La lettre juridique n°157 du 3 mars 2005 : Fiscalité des entreprises

[Textes] Le Parlement ouvre la voie à l'introduction de la fiducie en droit français

Réf. : Proposition de loi instituant la fiducie

Lecture: 7 min

N4809ABQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] Le Parlement ouvre la voie à l'introduction de la fiducie en droit français. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207205-textesleparlementouvrelavoiealintroductiondelafiducieendroitfrancais
Copier

par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

le 07 Octobre 2010

Si l'introduction de la fiducie en droit français semblait avoir été, pendant un temps, oubliée par le Parlement, elle était, en revanche, attendue depuis longtemps par les milieux professionnels. Cette inertie législative a, toutefois, pris fin le 8 février 2005. En effet, le sénateur Philippe Marini a présenté une proposition de loi instituant la fiducie dans notre système législatif. Rappelons que le Gouvernement français s'était déjà déclaré favorable à son introduction en décembre 2004. Il est, dès lors, proposé d'insérer dans le Livre troisième du Code civil un Titre seizième bis intitulé "De la fiducie" et comprenant les articles 2062 à 2070-7. L'article 2062 du Code civil définirait la fiducie comme "un contrat par lequel un constituant transfère des droits de toute nature à une personne physique ou morale dénommée fiduciaire, à charge pour elle de les administrer ou d'en disposer au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat à des fins de gestion, de garantie ou de transmission à titre onéreux, exclusivement ou cumulativement. Le transfert s'opère dans un patrimoine d'affectation, appelé patrimoine fiduciaire, distinct du patrimoine personnel du fiduciaire et de tout autre patrimoine fiduciaire, le fiduciaire devenant titulaire ou propriétaire fiduciaire des droits transférés". La fiducie est un mécanisme ancien, qui se rapproche de son voisin anglo-saxon "le trust". Empruntant trop fortement ses principales caractéristiques à ce contrat particulier ou à des institutions voisines sans pourtant recevoir de la loi française la qualification de fiducie, son introduction est devenue une nécessité (1). La reconnaissance légale de ce contrat particulier va, dès lors, permettre d'unifier le régime fiduciaire et de mettre fin à la multiplication des fiducies innommées. Ce nouveau contrat va, aussi, modifier le visage juridique français (2). Avant tout développement, il convient de préciser que le sénateur Marini a suggéré d'étendre l'application aux fiduciaires des dispositions relatives au blanchiment de capitaux. En outre, les dispositions du Code pénal, sanctionnant déjà de manière large le blanchiment, seront de plein droit applicables, sans qu'il soit nécessaire de modifier ce code.

En d'autres termes, la proposition prévoit de nombreuses garanties de nature à sécuriser cet instrument et à accroître sa transparence : application des obligations et sanctions afférentes au blanchiment, vigilance de l'établissement de crédit auprès duquel le compte du fiduciaire est ouvert, conditions d'honorabilité et d'absence de condamnation pénale et disciplinaire du fiduciaire, obligation de loyauté et de diligence, prévention des conflits d'intérêts.

1. Les raisons de l'intégration de la fiducie en droit français

Comme le souligne le sénateur Marini, "le Code civil ne prévoit ni ne régit d'institution équivalente au trust des pays de droit anglo-américain qui permet, en particulier, à une personne, le constituant, de transférer la propriété de droits lui appartenant à un "trustee", afin de les administrer, non dans l'intérêt propre de ce trustee, mais pour réaliser un objet déterminé".

Le trust implique, en principe, trois acteurs : le premier acteur, le constituant (settlor), va transférer des droits patrimoniaux à un fiduciaire (trustee), qui va les détenir en vue de réaliser une affectation déterminée, en faveur du ou des bénéficiaires.

Il a, dès lors, été proposé de créer un nouveau type de contrat spécial, lequel permettrait le transfert dans un patrimoine séparé du patrimoine personnel du fiduciaire, et assurerait que les biens transférés soient grevés d'une charge de gestion.

En d'autres termes, la proposition de loi de Philippe Marini répond à un impératif de compétitivité et de modernisation du droit français dans un contexte de globalisation des instruments juridiques.

Rappelons que nombre de pays ont, ainsi, adopté un régime équivalent au trust, tels que l'Ecosse, le Liechtenstein, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, Israël, Puerto Rico, le Japon, ou encore la Russie, ainsi que, depuis déjà un certain nombre d'années, plusieurs pays d'Amérique du Sud.

Dernièrement, le Luxembourg, par une loi publiée le 3 septembre 2003, a élargi le champ d'application de sa législation sur la fiducie.

Dès lors, l'introduction de la fiducie devrait permettre d'éviter le recours à des structures étrangères parfois opaques.

Il ne faut pas oublier, comme le rappelle le sénateur Marini, que "la concurrence accrue, phénomène économique actuel, a eu des incidences sur les rapports juridiques qui se sont, corrélativement, internationalisés. Ceci a entraîné une globalisation des instruments juridiques".

Aussi, un vaste phénomène de délocalisations s'est, progressivement, mis en place au profit de pays disposant de mécanismes voisins de la fiducie plus attrayants sur le plan juridique et fiscal.

Cette fuite des richesses vers des Etats voisins n'étant pas souhaitable, il faudrait pallier cette lacune du système juridique français en introduisant la fiducie.

2. Les caractéristiques fondamentales de la fiducie en droit français

2.1. Les caractéristiques fondamentales de la fiducie en droit civil et en droit des affaires

  • Droit civil

Les biens transférés forment un patrimoine personnel du fiduciaire, ce que la doctrine a qualifié de patrimoine d'affectation. Cette notion s'oppose, en conséquence, à la conception classique, en droit français, d'universalité du patrimoine, à savoir "un individu, un patrimoine".

Cette incompatibilité s'explique par le fait que la fiducie est fortement inspirée du trust anglo-saxon, qui se définit ainsi : "organization which supervises the financial affairs of private trusts, executes wills, and acts as a bank to a limited number of customers".

C'est en raison de cette nouvelle conception du patrimoine qu'il est nécessaire de recourir à une loi pour introduire la fiducie, qui constitue une exception aux articles 2092 (N° Lexbase : L2330ABW) et 2093 (N° Lexbase : L2332ABY) du Code civil.

  • Droit des affaires

La fiducie, instrument transversal, pourrait, aussi, trouver de nombreuses applications en droit des affaires, notamment en matière de gestion de patrimoine, de garantie de créances ou de protection et de gestion de biens de personnes considérées comme vulnérables. Toutefois, la fiducie ne pourrait pas être utilisée pour la transmission à titre gratuit.

La proposition de loi du sénateur Philippe Marini précise que :

"Les praticiens ont été nombreux à réclamer l'introduction d'une fiducie, dont les applications de gestion ou de garantie ont été vantées. C'est ainsi, par exemple, que des biens pourront être mis en fiducie, afin de garantir une ou plusieurs créances, au bénéfice d'un ou plusieurs créanciers : le transfert de titularité offrira l'avantage de la "propriété-sûreté" aux créanciers, ce qui devrait entraîner une baisse du coût du crédit pour le débiteur, corollaire du risque réduit pour le créancier. Ou encore, une ou plusieurs personnes pourront transférer des biens, afin qu'ils soient gérés par autrui. Le recours au mandat pour ce genre de situations a déjà montré ses limites, notamment en raison de la révocabilité qui le caractérise.

La fiducie peut, également, constituer un moyen, pour les personnes qui le souhaitent, de confier leurs biens à autrui, qui aura la charge de les gérer pour leur compte. On pense, notamment, au recours à la fiducie par des "personnes en difficulté" ou "personnes vulnérables" (personnes ayant eu un accident, affectées par les séquelles d'une maladie ou autre), mais qui ne bénéficient pas, aujourd'hui, de la possibilité de recourir à la tutelle ou à la curatelle notamment. La fiducie, régime volontaire et contractuel, permettra notamment à toute une série de catégories de personnes d'être déchargée de la gestion de biens, tout en les attribuant à une personne de confiance (le fiduciaire) qui devra les gérer avec loyauté et attention (ou diligence) pour leur bénéfice. L'utilisation par des personnes physiques de cet instrument pourra être d'un intérêt d'autant plus grand que le vieillissement de la population française devient une réalité à prendre pleinement en compte, certaines personnes étant susceptibles de préférer être déchargées de la gestion de leurs biens en ayant recours à une personne de confiance. La fiducie, étant d'origine contractuelle, n'impliquera pas une surcharge pour les tribunaux. Elle ne nuira pas à la protection des personnes en très grandes difficultés, les régimes impératifs légaux (tutelle notamment) demeurant applicables le cas échéant. En outre, seule une personne non-sujette à une incapacité de transférer la propriété de biens, de disposer de sa propriété, pourra valablement conclure une fiducie".

2. 2. Les caractéristiques fondamentales en droit fiscal et comptable

  • Droit fiscal

Sur le plan fiscal, la proposition fait prévaloir un principe de transparence de nature à éviter l'évasion fiscale. Le constituant serait, ainsi, réputé titulaire des droits mis en fiducie et redevable de l'impôt à ce titre. Les exceptions au principe fiscal de transparence seraient, seulement, limitées au cas où l'impôt frapperait une activité autonome (TVA, taxe professionnelle) qui se trouverait constituée au sein du patrimoine fiduciaire.

La proposition de loi du 8 février 2005 ne manque pas de souligner qu'"une personne morale ne doit pas, en principe et sous peine qu'un abus de bien social ou un acte anormal de gestion soit commis, procéder à des mutations à titre gratuit".

Par conséquent, afin d'éviter les difficultés fiscales et les risques de fraudes en cas de transmission, il est prévu que "la fiducie ne peut pas, à peine de nullité, être utilisée aux fins de transfert à titre gratuit de droits du constituant à un tiers". Le risque de fraude aux droits de mutation en cas de transfert à titre gratuit disparaîtrait ainsi. Il semble, également, préférable d'attendre une éventuelle refonte des barèmes des différents impôts applicables lors des transmissions de biens à titre gratuit par des personnes physiques, afin de leur étendre le bénéfice de ces dispositions. Néanmoins, cette condition permettrait d'éviter tout risque de fraude par le jeu de mutations à titre gratuit, ainsi que l'utilisation par des personnes physiques de cet instrument dans cette limite. Le principe fiscal retenu serait celui de la transparence consistant à traiter le constituant comme s'il était encore titulaire des droits transférés au fiduciaire.

Il est à noter que la rémunération du fiduciaire serait imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux selon le régime réel. Le fiduciaire serait tenu aux obligations qui incombent normalement aux exploitants individuels.

Les résultats de la fiducie seraient compris dans le résultat du constituant. Les résultats de la fiducie seraient déterminés et imposés selon les règles applicables à la nature de l'activité afférente aux biens ou droits en fiducie. Toutefois, lorsque le bénéficiaire est une entreprise, le résultat serait déterminé selon le régime qui lui est applicable (impôt sur les sociétés, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux, bénéfices agricoles).

Les droits d'enregistrement seraient dus en cas de transfert des droits à des tiers ou au bénéficiaire de la fiducie ou en cas de transmission du contrat de fiducie par le constituant. En revanche, si les droits mis en fiducie reviennent au constituant, en sa qualité de bénéficiaire, les droits de mutation à titre onéreux ne seraient pas dus.

  • Droit comptable

Des dispositions comptables spécifiques sont, également, prévues afin de permettre d'assurer la traçabilité des biens mis en fiducie et d'apprécier les opérations qu'engendre leur gestion.

Ainsi, il est prévu que tous les fiduciaires devront établir, pour chaque contrat de fiducie, deux états : le premier décrivant les droits transférés ainsi que les créances et les dettes liées à la réalisation du contrat, le second les produits et les charges afférents à ce contrat.

Lorsque le constituant est soumis aux dispositions des articles L. 123-12 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L5570AI7) applicables aux commerçants, il constatera une créance à l'égard du fiduciaire lors du transfert des droits à ce dernier.

A présent, il ne nous reste plus qu'à faire confiance (trust en anglais) en l'avenir : espérons que la fiducie soit définitivement adoptée en droit français.

newsid:14809