La lettre juridique n°157 du 3 mars 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La rupture du contrat de travail pendant la période d'essai ne peut être fondée sur un motif discriminatoire !

Réf. : Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, Société CS Systèmes d'information c/ M. Didier Raspaud, FS-P+B (N° Lexbase : L5583ACR)

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le 07 Octobre 2010

On a coutume de dire que pendant la période d'essai, la rupture du contrat de travail est libre. Cette assertion est vraie dès lors que l'on signifie par là que lorsque l'employeur prend l'initiative de la rupture, il n'est pas tenu de respecter les règles du licenciement. Il est, en revanche, erroné d'en déduire que cette rupture peut être discrétionnaire. Tout d'abord, le droit de rompre le contrat de travail pendant la période d'essai peut dégénérer en abus. Ensuite, et ainsi que vient le préciser la Cour de cassation dans un important arrêt en date du 16 février 2005, les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5583ACR) sont applicables à la période d'essai. Il faut donc comprendre que la rupture de l'essai ne saurait être fondée sur un motif discriminatoire et, qu'à défaut, celle-ci doit être déclarée nulle.
Décision

Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, Société CS Systèmes d'information c/ M. Didier Raspaud, FS-P+B (N° Lexbase : L5583ACR)

Rejet (CA Paris, 22e Chambre B, 12 mars 2002)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L5583ACR)

Mots-clefs : contrat à durée indéterminée ; période d'essai ; rupture liée à l'état de santé ; application de l'article L. 122-45 du Code du travail ; nullité de la rupture.

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Faits

1. M. Raspaud a été engagé, le 15 mars 1999, pour une durée indéterminée en qualité de responsable BU banques. Son contrat prévoyait une période d'essai de 3 mois. Le salarié s'étant trouvé en arrêt maladie à compter du 27 mai 1999, son employeur lui a notifié, le 19 août suivant, qu'à sa reprise du travail, la période d'essai suspendue pendant son congé maladie reprendrait son cours pendant 20 jours. Ayant repris le travail le 13 septembre 1999, M. Raspaud a reçu, le 17, une lettre datée du 15 par laquelle son employeur lui signifiait qu'il avait décidé de mettre fin à la période d'essai et qu'il était dispensé d'effectuer le préavis de 2 semaines. Le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant notamment au paiement d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail.

2. L'employeur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir retenu que la rupture du contrat de travail était nulle et de l'avoir, en conséquence, condamné à verser au salarié diverses sommes en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de la rupture, et à titre d'indemnités de préavis et de congés payés. A l'appui de son pourvoi, la partie requérante arguait, notamment, que l'article L. 122-45 du Code du travail n'est pas applicable pendant la période d'essai, au cours de laquelle la rupture du contrat de travail est discrétionnaire.

Problème juridique

Les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail, qui prohibe les mesures discriminatoires, sont-elles applicables à la période d'essai ?

Solution

1. Rejet

2. "Les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail sont applicables à la période d'essai".

3. "La cour d'appel, ayant constaté que l'employeur avait manifestement souhaité écarter un salarié en raison de ses récents problèmes de santé, a légalement justifié sa décision".

Commentaire

1. L'application de l'article L. 122-45 du Code du travail à la période d'essai

  • Rupture du contrat de travail en cours d'essai

On sait que la caractéristique essentielle de la période d'essai, qui constitue en même temps sa raison d'être, est de conférer à chaque partie la faculté de rompre le contrat de travail à tout moment. Par suite, et ainsi que l'indique expressément l'alinéa 2 de l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP), la rupture décidée par l'employeur n'est pas assujettie aux règles du licenciement. Sous réserve de stipulations conventionnelles contraires, ce dernier n'est donc pas tenu de respecter un préavis ou de motiver la rupture par une cause réelle et sérieuse. De même, il a été décidé que l'employeur n'a pas à solliciter l'autorisation de licencier un conseiller prud'hommes en fonctions (Cass. soc., 13 mars 1985, n° 82-40.506, Association du Logis des jeunes c/ Nicol, Union locale CGT de Pau et banlieue, publié N° Lexbase : A2298AAD) (1).

Cela étant, et contrairement à ce qui était affirmé en l'espèce dans le pourvoi, la rupture du contrat de travail en période d'essai n'est pas discrétionnaire. Par suite, le droit de mettre fin à l'essai est susceptible de dégénérer en abus. Le salarié pourra donc obtenir des dommages-intérêts s'il rapporte la preuve que l'employeur a agi par malveillance à son égard ou avec une légèreté blâmable (v., par ex., Cass. soc., 6 décembre 1995, n° 92-41.398, Mme Roche c/ Société Educational Business Services, publié N° Lexbase : A1066AB4) (2).

On doit, enfin, souligner que la Cour de cassation a décidé que l'employeur doit suivre les règles de la procédure disciplinaire lorsqu'il rompt l'essai en raison d'une faute du salarié. Il est donc tenu de convoquer ce dernier à un entretien préalable et de lui notifier par écrit les motifs de la sanction. A défaut, il sera condamné à verser des dommages-intérêts au salarié (3).

  • L'interdiction de toute mesure discriminatoire

L'apport essentiel de l'arrêt commenté réside dans l'affirmation expresse de la Cour de cassation selon laquelle les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5583ACR) sont applicables à la période d'essai. Cette solution, qui doit être approuvée, était à prévoir eu égard au large champ d'application de la disposition précitée. Rappelons, en effet, que celle-ci prévoit, de façon très générale, qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison des motifs qu'elle énumère.

En d'autres termes, si la rupture du contrat de travail pendant l'essai est libre sous réserve de l'abus, c'est en outre à la condition essentielle que celle-ci ne soit pas fondée sur un motif discriminatoire. Autrement dit, si la rupture décidée par l'employeur pendant la période d'essai n'est pas assujettie aux règles du licenciement en application de l'article L. 122-4 du Code du travail, elle ne saurait pour autant échapper aux prescriptions de l'article L. 122-45 du même code. Ainsi, pour reprendre un exemple évoqué précédemment, l'employeur n'a pas à demander une quelconque autorisation à l'inspecteur du travail lorsqu'il rompt l'essai d'un conseiller prud'homme. Mais, s'il apparaît que cette rupture est uniquement motivée par ces fonctions, l'employeur encourra une condamnation.

2. Conséquences de l'application de l'article L. 122-45 à la période d'essai

  • Charge de la preuve

Il est désormais clair que la rupture de l'essai ne saurait être fondée sur l'un des motifs énumérés par l'article L. 122-45 du Code du travail et, notamment, comme en l'espèce, sur l'état de santé du salarié. Il nous semble que devront trouver à s'appliquer ici les dispositions du quatrième alinéa de cet article selon lesquelles, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. C'est alors à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Pour être logique, l'application de ces dispositions va cependant entraîner une conséquence relativement curieuse, puisque l'employeur sera tenu de justifier la rupture de l'essai alors que, précisément et ainsi qu'il a été vu, celle-ci n'a en principe pas à être motivée. Il conviendra, à tout le moins, que les juges se montrent relativement exigeants quant à l'établissement par le salarié des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination, sous peine d'enlever une grande partie de son intérêt et de sa raison d'être à la période d'essai (4).

  • Sanctions

Le dernier alinéa de l'article L. 122-45 du Code du travail est, de ce point de vue, on ne peut plus clair : "toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit". Appliquée à la situation qui nous intéresse, cette disposition exigeait des juges du fond qu'ils prononcent la nullité de la rupture du contrat de travail survenue pendant la période d'essai. C'est ce que n'avait pas manqué de faire en l'espèce la cour d'appel, approuvée en cela par la Cour de cassation.

La rupture du contrat de travail étant nulle, le salarié pouvait exiger sa réintégration dans l'entreprise. Tel n'avait cependant pas été la volonté du salarié dans l'espèce considérée, qui avait préféré demander des dommages-intérêts en fonction du préjudice subi en raison du caractère illicite de la rupture. Les juges d'appel lui ont logiquement donné satisfaction. Notons simplement, pour terminer, que le salarié ne pouvait évidemment prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les règles du licenciement n'étant pas applicables pendant la période d'essai.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) La Cour de cassation décide toutefois que les salariés victimes d'un accident du travail en cours d'essai bénéficient des règles de protection établies par les articles L. 122-32-1 et suivants du Code du travail (Cass. soc., 12 janvier 1993, n° 88-44.572, M. Berthet c/ M. Barbey, publié N° Lexbase : A6234ABI).

(2) Une telle rupture abusive peut, également, être le fait du salarié : Cass. soc., 9 mai 1979, n° 77-40.978, Société SAG c/ Epoux Coute, publié (N° Lexbase : A7684CGP), D. 1980, IR, p. 30, obs. Ph. Langlois.

(3) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, Mme Brigitte Honoré c/ Association Accueil et réinsertion sociale, FS-P+B (N° Lexbase : A4834DBN). Notons que cette solution ne s'applique que dans la mesure où l'employeur a explicitement motivé la rupture par la faute du salarié, ce qu'il n'est évidemment nullement tenu de faire.

(4) Rigueur que les juges se devront de garder lors de l'appréciation de la discrimination. Ainsi que le relève la Cour de cassation en l'espèce, la cour d'appel avait constaté que "l'employeur avait manifestement souhaité écarter un salarié n raison de ses récents problèmes de santé" (souligné par nous).

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