Réf. : loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49)
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par Propos recueillis par Aurélie Garat, SGR - Droit social
le 07 Octobre 2010
Lexbase : Considérez-vous que la loi de cohésion sociale va permettre de revoir en profondeur les mécanismes du licenciement économique ?
Maître François Farmine : La loi de cohésion sociale ne bouleverse pas le droit du licenciement pour motif économique. Elle constitue simplement un retour en arrière partiel par rapport à la loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73, 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9). Cependant, deux lois successives (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciement économique N° Lexbase : L9374A8P ; loi n° 2004-627 du 30 juin 2004 N° Lexbase : L5186DZ4) avaient déjà préparé le terrain en suspendant un certain nombre de mesures issues de la loi de modernisation sociale. Alors qu'on aurait pu s'attendre à voir évoluer, avec la réforme de la cohésion sociale, la notion même de licenciement pour motif économique, on s'aperçoit qu'aucune véritable réflexion de fond n'a été menée par le législateur. Finalement, se dégage l'impression que la réforme a été menée à tâtons, sans véritable visibilité et sous la pression des syndicats...
Lexbase : Dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, le dispositif du pare-anticipé est remplacé par la convention de reclassement personnalisé, proche de l'ancienne convention de conversion. Quel est l'intérêt de ce nouveau dispositif ?
Maître François Farmine : Il s'agit d'une mesure qui permet au Gouvernement de dire qu'aucun salarié n'est laissé pour compte lors d'un licenciement économique, et cela y compris dans les petites entreprises. C'est, en effet, un des buts principaux de la loi que de réduire les disparités existant entre les grandes et les petites entreprises en matière, notamment, de reclassement. En effet, les licenciements soumis à l'exigence d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi sont une minorité. Avant la loi de cohésion sociale, dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, la plupart des salariés se retrouvait sans solution réelle. Tel n'est plus le cas, aujourd'hui, avec la création de cette convention de reclassement personnalisé.
Concernant les modalités de fonctionnement de ce dispositif, il faudra attendre la conclusion d'un accord Unedic ou, à défaut, l'adoption d'un décret en Conseil d'Etat. Notons simplement que, lorsque le salarié accepte la conclusion de cette convention, le contrat de travail est réputé rompu d'un commun accord. Il est probable que ce nouveau mode de rupture du contrat de travail va engendrer certaines difficultés d'application. Il faut, en tous cas, garder à l'esprit que cet accord de rupture amiable ne devrait pas priver le salarié du droit de contester la cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail. Quant à la priorité de réembauchage, elle devrait logiquement continuer à jouer, comme c'était le cas avec le dispositif du pare-anticipé.
Lexbase : Le contrat intermédiaire, tel qu'il est proposé par la mission Sebag, ne va-t-il pas obliger à un remaniement de ce dispositif ?
Maître François Farmine : C'est en effet le risque. La proposition d'instaurer un contrat intermédiaire contribue d'ailleurs à renforcer l'impression que les réformes successives en matière de licenciement économique sont menées sans véritable cohérence. Ce dispositif du contrat intermédiaire, qui verrait le jour au deuxième semestre 2005, aurait pour but de faciliter la reconversion et le reclassement des chômeurs. Ce contrat intermédiaire devrait ainsi être proposé aux salariés victimes d'un licenciement économique afin de leur assurer un suivi personnalisé et une rémunération égale à 90 % de leur salaire, dans la limite prévue par les plafonds de l'assurance-chômage. En contrepartie, le signataire du contrat n'aurait pas le droit de refuser un nombre trop important d'offres de reclassement sans motif légitime. En cas d'échec du retour à l'emploi, le chômeur retomberait dans le régime d'indemnisation classique, mais avec une allocation réduite. Le financement du contrat intermédiaire devrait associer l'entreprise, l'Unedic, l'Etat et, éventuellement, les collectivités locales et le salarié. Il est clair que ce dispositif est extrêmement proche des conventions de reclassement personnalisé prévues par la loi de cohésion sociale. Le contrat intermédiaire et la convention de reclassement personnalisé vont-ils coexister ? Le législateur devra-t-il revoir son dispositif des conventions de reclassement personnalisé ? Si aucune réponse précise ne peut, aujourd'hui, être apportée à ces questions, on peut en tous cas s'étonner de l'empilement de dispositifs extrêmement proches dans leurs modalités de fonctionnement et dans leur finalité.
En plus de l'obligation de reclassement inhérente au contrat de travail, du congé de reclassement et du plan de reclassement personnalisé, le contrat intermédiaire alourdit l'obligation générale de reclassement qui devient, aujourd'hui plus encore qu'hier, l'épicentre du droit du licenciement. Actuellement, les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l'organisation et le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3). Les contours de cette obligation sont extrêmement larges et auraient mérité d'être précisés, ce que la loi ne fait pas.
Lexbase : Les accords de méthode ont été pérennisés par la loi de cohésion sociale qui a toutefois légèrement modifié le dispositif initial...
Maître François Farmine : On ne peut qu'approuver la pérennisation des accords de méthode, dont le bilan est globalement très positif. La loi de cohésion sociale a apporté quelques changements par rapport au dispositif, proposé à titre transitoire, concernant le niveau de conclusion, le contenu et les délais de contestation de ces accords.
L'élargissement du champ des accords de méthode est intéressant. En effet, de tels accords pourront, dorénavant, être conclus au niveau du groupe ce qui, en pratique, évitera de devoir négocier filiale par filiale, processus long et laborieux. De même, la possibilité de conclure de tels accords au niveau de la branche est très utile dans les entreprises dépourvues de représentation syndicale.
Notons qu'en l'absence de précision, les accords de méthode devront être conclus selon les règles de droit commun issues de la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8). Cela ne va pas, d'ailleurs, sans poser quelques difficultés. En effet, cette loi du 4 mai 2004 prévoit qu'en l'absence d'accord de branche, la validité d'un accord d'entreprise est subordonnée à l'absence d'opposition de la majorité des organisations syndicales de salariés représentatives (C. trav., art. L. 132-2-2 N° Lexbase : L4693DZT). Que faire, dans ce cas, lorsqu'il n'existe qu'un syndicat dans l'entreprise ?
Lexbase : Avant la loi de cohésion sociale, le juge avait l'obligation de prononcer la réintégration du salarié en cas de nullité du licenciement collectif pour défaut ou insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi. Or, cette obligation se heurtait parfois à la fermeture de l'entreprise... Pourriez-vous nous expliquer ce que la loi de cohésion sociale va changer ?
Maître François Farmine : Lorsque la procédure de licenciement est nulle, le licenciement est nul, ce qui entraîne automatiquement l'obligation de réintégrer le salarié. Là dessus, et contrairement à ce que pourrait laisser croire une formulation maladroite du législateur, rien n'a changé. En revanche, le législateur a introduit des exceptions au principe de la réintégration. En effet, celle-ci n'a plus automatiquement à être ordonnée par le juge qui peut désormais en constater l'impossibilité, en raison notamment de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre cette réintégration. Le principe reste la réintégration. Le législateur a juste pris en compte l'hypothèse dans laquelle la réintégration est impossible. Ce sera essentiellement le cas lorsque l'entreprise a fermé ou lorsqu'il n'existe pas d'emploi disponible, mais l'utilisation de l'adverbe "notamment" laisse imaginer d'autres possibilités, telle que la faute commise par le salarié. Enfin, notons que la notion d'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié reste relativement floue et devra être précisée par la jurisprudence.
Lexbase : La mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi en cas de proposition de modification de contrat pour motif économique a fait l'objet d'importants assouplissements. Pourriez-vous nous en préciser les enjeux ?
Maître François Farmine : Désormais, la loi de cohésion sociale prévoit que l'élément déclencheur de l'obligation de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi n'est plus la proposition de modification du contrat pour motif économique, mais le refus de cette modification. Il s'agit d'une remise en cause des arrêts "Framatome et Majorette" (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, Société Framatome connectors France et autre c/ Comité central d'entreprise de la société Framatome connectors, publié N° Lexbase : A2180AAY ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, Syndicat Symétal CFDT c/ Société nouvelle Majorette et autre, publié N° Lexbase : A2182AA3)
Cette nouvelle disposition légale est essentiellement adaptée aux modifications d'un élément essentiel du contrat de travail affectant un nombre limité de salariés. On pense, notamment, aux modifications concernant plus de 9 mais moins de 50 salariés, dans une entreprise de plus de 50 salariés. En effet, pour les modifications affectant un grand nombre de postes, il peut se révéler plus judicieux, notamment sur le plan de calendrier procédural, de prendre les devants et de ne pas attendre un éventuel refus de plus de 9 salariés à la proposition de modification pour mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi. En pratique, la procédure à suivre sera dictée par la nature et l'importance des modifications proposées et le nombre de salariés concernés.
A la différence de la jurisprudence "Framatome et Majorette", la loi de cohésion n'a pas remis en cause l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi en cas de départs volontaires (Cass. soc., 10 avril 1991, n° 89-18.485, Société Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises c/ Fédération française des syndicats de banque, publié N° Lexbase : A1623AAD ; Cass. soc., 22 février 1995, n° 92-11.566, Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT c/ Société IBM France et autres, publié N° Lexbase : A0953ABW). Or, il aurait été judicieux de ne pas soumettre ce type de départ au droit commun du licenciement pour motif économique.
Sur ce thème, lire également Christophe Radé, L'abandon de la jurisprudence "Framatome" et "Majorette", Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4503ABE).
Lexbase : Que pensez-vous de l'obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois ? Cette fréquence de 3 ans pour négocier n'est elle pas un peu trop longue ?
Maître François Farmine : La loi prévoit une obligation de négocier tous les 3 ans à la fois dans les entreprises et les groupes soumis à la réglementation sur les comités de groupe (C. trav., art. L. 439-1 N° Lexbase : L6465ACG) et dans ceux de dimension communautaire (C. trav., art. L. 439-6 N° Lexbase : L5330ACE) sur la gestion prévisionnelle des emplois. Le délai de 3 ans permet, non seulement, de prendre un certain recul par rapport à la gestion de l'emploi mais, également, de ne pas créer une obligation trop contraignante. Rappelons, en effet, que cette obligation de négociation triennale s'ajoute aux autres obligations de l'employeur d'informer les représentants du personnel sur la marche générale de l'entreprise.
Finalement, cette notion de gestion prévisionnelle des emplois, aujourd'hui consacrée par la loi dans le cadre d'une obligation triennale de négocier, rejoint la notion de "maintien de la compétitivité" que les syndicats avaient rejetée concernant la définition du licenciement pour motif économique. Ce motif correspond pourtant à une anticipation de difficultés à venir. Ce que les syndicats récusent comme motif de licenciement, ils l'acceptent comme objet de négociation.
Lexbase : Nous avions déjà eu l'occasion de vous interroger sur le dispositif de la réactivation des bassins d'emploi issu de l'article 118 de la loi de modernisation sociale (N° Lexbase : L2161AWX) (voir Revitalisation du bassin d'emploi : questions à... François Farmine, avocat au barreau de Paris N° Lexbase : N3175AB9). Aujourd'hui, la loi de cohésion sociale a repris ce dispositif. Y a-t-il des modifications par rapport au régime antérieur ?
Maître François Farmine : Avant la loi de cohésion sociale, la loi ne tenait compte que de la fermeture totale ou partielle d'un site. Ce critère, jugé trop restrictif, a été remplacé par la notion de licenciement collectif affectant par son ampleur "le" ou "les" bassins d'emploi touchés par la restructuration. La loi se préoccupe également des effets des licenciements sur les sous-traitants.
La loi de cohésion sociale prévoit la possibilité d'organiser les actions de revitalisation dans le cadre d'un accord d'entreprise ou de groupe. Que faire alors si le préfet s'oppose, comme il en a le droit, aux mesures contenues dans un tel accord ? L'obligation de revitalisation n'est alors pas remplie au regard de la loi, mais qu'advient-il de l'accord d'entreprise ou de groupe ? Juridiquement, ce dernier reste valable. L'employeur resterait donc lié par les actions auxquelles il s'est engagé dans l'accord d'entreprise ou de groupe tout en devant, en plus, prévoir de nouvelles actions conformes à l'obligation légale de revitalisation du bassin d'emploi.
En outre, la jurisprudence sera amenée à préciser un certain nombre de points qui déterminent l'obligation de mise en oeuvre des mesures de revitalisation du bassin d'emploi : comment doivent être évaluées "l'ampleur" d'un licenciement collectif et l'atteinte à "l'équilibre d'un bassin d'emploi" ? Est-ce le nombre de salariés concernés par le projet de rupture ou effectivement licenciés qui constituera le critère déterminant ? La dégradation du bassin d'emploi ne sera-t-elle pas présumée en cas de fermeture d'une entreprise et de réduction massive des effectifs dans un secteur géographique déjà frappé par des délocalisations ? Qui finance l'étude d'impact social et territorial que le préfet peut ordonner ? Autant de questions qui restent en suspens...
Notons, pour conclure sur ce thème, que le fait que le dispositif de revitalisation ne s'applique pas aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaire risque d'inciter certaines d'entre elles, déjà confrontées à de grandes difficultés économiques, à déposer le bilan pour échapper à cette obligation, qui s'intègre à un plan de sauvegarde de l'emploi très coûteux.
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