans l'Etat dont ils sont résidents, le bénéfice des abattements qu'il accorde aux contribuables résidents".
Pour la Cour (point 38), "un contribuable qui ne détient qu'une partie non essentielle de sa fortune dans un Etat membre autre que l'Etat dont il est résident n'est pas, en règle générale, dans une situation comparable à celle des résidents de cet autre Etat membre et que le refus des autorités concernées de lui accorder l'abattement dont bénéficient ces derniers ne constitue pas une discrimination à son encontre".
Elle justifie, ainsi, l'application d'un traitement différencié entre résidents et non-résidents en l'absence de situation comparable.
Elle relève, encore, (point 41) que "la circonstance que l'Etat de résidence de l'intéressé a aboli l'impôt sur la fortune est sans incidence sur cette situation de fait. Dès lors que l'intéressé détient l'essentiel de sa fortune dans l'Etat dont il est résident, l'Etat membre dans lequel il ne détient qu'une partie de sa fortune n'est pas tenu de lui accorder les avantages qu'il accorde à ses propres résidents".
La Cour justifie sa position (point 37) en faisant observer que "comme en matière d'impôt sur le revenu, il convient, ainsi, de considérer, en ce qui concerne l'impôt sur la fortune, que la situation du non-résident est différente de celle du résident, dans la mesure où non seulement l'essentiel des revenus, mais aussi l'essentiel de la fortune de ce dernier sont normalement centralisés dans l'Etat dont il est résident. Par conséquent, cet Etat membre est le mieux placé pour tenir compte de la capacité contributive globale du résident en lui appliquant, le cas échéant, les abattements prévus par sa législation".
Elle constate, en effet, (point 36) que, dès lors que cet abattement a pour "but [...] d'assurer qu'au moins une partie du patrimoine global de l'assujetti concerné soit exempte d'impôt sur la fortune", il ne peut jouer pleinement son rôle que si l'imposition porte sur la totalité de la fortune de l'intéressé justifiant, ainsi, que des non-résidents, qui ne sont taxés dans l'autre Etat membre que sur une partie de leur fortune, ne sont pas fondés à bénéficier de cet abattement.
La Cour donne, donc, plein effet à la similarité des situations, selon elle, des assujettis à l'impôt sur la fortune et à l'impôt sur le revenu.
Elle transpose, ainsi, contrairement à ce que soutenait l'intéressé, M. D., sa jurisprudence "Schumacker" prise en matière d'impôt sur le revenu (CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, points 31, 33, et 36, 37 N° Lexbase : A1803AWP), aux termes de laquelle "le fait pour un Etat membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde aux résidents n'est, en règle générale, pas discriminatoire puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable".
La Cour rappelait, à cette occasion, qu'elle considérait que "l'impôt sur la fortune, comme l'impôt sur le revenu, constitue un impôt direct établi en fonction de la capacité contributive du contribuable", l'impôt sur la fortune étant "souvent considéré comme un complément de l'impôt sur le revenu, portant, notamment, sur le capital".
Il en aurait, donc, été différemment si l'essentiel de la fortune de M. D., non-résident des Pays-Bas, avait été situé dans ce pays pour suivre, en cela, la jurisprudence de la Cour postérieure à l'arrêt "Schumacker" (voir, notamment, CJCE, 14 septembre 1999, aff. C-391/97, Frans Gschwind c/ Finanzamt Aachen-Aussenstadt, point 32 N° Lexbase : A0554AWG ; CJCE, 1er juillet 2004, aff. C-169/03, Florian W. Wallentin, point 17 N° Lexbase : A8143DCL).
2. A la seconde question, qui a trait au point de savoir, au regard du Traité (CE, art. 56 et 58 CE), si est licite la différence de traitement existant entre un résident de Belgique et un résident d'Allemagne en application d'une convention bilatérale visant à prévenir la double imposition, aux termes de laquelle un Etat membre reconnaît uniquement aux résidents de l'autre Etat partie à la convention l'abattement qu'il accorde à ses propres résidents, sans étendre celui-ci aux résidents des autres Etats membres (point 46), la Cour répond positivement.
Il résulte de cette situation qu'un résident d'un Etat membre (la Belgique), se trouvant dans une situation analogue à celle d'un non-résident (Allemand) et possédant aux Pays-Bas un bien immobilier ne représentant que 10 % du montant de l'ensemble de sa fortune, bénéficie, contrairement à ce non-résident (Allemand), de l'abattement accordé par le Royaume des Pays-Bas à ses propres résidents en matière d'impôt sur la fortune.
Elle répond, ainsi, fermement à la suite des conclusions hésitantes de son Avocat général précitées.
Selon celui-ci, en effet, dans les situations triangulaires comme celle du litige (point 97 des conclusions) soumis à la Cour, "la position du contribuable dans l'Etat d'imposition peut être construite en se fondant sur la clause de la nation la plus favorisée, mais, également, sur la base de l'existence d'une restriction aux libertés de circulation des capitaux".
Il concluait, en conséquence, qu'il était, à son sens (point 97 des conclusions), "contraire au droit communautaire d'accepter des obligations de réciprocité vis-à-vis d'un autre Etat membre, lorsqu'elles limitent les libertés de circulation des ressortissants d'Etats européens tiers [...] et que les normes nationales, dont font partie les traités internationaux valablement conclus et ratifiés, ne peuvent violer les libertés fondamentales du système juridique européen".
Mais la Cour en a, donc, décidé autrement en reconnaissant licite la différence de traitement, ainsi, organisée (point 63), en considérant que "les articles 56 CE et 58 CE ne s'opposent pas à ce qu'une règle prévue par une convention bilatérale visant à prévenir la double imposition [...], ne soit pas, dans une situation et dans des circonstances telles que celles de l'affaire [...], étendue au ressortissant d'un Etat membre non partie à ladite convention".
La Cour fait observer (point 53) que le litige n'a pas pour "objet les conséquences d'une répartition des compétences fiscales à l'égard des ressortissants ou des résidents d'Etats membres parties à une même convention, mais vise à établir une comparaison entre la situation d'une personne résidente d'un Etat tiers à une telle convention et celle d'une personne couverte par cette convention".
Il en découle, selon elle, les appréciations suivantes :
- qu'est une conséquence inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition le fait que ces droits et obligations réciproques ne s'appliquent qu'à des personnes résidentes de l'un des deux Etats membres contractants (point 61). Il s'ensuit qu'un assujetti résident de la Belgique ne se trouve pas dans la même situation qu'un assujetti résidant en dehors de la Belgique en ce qui concerne l'impôt sur la fortune établi à raison de biens immobiliers situés aux Pays-Bas ;
- la règle (l'abattement) prévue à l'article 25, paragraphe 3, de la convention belgo-néerlandaise ne saurait être analysée comme un avantage détachable du reste de la convention, mais en fait partie intégrante et contribue à son équilibre général (point 62).
Il est à noter que la Cour n'a pas entendu, comme le demandait M. D., tirer toutes les conséquences de l'arrêt "Saint-Gobain" (CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-307/97, Compagnie de Saint-Gobain, Zweigniederlassung Deutschland c/ Finanzamt Aachen-Innenstadt N° Lexbase : A8910AUK).
Elle rappelle, en effet, que dans cette affaire (voir points 56, 57 et 59 de l'arrêt "Saint-Gobain" précité) que l'assujetti non-résident disposant d'un établissement stable dans un Etat membre avait été considéré comme dans une situation équivalente à celle d'un assujetti résident de cet Etat.
C'est, ainsi, que la Cour avait effectivement posé, dans le cadre d'une convention préventive de double imposition conclue entre un Etat membre et un pays tiers, le principe suivant lequel le "traitement national impose à l'Etat membre partie à ladite convention d'accorder aux établissements stables de sociétés non-résidentes les avantages prévus par la convention aux mêmes conditions que celles qui s'appliquent aux sociétés résidentes".
Or, dans la présente affaire D., la Cour relève que la juridiction de renvoi (des Pays-Bas) a posé la question en exposant la situation de M. D. comme n'étant pas comparable à celle d'un résident des Pays-Bas dans l'hypothèse d'une réponse négative de la Cour à la première question sur l'existence d'une discrimination analysée ci avant au 1.
Il s'ensuivait que la Cour avait, donc, à examiner la question de la comparabilité ou non de la situation de M. D. à la situation d'un autre non-résident bénéficiant d'un traitement particulier en application d'une convention préventive de double imposition conclue entre la Belgique et le Royaume des Pays-Bas.
Or, elle considère (point 59) qu'un "traitement similaire au regard de l'impôt sur la fortune aux Pays-Bas, tel que M. D., résident de l'Allemagne et un assujetti résident de la Belgique présuppose que ces deux assujettis soient considérés comme étant dans la même situation" ce qui n'est pas le cas, comme elle l'a, d'ailleurs, démontré lors de l'examen de la première question sur la discrimination.
La position de la Cour est, donc, conforme à sa jurisprudence "Gilly" (CJCE, 12 mai 1998, aff. C-336/96, Epoux Robert Gilly c/ Directeur des services fiscaux du Bas-Rhin, point 30 N° Lexbase : A1840AW3), aux termes de laquelle elle avait, déjà, admis qu'une différence de traitement entre ressortissants de deux Etats contractants, résultant de la répartition de compétence fiscale entre ces deux même Etats, ne saurait être constitutive d'une discrimination contraire aux libertés fondamentales.
En conclusion, dans cette affaire, on notera qu'en apportant une réponse négative aux questions soulevées par le requérant, pour défaut de comparabilité pertinente dans sa situation avec celle de résidents ou de non-résidents, la Cour en a profité pour rappeler strictement les contours de la notion de comparabilité.
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